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solution, ce fait bizarre est sous nos yeux: les blondes sont assez rares parmi les Bretonnes qui presque toutes ont les yeux vifs des méridionaux; mais, au lieu d'offrir la taille élevée et les lignes serpentines de l'Italie ou de l'Espagne, elles sont généralement petites, ramassées, bien prises, fermes, hormis les exceptions de la classe élevée, qui se croisé par ses alliances aristocratiques. Mademoiselle des Touches, en vraie Bretonne de race, est d'une taille ordinaire ; elle n'a pas cinq pieds, mais on les lui donne. Cette erreur provient du caractère de sa figure, qui la grandit. Elle a ce teint olivâtre au jour et blanc aux lumières, qui distingue les belles Italiennes : vous diriez de l'ivoire animé. Le jour glisse sur cette peau comme sur un corps poli, il y brille; une émotion violente est nécessaire pour que de faibles rougeurs s'y infusent au milieu des joues, mais elles disparaissent aussitôt. Cette particularité prête à son visage une impassibilité de sauvage. Ce visage, plus long qu'ovale, ressemble à celui de quelque belle Isis des bas-reliefs éginétiques. Vous diriez la pureté des têtes de sphinx, polies par le feu des déserts, caressées par la flamme du soleil égyptien. Ainsi la couleur du teint est en harmonie avec la correction de cette tête. Les cheveux noirs et abondants descendent en nattes le long du col comme la coiffe à double bandelette rayée des statues de Memphis, et continue admirablement la sévérité générale de la forme. Le front est plein, large, renflé aux tempes, illuminé par des méplats où s'arrête la lumière, coupé, comme celui de la Diane chasseresse : un front puissant et volontaire, silencieux et calme. L'arc des sourcils, tracé vigoureusement, s'étend sur deux yeux dont la flamme scintille par moments comme celle d'une étoile fixe. Le blanc de l'œil n'est ni bleuâtre, ni semé de fils rouges, ni d'un blanc pur; il a la consistance de la corne, mais il est d'un ton chaud. La prunelle est bordée d'un cercle orange. C'est du bronze entouré d'or, mais de l'or vivant, du bronze animé. Cette prunelle a de la profondeur. Elle n'est pas doublée, comme dans certains yeux, par une espèce de tain qui renvoie la lumière et les fait ressembler aux yeux des tigres ou des chats; elle n'a pas cette inflexibilité terrible qui cause un frisson aux gens sensibles; mais cette profondeur a son infini, de même que l'éclat des yeux à miroir son absolu. Le regard de l'observateur peut se perdre dans cette âme qui se concentre et se retire avec autant de rapidité qu'elle faillit de ces yeux veloutés. Dans un moment de passion, l'œil de

Camille Maupin est sublime : l'or de son regard allume le blanc jaune, et tout flambe; mais au repos, il est terne, la torpeur de la méditation lui prête souvent l'apparence de la niaiserie; quand la lumière de l'âme y manque, les lignes du visage s'attristent également. Les cils sont courts, mais fournis et noirs comme des queues d'hermine. Les paupières sont brunes et semées de fibrilles rouges qui leur donnent à la fois de la grâce et de la force, deux qualités difficiles à réunir chez la femme. Le tour des yeux n'a pas la moindre flétrissure ni la moindre ride. Là encore, vous retrouverez le granit de la statue égyptienne adouci par le temps. Seulement, la saillie des pommettes, quoique douce, est plus accusée que chez les autres femmes et complète l'ensemble de force exprimé par la figure. Le nez, mince et droit, est coupé de narines obliques assez passionnément dilatées pour laisser voir le rose lumineux de leur délicate doublure. Ce nez continue bien le front auquel il s'unit par une ligne délicieuse, il est parfaitement blanc à sa naissance comme au bout, et ce bout est doué d'une sorte de mobilité qui fait merveille dans les moments où Camille s'indigne, se courrouce, se révolte. Là surtout, comme l'a remarqué Talma, se peint la colère ou l'ironie des grandes âmes. L'immobilité des narines accuse une sorte de sécheresse. Jamais le nez d'un avarc n'a vacillé : il est contracté comme la bouche; tout est clos dans son visage comme chez lui. La bouche arquée à ses coins est d'un rouge vif, le sang y abonde, il y fournit ce minium vivant et penseur qui donne tant de séductions à cette bouche et peut rassurer l'amant que la gravité majestueuse du visage effraierait. La lèvre supérieure est mince, le sillon qui l'unit au nez y descend assez bas comme dans un arc, ce qui donne un accent particulier à son dédain. Camille a peu de chose à faire pour exprimer sa colère. Cette jolie lèvre est bordée par la forte marge rouge de la lèvre inférieure, admirable de bonté, pleine d'amour, et que Phidias semble avoir posée comme le bord d'une grenade ouverte, dont elle a la couleur. Le menton se relève fermement ; il est un peu gras, mais il exprime la résolution et termine bien ce profil royal sinon divin. Il est nécessaire de dire que le dessous du nez est légèrement estompé par un duvet plein de grâce. La nature aurait fait une faute si elle n'avait jeté là cette suave fumée. L'oreille a des enroulements délicats, signe de bien des délicatesses cachées. Le buste est large. Le corsage est mince et suffisamment orné. Les hanches ont peu de saillie, mais elles

sont gracieuses. La chute des reins est magnifique, et rappelle plus le Bacchus que la Vénus Callipyge. Là se voit la nuance qui sépare de leur sexe presque toutes les femmes célèbres; elles ont là comme une vague similitude avec l'homme, elles n'ont ni la souplesse, ni l'abandon des femmes que la nature a destinées à la maternité; leur démarche ne se brise pas par un mouvement doux. Cette observation est comme bilatérale, elle a sa contre-partie chez les hommes dont les hanches sont presque semblables à celles des femmes quand ils sont fins, astucieux, faux et lâches. Au lieu de se creuser à la nuque, le col de Camille forme un contour renflé qui lie les épaules à la tête sans sinuosité, le caractère le plus évident de la force. Ce col présente par moments des plis d'une magnificence athlétique. L'attache des bras, d'un superbe contour, semble appartenir à une femme colossale. Les bras sont vigoureusement modelés, terminés par un poignet d'une délicatesse anglaise, par des mains mignonnes et pleines de fossettes, grasses, enjolivées d'ongles roses taillés en amandes et côtelés sur les bords, et d'un blanc qui annonce que le corps si rebondi, si ferme, si bien pris est d'un tout autre ton que le visage. L'attitude ferme et froide de cette tête est corrigée par la mobilité des lèvres, par leur changeante expression, par le mouvement artiste des narines. Mais, malgré ces promesses irritantes et assez cachées aux profanes, le calme de cette physionomie a je ne sais quoi de provoquant. Cette figure, plus mélancolique, plus sérieuse que gracieuse, est frappée par la tristesse d'une méditation constante. Aussi mademoiselle des Touches écoute-t-elle plus qu'elle ne parle. Elle effraie par son silence et par ce regard profond d'une profonde fixité. Personne, parmi les gens vraiment instruits, n'a pu la voir sans penser à la vraie Cléopâtre, à cette petite brune qui faillit changer la face du monde; mais chez Camille, l'animal est si complet, si bien ramassé, d'une nature si léonine, qu'un homme quelque peu Turc regrette l'assemblage d'un si grand esprit dans un pareil corps, et le voudrait tout femme. Chacun tremble de rencontrer les corruptions étranges d'une âme diabolique. La froideur de l'analyse, le positif de l'idée n'éclairentils pas les passions chez elle? Cette fille ne juge-t-elle pas au lieu de sentir? ou, phénomène encore plus terrible, ne sent-elle pas et ne juge-t-elle pas à la fois? pouvant tout par son cerveau, doitelle s'arrêter là où s'arrêtent les autres femmes ? Cette force intellectuelle laisse-t-elle le cœur faible? A-t-elle de la grâce? Descend

elle aux riens touchants par lesquels les femmes occupent, amusent, intéressent un homme aimé? Ne brise-t-elle pas un sentiment quand il ne répond pas à l'infini qu'elle embrasse et contemple? Qui peut combler les deux précipices de ses yeux? On a peur de trouver en elle je ne sais quoi de vierge, d'indompté. La femme forte ne doit être qu'un symbole, elle effraie à voir en réalité. Camille Maupin est un peu, mais vivante, cette Isis de Schiller, cachée au fond du temple, et aux pieds de laquelle les prêtres trouvaient expirant les hardis lutteurs qui l'avaient consultée. Les aventures tenues pour vraies par le monde et que Camille ne désavoue point, confirment les questions suggérées par son aspect. Mais peut-être aime-t-elle cette calomnie? La nature de sa beauté n'a pas été sans influence sur sa renommée : elle l'a servie, de même que sa fortune et sa position l'ont maintenue au milieu du monde. Quand un statuaire voudra faire une admirable statue de la Bretagne, il peut copier mademoiselle des Touches. Ce tempérament sanguin, bilieux, est le seul qui puisse repousser l'action du temps. La pulpe incessamment nourrie de cette peau comme vernissée est la seule arme que la nature ait donnée aux femmes pour résister aux rides, prévenues d'ailleurs chez Camille par l'impassibilité de la figure.

En 1817, cette charmante fille ouvrit sa maison aux artistes, aux auteurs en renom, aux savants, aux publicistes vers lesquels ses instincts la portaient. Elle eut un salon semblable à celui du baron Gérard, où l'aristocratie se mêlait aux gens illustres, où vinrent les femmes. La parenté de mademoiselle des Touches et sa fortune, augmentée de la succession de sa tante religieuse, la protégèrent dans l'entreprise, si difficile à Paris, de se créer une société. Son indépendance fut une raison de son succès. Beaucoup de mères ambitieuses concurent l'espoir de lui faire épouser leurs fils dont la fortune était en désaccord avec la beauté de leurs écussons. Quelques pairs de France, alléchés par quatre-vingt mille livres de rentes, séduits par cette maison magnifiquement montée, y amenèrent leurs parentes les plus revêches et les plus difficiles. Le monde diplomatique, qui recherche les amusements de l'esprit, y vint et s'y plut. Mademoiselle des Touches, entourée de tant d'intérêts, put donc étudier les différentes comédies que la passion, l'avarice, l'ambition font jouer à tous les hommes, même les plus élevés. Elle vit de bonne heure le monde comme il est, et fut assez heureuse pour ne pas éprouver promptement cet amour entier qui hé

rite de l'esprit, des facultés de la femme et l'empêche alors de juger sainement. Ordinairement la femme sent, jouit et juge successivement; de là trois âges distincts, dont le dernier coïncide avec la triste époque de la vieillesse. Pour mademoiselle des Touches, l'ordre fut renversé. Sa jeunesse fut enveloppée des neiges de la science et des froideurs de la réflexion. Cette transposition explique encore la bizarrerie de son existence et la nature de son talent. Elle observait les hommes à l'âge où les femmes ne peuvent en voir qu'un, elle méprisait ce qu'elles admirent, elle surprenait des mensonges dans les flatteries qu'elles acceptent comme des vérités, elle riait de ce qui les rend graves. Ce contre-sens dura longtemps, mais il eut une fin terrible: elle devait trouver en elle, jeune et frais, le premier amour, au moment où les femmes sont sommées par la nature de renoncer à l'amour. Sa première liaison fut si secrète que personne ne la connut. Félicité, comme toutes les femmes livrées au bon sens du cœur, fut portée à conclure de la beauté du corps à celle de l'âme, elle fut éprise d'une figure, et connut toute la sottise d'un homme à bonnes fortunes qui ne vit qu'une femme en elle. Elle fut quelque temps à se remettre de son dégoût et de ce mariage insensé. Sa douleur, un homme la devina, la consola sans arrière-pensée, ou du moins sut cacher ses projets. Félicité crut avoir trouvé la noblesse de cœur et l'esprit qui manquaient au dandy. Cet homme possède un des esprits les plus originaux de ce temps. Lui-même écrivait sous un pseudonyme, et ses premiers écrits annoncèrent un adorateur de l'Italie. Félicité devait voyager sous peine de perpétuer la seule ignorance qui lui restât. Cet homme sceptique et moqueur emmena Félicité pour connaître la patrie des arts. Ce célèbre inconnu peut passer pour le maître et le créateur de Camille Maupin. Il mit en ordre les immenses connaissances de Félicité, les augmenta par l'étude des chefs-d'œuvre qui meublent l'Italie, lui donna ce ton ingénieux et fin, épigrammatique et profond qui est le caractère de son talent à lui, toujours un peu bizarre dans la forme, mais que Camille Maupin modifia par la délicatesse de sentiment et le tour ingénieux naturels aux femmes ; il lui inculqua le goût des œuvres de la littérature anglaise et allemande, et lui fit apprendre ces deux langues en voyage. A Rome, en 1820, mademoiselle des Touches fut quittée pour une Italienne. Sans ce malheur, peut-être n'eût-elle jamais été célèbre. Napoléon a surnommé l'infortune la sage-femme du génie. Cet événement inspira pour

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