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algébriques, de difficultés inouïes. Chacun préférait sa chère mouche, sa petite et agréable mouche. La mouche triompha des jeux modernes comme triomphaient partout les choses anciennes sur les nouvelles en Bretagne.

Pendant que le curé donnait les cartes, la baronne faisait au chevalier du Halga des questions pareilles à celles de la veille sur sa santé. Le chevalier tenait à honneur d'avoir des maux nouveaux. Si les demandes se ressemblaient, le capitaine de pavillon avait un avantage singulier dans ses réponses. Aujourd'hui les fausses côtes l'avaient inquiété. Chose remarquable, ce digne chevalier ne se plaignait jamais de ses blessures. Tout ce qui était sérieux, il s'y attendait, il le connaissait; mais les choses fantastiques, les douleurs de tête, les chiens qui lui mangeaient l'estomac, les cloches qui bourdonnaient à ses oreilles, et mille autres farfadets l'inquiétaient horriblement; il se posait comme incurable avec d'autant plus de raison que les médecins ne connaissent aucun remède contre les maux qui n'existent pas.

Hier il me semble que vous aviez des inquiétudes dans les jambes, dit le curé d'un air grave.

-

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Ça saute, répondit le chevalier.

Des jambes au fausses côtes? demanda mademoiselle Zéphirine. Ça ne s'est pas arrêté en chemin? dit mademoiselle de PenHoël en souriant.

Le chevalier s'inclina gravement en faisant un geste négatif passablement drôle qui eût prouvé à un observateur que, dans sa jeunesse, le marin avait été spirituel, aimant, aimé. Peut-être sa vie fossile à Guérande cachait-elle bien des souvenirs. Quand il était stupidement planté sur ses deux jambes de héron au soleil, au mail, regardant la mer ou les ébats de sa chienne, peut-être revivait-il dans le paradis terrestre d'un passé fertile en souvenirs.

Voilà le vieux duc de Lenoncourt mort, dit le baron en se rappelant le passage où sa femme en était restée de la Quotidienne. Allons, le premier gentilhomme de la chambre du roi n'a pas tardé de rejoindre son maître. J'irai bientôt aussi.

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Mon ami, mon ami! lui dit sa femme en frappant doucement sur la main osseuse et calleuse de son mari.

Laissez-le dire, ma sœur, dit Zéphirine, tant que je serai dessus il ne sera pas dessous : il est mon cadet.

Un gai sourire erra sur les lèvres de la vieille fille. Quand le báron

avait laissé échapper une réflexion de ce genre, les joueurs et les gens en visite se regardaient avec émotion, inquiets de la tristesse du roi de Guérande. Les personnages venus pour le voir se disaient en s'en allant : - Monsieur du Guénic était triste. Avez-vous vu comme il dort? Et le lendemain tout Guérande causait de cet événement. Le baron du Guénic baisse! Cette phrase ouvrait les conversations dans tous les ménages.

- Thisbé va bien ? demanda mademoiselle de Pen-Hoël au chevalier dès que les cartes furent données.

-Cette pauvre petite est comme moi, répondit le chevalier, elle a des maux de nerfs, elle relève constamment une de ses pattes en courant. Tenez, comme ça !

Pour imiter sa chienne et crisper un de ses bras en le levant, le chevalier laissa voir son jeu à sa voisine la bossue, qui voulait savoir s'il avait de l'atout ou le Mistigris. C'était une première finesse à laquelle il succomba.

Oh! dit la baronne, le bout du nez de monsieur le curé blanchit, il a Mistigris.

Le plaisir d'avoir Mistigris était si vif chez le curé, comme chez les autres joueurs, que le pauvre prêtre ne savait pas le cacher. Il est dans toute figure humaine une place où les secrets mouvements du cœur se trahissent, et ces personnes habituées à s'observer avaient fini, après quelques années, par découvrir l'endroit faible chez le curé quand il avait le Mistigris le bout de son nez blanchissait. On se gardait bien alors d'aller au jeu.

Vous avez eu du monde aujourd'hui chez vous? dit le chevalier à mademoiselle de Pen-Hoël.

- Oui, l'un des cousins de mon beau-frère. Il m'a surprise en m'annonçant le mariage de madame la comtesse de Kergarouët, une demoiselle de Fontaine...

-Une fille à Grand-Jacques, s'écria le chevalier qui pendant son séjour à Paris n'avait jamais quitté son amiral.

La comtesse est son héritière, elle a épousé un ancien ambassadeur. Il m'a raconté les plus singulières choses sur notre voisine, mademoiselle des Touches, mais si singulières que je ne veux pas les croire. Calyste ne serait pas si assidu chez elle, il a bien assez de bon sens pour s'apercevoir de pareilles monstruosités.

Monstruosités?... dit le baron réveillé par ce mot.

La baronne et le curé se jetèrent un regard d'intelligence. Les

cartes étaient données, la vieille fille avait Mistigris, elle ne voulut pas continuer cette conversation, heureuse de cacher sa joie à la faveur de la stupéfaction générale causée par son mot.

A vous de jeter une carte, monsieur le baron, dit-elle en poitrinant.

Mon neveu n'est pas de ces jeunes gens qui aiment les monstruosités, dit Zéphirine en fourgonnant sa tête.

Mistigris, s'écria mademoiselle de Pen-Hoël qui ne répondit pas à son amie.

Le curé, qui paraissait instruit de toute l'affaire de Calyste et de mademoiselle des Touches, n'entra pas en lice.

-Que fait-elle donc d'extraordinaire, mademoiselle des Touches? demanda le baron.

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Elle fume, dit mademoiselle de Pen-Hoël.

· C'est très-sain, dit le chevalier.

Ses terres?... demanda le baron.

- Ses terres, reprit la vieille fille, elle les mange.

Tout le monde y est allé, tout le monde est à la mouche, j'ai le roi, la dame, le valet d'atout, Mistigris et un roi, dit la baronne. A nous le panier, ma sœur.

Ce coup, gagné sans qu'on jouât, attéra mademoiselle de PenHoël, qui cessa de s'occuper de Calyste et de mademoiselle des Touches. A neuf heures il ne resta plus dans la salle que la baronne et le curé. Les quatre vieillards étaient allés se coucher. Le chevalier accompagna, selon son habitude, mademoiselle de Pen-Hoël jusqu'à sa maison, située sur la place de Guérande, en faisant des réflexions sur la finesse du dernier coup, sur leur plus ou moins de bonheur, ou sur le plaisir toujours nouveau avec lequel mademoiselle Zéphirine engouffrait son gain dans sa poche, car la vieille aveugle ne réprimait plus sur son visage l'expression de ses sentiments. La préoccupation de madame du Guénic fit les frais de cette conversation. Le chevalier avait remarqué les distractions de sa charmante Irlandaise. Sur le pas de sa porte, quand son petit domestique fut monté, la vieille fille répondit confidentiellement, aux suppositions faites par le chevalier du Halga sur l'air extraordinaire de la baronne, ce mot gros d'intérêt : J'en sais la cause. Calyste est perdu si nous ne le marions promptement. Il aime mademoiselle des Touches, une comédienne.

En ce cas, faites venir Charlotte.

Ma sœur aura ma lettre demain, dit mademoiselle de PenHoël en saluant le chevalier.

Jugez d'après cette soirée normale du vacarme que devaient produire dans les intérieurs de Guérande l'arrivée, le séjour, le départ ou seulement le passage d'un étranger.

Quand aucun bruit ne retentit plus ni dans la chambre du baron ni dans celle de sa sœur, madame du Guénic regarda le curé qui jouait pensivement avec des jetons.

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- J'ai deviné que vous avez enfin partagé mes inquiétudes sur Calyste, lui dit-elle.

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Avez-vous vu l'air pincé qu'avait mademoiselle de Pen-Hoël ce soir? demanda le curé.

-Oui, répondit la baronne.

-Elle a, je le sais, reprit le curé, les meilleures intentions pour notre cher Calyste, elle le chérit comme s'il était son fils; et sa conduite en Vendée aux côtés de son père, les louanges que MADAME a faites de son dévouement ont augmenté l'affection que mademoiselle de Pen-Hoël lui porte. Elle assurera par donation entre vifs toute sa fortune à celle de ses nièces que Calyste épousera. Je sais que vous avez en Irlande un parti beaucoup plus riche pour votre cher Calyste; mais il vaut mieux avoir deux cordes à son arc. Au cas où votre famille ne se chargerait pas de l'établissement de Calyste, la fortune de mademoiselle de Pen-Hoël n'est pas à dédaigner. Vous trouverez toujours pour ce cher enfant un parti de sept mille livres de rente; mais vous ne trouverez pas les économies de quarante ans ni des terres administrées, bâties, réparées comme le sont celles de mademoiselle de Pen-Hoël. Cette femme impie, mademoiselle des Touches, est venue gâter bien des choses! On a fini par avoir de ses nouvelles.

Hé! bien? dit la mère.

Oh! une gaupe, une gourgandine, s'écria le curé, une femme de mœurs équivoques, occupée de théâtre, hantant les comédiens et les comédiennes, mangeant sa fortune avec des folliculaires, des peintres, des musiciens, la société du diable, enfin ! Elle prend, pour écrire se livres, un faux nom sous lequel elle est, dit-on, plus connue que sous celui de Félicité des Touches. Une vraie baladine qui, depuis sa première communion, n'est entrée dans une église que pour y voir des statues ou des tableaux. Elle a dépensé sa fortune à décorer les Touches de la plus inconvenante façon, pour en

COM. HUM. T. III.

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aire un paradis de Mahomet où les houris ne sont pas femmes. Il s'y boit pendant son séjour plus de vins fins que dans tout Guérande durant une année. Les demoiselles Bougniol ont logé l'année dernière des hommes à barbe de bouc, soupçonnés d'être des Bleus, qui venaient chez elle et qui chantaient des chansons impies à faire rougir et pleurer ces vertueuses filles. Voilà la femme qu'adore en ce moment monsieur le chevalier. Elle voudrait avoir ce soir un de ces infâmes livres où les athées d'aujourd'hui se moquent de tout, le chevalier viendrait seller son cheval lui-même et partirait au grand galop le lui chercher à Nantes. Je ne sais si Calyste en ferait autant pour l'Église. Enfin elle n'est pas royaliste. Il faudrait aller faire le coup de fusil pour la bonne cause, si mademoiselle des Touches ou le sieur Camille Maupin, tel est son nom, je me le rappelle maintenant, voulait garder Calyste près de lui, le chevalier laisserait aller son vieux père tout seul.

Non, dit la baronne.

- Je ne voudrais pas le mettre à l'épreuve, vous pourriez trop en souffrir, répondit le curé. Tout Guérande est sens dessus dessous de la passion du chevalier pour cet être amphibie qui n'est ni homme ni femme, qui fume comme un housard, écrit comme un journaliste, et dans ce moment loge chez elle le plus vénéneux de tous les écrivains, selon le directeur de la poste, ce juste-milieu qui lit les journaux. Il en est question à Nantes. Ce matin, ce cousin de Kergarouët qui voudrait faire épouser à Charlotte un homme de soixante mille livres de rentes, est venu voir mademoiselle de Pen-Hoël et lui a tourné l'esprit avec des narrés sur mademoiselle des Touches qui ont duré sept heures. Voici dix heures quart moins qui sonnent au clocher, et Calyste ne rentre pas, il est aux Touches, peut-être n'en reviendra-t-il qu'au matin.

La baronne écoutait le curé, qui substituait le monologue au dialogue sans s'en apercevoir; il regardait son ouaille sur la figure de laquelle se lisaient des sentiments inquiets. La baronne rougissait et tremblait. Quand l'abbé Grimont vit rouler des larmes dans les beaux yeux de cette mère atterrée, il fut attendri.

Je verrai demain mademoiselle de Pen-Hoël, rassurez-vous, dit-il d'une voix consolante. Le mal n'est peut-être pas aussi grand qu'on le dit, je saurai la vérité. D'ailleurs mademoiselle Jacqueline a confiance en moi. Puis Calyste est notre élève et ne se laissera pas ensorceler par le démon. Il ne voudra pas troubler la paix dont

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