Obrázky na stránke
PDF
ePub

lé parchemin d'un olim, ridée comme un lac froncé par le vent, à yeux gris, à grandes dents saillantes, à mains d'homme, assez petite, un peu déjetée et peut-être bossue; mais personne n'avait été curieux de connaître ni ses perfections ni ses imperfections. Vêtue dans le goût de mademoiselle du Guénic, elle mouvait une énorme quantité de linges et de jupes quand elle voulait trouver l'une des deux ouvertures de sa robe par où elle atteignait ses poches. Le plus étrange cliquetis de clefs et de monnaie retentissait alors sous ces étoffes. Elle avait toujours d'un côté toute la ferraille des bonnes ménagères, et de l'autre sa tabatière d'argent, son dé, son tricot, autres ustensiles sonores. Au lieu du béguin matelassé de mademoiselle du Guénic, elle portait un chapeau vert avec lequel elle devait aller visiter ses melons; il avait passé, comme eux, du vert au blond; et quant à sa forme, après vingt ans, la mode l'a ramenée à Paris sous le nom de bibi. Ce chapeau se confectionnait sous ses yeux par les mains de ses nièces, avec du florence vert acheté à Guérande, avec une carcasse qu'elle renouvelait tous les cinq ans à Nantes, car elle lui accordait la durée d'une législature. Ses nièces lui faisaient également ses robes, taillées sur des patrons immuables. Cette vieille fille avait encore la canne à petit bec de laquelle les femmes se servaient au commencement du règne de Marie-Antoinette. Elle était de la plus haute noblesse de Bretagne. Ses armes portaient les hermines des anciens ducs. En elle et sa sœur finissait l'illustre maison bretonne des Pen-Hoël. Sa sœur cadette avait épousé un Kergarouët, qui malgré la désapprobation du pays joignait le nom de Pen-Hoël au sien et se faisait appeler le vicomte de Kergarouët-Pen-Hoël. - Le ciel l'a puni, disait la vieille demoiselle, il n'a que des filles, et le nom de Kergarouët-Pen-Hoël s'éteindra. Mademoiselle de PenHoël possédait environ sept mille livres de rentes en fonds de terre. Majeure depuis trente-six ans, elle administrait elle-même ses biens, allait les inspecter à cheval et déployait en toute chose le caractère ferme qui se remarque chez la plupart des bossus. Elle était d'une avarice admirée à dix lieues à la ronde, et qui n'y rencontrait aucune désapprobation. Elle avait avec elle une seule femme et ce petit domestique. Toute sa dépense, non compris les impôts, ne montait pas à plus de mille francs par an. Aussi étaitelle l'objet des cajoleries des Kergarouët-Pen-Hoël, qui passaient leurs hivers à Nantes et les étés à leur terre située au bord de la

Loire, au-dessous de l'Indret. On la savait disposée à donner sa fortune et ses économies à celle de ses nièces qui lui plairait. Tous les trois mois, une des quatre demoiselles de Kergarouët, dont la plus jeune avait douze et l'aînée vingt ans, venait passer quelques jours chez elle. Amie de Zéphirine du Guénic, Jacqueline de PenHoël, élevée dans l'adoration des grandeurs bretonnes des du Guénic, avait, dès la naissance de Calyste, formé le projet de transmettre ses biens au chevalier en le mariant à l'une des nièces que devait lui donner la vicomtesse de Kergarouët-Pen-Hoël. Elle pensait à racheter quelques unes des meilleures terres des du Guénic en remboursant les fermiers engagistes. Quand l'avarice se propose un but, elle cesse d'être un vice, elle est le moyen d'une vertu, ses privations excessives deviennent de continuelles offrandes, elle a enfin la grandeur de l'intention cachée sous ses petitesses. Peut-être Zéphirine était-elle dans le secret de Jacqueline. Peut-être la baronne, dont tout l'esprit était employé dans son amour pour son fils et dans sa tendresse pour le père, avait-elle deviné quelque chose en voyant avec quelle malicieuse persévérance mademoiselle de Pen-Hoël amenait avec elle chaque jour Charlotte de Kergarouët, sa favorite, âgée de quinze ans. Le curé Grimont était certes dans la confidence, il aidait la vieille fille à bien placer son argent. Mais mademoiselle de Pen-Hoël aurait-elle eu trois cent mille francs en or, somme à laquelle étaient évaluées ses économies; eût-elle eu dix fois plus de terres qu'elle n'en possédait, les du Guénic ne se seraient pas permis une attention qui pût faire croire à la vieille fille qu'on pensât à sa fortune. Par un sentiment de fierté bretonne admirable, Jacqueline de Pen-Hoël, heureuse de la suprématie affectée par sa vieille amie Zéphirine et par les du Guénic, se montrait toujours honorée de la visite que daignaient lui faire la fille des rois d'Irlande et Zéphirine. Elle allait jusqu'à cacher avec soin l'espèce de sacrifice auquel elle consentait tous les soirs en laissant son petit domestique brûler chez les du Guénic un oribus, nom de cette chandelle couleur de pain d'épice qui se consomme dans certaines parties de l'Ouest. Ainsi cette vieille et riche fille était la noblesse, la fierté, la grandeur en personne. Au moment où vous lisez son portrait, une indiscrétion de l'abbé Grimont a fait savoir que dans la soirée où le vieux baron, le jeune chevalier et Gasselin décampèrent munis de leurs sabres et de leurs canardières pour rejoindre

MADAME en Vendée, à la grande terreur de Fanny, à la grande joie des Bretons, mademoiselle de Pen-Hoël avait remis au baron une somme de dix mille livres en or, immense sacrifice corroboré de dix mille autres livres, produit d'une dîme récoltée par le curé que le vieux partisan fut chargé d'offrir à la mère de Henri V, au nom des Pen-Hoël et de la paroisse de Guérande. Cependant elle traitait Calyste en femme qui se croyait des droits sur lui; ses projets l'autorisaient à le surveiller; non qu'elle apportât des idées étroites en matière de galanterie, elle avait l'indulgence des vieilles femmes de l'ancien régime; mais elle avait en horreur les mœurs révolutionnaires. Calyste, qui peut-être aurait gagné dans son esprit par des aventures avec des Bretonnes, eût perdu considérablement s'il eût donné dans ce qu'elle appelait les nouveautés. Mademoiselle de Pen-Hoël, qui eût déterré quelque argent pour apaiser une fille séduite, aurait cru Calyste un dissipateur en lui voyant mener un tilbury, en l'entendant parler d'aller à Paris. Si elle l'avait surpris lisant des revues ou des journaux impies, on ne sait ce dont elle aurait été capable. Pour elle, les idées nouvelles, c'était les assolements de terre renversés, la ruine sous le nom d'améliorations et de méthodes, enfin les biens hypothéqués tôt ou tard par suite d'essais. Pour elle, la sagesse est le vrai moyen de faire fortune; enfin la belle administration consistait à amasser dans ses greniers ses blés noirs, ses seigles, ses chanvres; à attendre la hausse au risque de passer pour accapareuse, à se coucher sur ses sacs avec obstination. Par un singulier hasard, elle avait souvent rencontré des marchés heureux qui confirmaient ses principes. Elle passait pour malicieuse, elle était néanmoins sans esprit; mais elle avait un ordre de Hollandais, une prudence de chatte, une persistance de prêtre qui dans un pays si routinier équivalait à la pensée la plus profonde.

-

Aurons-nous ce soir monsieur du Halga? demanda la vieille fille en ôtant ses mitaines de laine tricotée après l'échange des compliments habituels.

- Oui, mademoiselle, je l'ai vu promenant sa chienne sur le mail, répondit le curé.

- Ah! notre mouche sera donc animée ce soir? répondit-elle. Hier nous n'étions que quatre.

A ce mot de mouche, le curé se leva pour aller prendre dans le tiroir d'un des bahuts un petit panier rond en fin osier, des jetons

[graphic][subsumed][merged small][merged small][subsumed]
« PredošláPokračovať »