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meubles comme s'ils m'appartenaient; moi qui, troisième clerc du digne monsieur Chesneau, mon prédécesseur, les ai achetés pour madame votre mère, et qui, de ma main de troisième clerc, ai si bien écrit l'acte de vente sur parchemin en belle ronde ! moi qui ai les titres de propriété dans l'étude de mon successeur, moi qui ai fait les liquidations! Moi qui vous ai vu grand comme ça ! dit le notaire en mettant la main à deux pieds de terre. Il faut avoir été notaire pendant quarante et un ans et demi pour connaître l'espèce de douleur que me cause la vue de mon nom imprimé tout vif à la face d'Israël dans les verbaux de la saisie et dans l'établissement de la propriété. Quand je passe dans la rue et que je vois des gens. occupés à lire ces horribles affiches jaunes, je suis honteux comme s'il s'agissait de ma propre ruine et de mon honneur. Il y a des imbéciles qui vous épellent cela tout haut exprès pour attirer les curieux, et ils se mettent tous à faire les plus sots commentaires. N'est-on pas maître de son bien? Votre père avait mangé deux fortunes avant de refaire celle qu'il vous a laissée, vous ne seriez point un Manerville si vous ne l'imitiez pas. D'ailleurs les saisies immobilières ont donné lieu à tout un titre dans le Code, elles ont été prévues, vous êtes dans un cas admis par la loi. Si je n'étais pas un vieillard à cheveux blancs et qui n'attend qu'un coup de coude pour tomber dans sa fosse, je rosserais ceux qui s'arrêtent devant ces abominations: A la requête de dame Natalie Evangélista, épouse de Paul-François-Joseph, comte de Manerville, séparée quant aux biens par jugement du tribunal de première instance du département de la Seine, etc.

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Oui, dit Paul, et maintenant séparée de corps...
Ah! fit le vieillard.

Oh! contre le gré de Natalie, dit vivement le comte, il m'a fallu la tromper, elle ignore mon départ.

Vous partez ?

-Mon passage est payé, je m'embarque sur la Belle-Amélie et vais à Calcutta.

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Dans deux jours! dit le vieillard. Ainsi nous ne nous verrons plus, monsieur le comte.

Vous n'avez que soixante-treize ans, mon cher Mathias, et yous avez la goutte, un vrai brevet de vieillesse. Quand je serai de retour, je vous retrouverai sur vos pieds. Votre bonne tête et votre cœur seront encore sains, vous m'aiderez à reconstruire l'édifice

ébranlé. Je veux gagner une belle fortune en sept ans. A mon retour je n'aurai que quarante ans. Tout est encore possible à cet âge.

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--Vous? dit Mathias en laissant échapper un geste de surprise, vous, monsieur le comte, aller faire le commerce, y pensez-vous? Je ne suis plus monsieur le comte, cher Mathias. Mon passage est arrêté sous le nom de Camille, un des noms de baptême de ma mère. Puis j'ai des connaissances qui me permettent de faire fortune autrement. Le commerce sera ma dernière chance. Enfin je pars avec une somme assez considérable pour qu'il me soit permis de tenter la fortune sur une grande échelle.

- Où est cette somme ?

Un ami doit me l'envoyer.

Le vieillard laissa tomber sa fourchette en entendant le mot d'ami, non par raillerie ni surprise; son air exprima la douleur qu'il éprouvait en voyant Paul sous l'influence d'une illusion trompeuse; car son œil plongeait dans un gouffre là où le comte apercevait un plancher solide.

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— J'ai pendant cinquante ans environ exercé le notariat, je n'ai jamais vu les gens ruinés avoir des amis qui leur prêtassent de l'argent!

· Vous ne connaissez pas de Marsay! A l'heure où je vous parle, ̈ je suis sûr qu'il a vendu des rentes, s'il le faut, et demain vous recevrez une lettre de change de cinquante mille écus.

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Je le souhaite. Cet ami ne pouvait-il donc pas arranger vos affaires ? Vous auriez vécu tranquillement à Lanstrac avec les revenus de madame la comtesse pendant six ou sept ans.

- Une délégation aurait-elle payé quinze cent mille francs de dettes dans lesquelles ma femme entrait pour cinq cent cinquante mille francs?

Comment, en quatre ans, avez-vous fait quatorze cent cinquante mille francs de dettes?

Rien de plus clair, Mathias. N'ai-je pas laissé les diamants à ma femme? N'ai-je pas dépensé les cent cinquante mille francs qui nous revenaient sur le prix de l'hôtel Évangélista dans l'arrangement de ma maison à Paris? N'a-t-il pas fallu payer ici les frais de nos acquisitions et ceux auxquels a donné lieu mon contrat de mariage? Enfin n'a-t-il pas fallu vendre les quarante mille livres de rente de Natalie pour payer d'Auzac et Saint-Froult? Nous avons

vendu à quatre-vingt-sept, je me suis donc endetté de près de deux cent mille francs dès le premier mois de mon mariage. Il nous est resté soixante-sept mille livres de rente. Nous en avons constamment dépensé deux cent mille en sus. Joignez à ces neuf cent mille francs quelques intérêts usuraires, vous trouverez facilement .un million.

-Bouffre! fit le vieux notaire. Après ?

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Hé! bien, j'ai d'abord voulu compléter à ma femme la parure qui se trouvait commencée avec le collier de perles agrafé par le Discreto, un diamant de famille, et par les boucles d'oreilles de sa mère. J'ai payé cent mille francs une couronne d'épis. Nous voici à onze cent mille francs. Je me trouve devoir la fortune de ma femine, qui s'élève aux trois cent cinquante-six mille francs de sa dot.

Mais, dit Mathias, si madame la comtesse avait engagé ses diamants et vous vos revenus, vous auriez à mon compte trois cent ́ mille francs avec lesquels vous pourriez apaiser vos créanciers....

- Quand un homme est tombé, Mathias, quand ses propriétés sont grevées d'hypothèques, quand sa femme prime les créanciers par ses reprises, quand enfin cet homme est sous le coup de cent mille francs de lettres de change qui s'acquitteront, je l'espère, par le haut prix auquel monteront mes biens, rien n'est possible. Et les frais d'expropriation donc ?

-Effroyable! dit le notaire.

Les saisies ont été converties heureusement en ventes volontaires, afin de couper le feu.

- Vendre Belle-Rose, s'écria Mathias, quand la récolte de 1825 est dans les caves!

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Je n'y puis rien.

Belle-Rose vaut six cent mille francs.

Natalie le rachètera, je le lui ai conseillé.

- Seize mille francs année commune, et des éventualités telles que 1825! Je pousserai moi-même Belle-Rose à sept cent mille francs, el chacune des fermes à cent vingt mille francs.

Tant mieux, je serai quitte, si mon hôtel de Bordeaux peut se

vendre deux cent mille francs.

- Solonet le paiera bien quelque chose de plus, il en a envie. Il se retire avec cent et quelques mille livres de rente gagnées à jouer sur les troix-six. Il a vendu son étude trois cent mille francs et il épouse une mulâtresse riche, Dieu sait à quoi elle a gagné son ar

gent, mais riche comme on dit, à millions. Un notaire jouer sur les trois-six? un notaire épouser une mulâtresse? Quel siècle! Il faisait valoir, dit-on, les fonds de votre belle-mère.

Elle a bien embelli Lanstrac et bien soigné les terres, elle m'a bien payé son loyer.

Je ne l'aurais jamais crue capable de se conduire ainsi.

Elle est si bonne et si dévouée, elle payait toujours les dettes de Natalie pendant les trois mois qu'elle venait passer à Paris.

- Elle le pouvait bien, elle vit sur Lanstrac, dit Mathias. Elle! devenir économe? quel miracle. Elle vient d'acheter entre Lanstrac et Grassol le domaine de Grainrouge, en sorte que si elle continue l'avenue de Lanstrac jusqu'à la grande route, vous pourriez faire une lieue et demie sur vos terres. Elle a payé cent mille francs comptant Grainrouge, qui vaut mille écus de rente en sac.

Elle est toujours belle, dit Paul. La vie de la campagne la conserve bien; je n'irai pas lui dire adieu, elle se saignerait pour moi.

- Vous iriez vainement, elle est à Paris. Elle y arrivait peut-être au moment où vous en partiez.

Elle a sans doute appris la vente de mes propriétés et vient à mon secours. Je n'ai pas à me plaindre de la vie. Je suis aimé, certes, autant qu'un homme peut l'être en ce bas monde, aimé par deux femmes qui luttaient ensemble de dévouement; elles étaient jalouses l'une de l'autre, la fille reprochait à la mère de m'aimer trop, la mère reprochait à la fille ses dissipations. Cette affection m'a perdu. Comment ne pas satisfaire aux moindres caprices d'une femme que l'on aime? le moyen de s'en défendre! Mais aussi comment accepter ces sacrifices? Oui, certes, nous pouvions liquider ma fortune et venir vivre à Lanstrac; mais j'aime mieux aller aux Indes et en rapporter une fortune que d'arracher Natalie à la vie qu'elle aime. Aussi est-ce moi qui lui ai proposé la séparation de biens. Les femmes sont des anges qu'il ne faut jamais mêler aux intérêts de la vie.

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Le vieux Mathias écoutait Paul d'un air de doute et d'étonnement.

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Vous n'avez pas d'enfants? lui dit-il.

Heureusement, répondit Paul.

Je comprends autrement le mariage, répondit naïvement le vieux notaire. Une femme doit, selon moi, partager le sort bon ou mauvais de son mari. J'ai entendu dire que les jeunes mariés qui 17

COM. HUM. T. III.

s'aimaient comme des amants n'avaient pas d'enfants. Le plaisir estil donc le seul but du mariage? N'est-ce pas plutôt le bonheur et la famille? Mais vous aviez à peine vingt-huit ans, et madame la comtesse en avait vingt; vous étiez excusable de ne songer qu'à l'amour. Cependant, la nature de votre contrat et votre nom, vous allez me trouver bien notaire? tout vous obligeait à commencer par faire un bon gros garçon. Oui, monsieur le comte, et si vous aviez eu des filles, il n'aurait pas fallu s'arrêter que vous n'ayez eu l'enfant mâle qui consolidait le majorat. Mademoiselle Évangélista n'était-elle pas forte, avait-elle à craindre quelque chose de la maternité? Vous me direz que ceci est une vieille méthode de nos ancêtres; mais, dans les familles nobles, monsieur le comte, une femme légitime doit faire les enfants et les bien élever comme le disait la duchesse de Sully, la femme du grand Sully, une femme n'est pas un instrument de plaisir, mais l'honneur et la vertu de la maison.

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Vous ne connaissez pas les femmes, mon bon Mathias, dit Paul. Pour être heureux, il faut les aimer comme elles veulent être aimées. N'y a-t-il pas quelque chose de brutal à sitôt priver une femme de ses avantages, à lui gâter sa beauté sans qu'elle en ait joui?

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Si vous aviez eu des enfants, la mère aurait empêché les dissipations de la femme, elle serait restée au logis...

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Si vous aviez raison, mon cher, dit Paul en fronçant le sourcil, je serais encore plus malheureux. N'aggravez pas mes douleurs par une morale après la chute, laissez-moi partir sans arrièrepensée.

Le lendemain Mathias reçut une lettre de change de cent cinquante mille francs payable à vue, envoyée par Henri de Marsay.

Vous voyez, dit Paul, il ne m'écrit pas un mot, il commence par obliger. Henri est la nature la plus parfaitement imparfaite, la plus illégalement belle que je connaisse. Si vous saviez avec quelle supériorité cet homme encore jeune plane sur les sentiments, sur les intérêts, et quel grand politique il est, vous vous étonneriez comme moi de lui savoir tant de cœur.

Mathias essaya de combattre la détermination de Paul, mais elle était irrévocable, et justifiée par tant de raisons valables que le vieux notaire ne tenta plus de retenir son client. Il est rare que le départ des navires en charge se fasse avec exactitude; mais par une circonstance fatale à Paul, le vent fut propice, et la Belle-Amélie

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