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toute la violence que donne un bonheur inespéré. Mais tout à coup la marquise s'arracha des bras de son amant, lui jeta le regard fixe d'une femme au désespoir, le prit par la main, saisit un flambeau, l'entraîna dans sa chambre à coucher; puis, parvenue au lit où dormait Hélène, elle repoussa doucement les rideaux et découvrit son enfant en mettant une main devant la bougie, afin que la clarté n'offensât pas les paupières transparentes et à peine fermées de la petite fille. Hélène avait les bras ouverts, et souriait en dormant. Julie montra par un regard son enfant à lord Grenville. Ce regard disait tout.

Un mari, nous pouvons l'abandonner même quand il nous aime. Un homme est un être fort, il a des consolations. Nous pouvons mépriser les lois du monde. Mais un enfant sans mère !

Toutes ces pensées et mille autres plus attendrissantes encore étaient dans ce regard.

Nous pouvons l'emporter, dit l'Anglais en murmurant, je l'aimerai bien...

Maman! dit Hélène en s'éveillant.

A ce mot, Julie fondit en larmes. Lord Grenville s'assit et resta les bras croisés, muet et sombre.

- Maman! Cette jolie, cette naïve interpellation réveilla tant de sentiments nobles et tant d'irrésistibles sympathies, que l'amour fut un moment écrasé sous la voix puissante de la maternité. Julie ne fut plus femme, elle fut mère. Lord Grenville ne résista pas longtemps, les larmes de Julie le gagnèrent. En ce moment, une porte ouverte avec violence fit un grand bruit, et ces mots : Madame d'Aiglemont, es-tu par ici ? retentirent comme un éclat de tonnerre au cœur des deux amants. Le marquis était revenu. Avant que Julie eût pu retrouver son sang-froid, le général se dirigeait de sa chambre dans celle de sa femme. Ces deux pièces étaient contigues. Heureusement, Julie fit un signe à lord Grenville qui alla se jeter dans un cabinet de toilette dont la porte fut vivement ferinée par la marquise.

Eh bien, ma femme, lui dit Victor, me voici. La chasse n'a pas lieu. Je vais me coucher.

Bonsoir, lui dit-elle, je vais en faire autant. Ainsi laissez-moi me déshabiller.

Vous êtes bien revêche ce soir. Je vous obéis, madame la marquise.

Le général rentra dans sa chambre, Julie l'accompagna pour fermer la porte de communication, et s'élança pour délivrer lord Grenville. Elle retrouva toute sa présence d'esprit, et pensa que la visite de son ancien docteur était fort naturelle; elle pouvait l'avoir laissé au salon pour venir coucher sa fille, elle allait lui dire de s'y rendre sans bruit ; mais quand elle ouvrit la porte du cabinet, elle jeta un cri perçant. Les doigts de lord Grenville avaient été pris et écrasés dans la rainure.

Eh bien, qu'as-tu donc ? lui demanda son mari.

- Rien, rien, répondit-elle, je viens de me piquer le doigt avec une épingle.

La porte de communication se rouvrit tout à coup. La marquise crut que son mari venait par intérêt pour elle, et maudit cette sollicitude où le cœur n'était pour rien. Elle eut à peine le temps de fermer le cabinet de toilette, et lord Grenville n'avait pas encore pu dégager sa main. Le général reparut en effet; mais la marquise se trompait, il était amené par une inquiétude personnelle.

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– Peux-tu me prêter un foulard? Ce drôle de Charles me laisse sans un seul mouchoir de tête. Dans les premiers jours de notre mariage, tu te mêlais de mes affaires avec des soins si minutieux que tu m'en ennuyais. Ah! le mois de miel n'a pas beaucoup duré pour moi, ni pour mes cravates. Maintenant je suis livré au bras séculier de ces gens-là qui se moquent tous de moi.

- Tenez, voilà un foulard. Vous n'êtes pas entré dans le salon? - Non.

Vous y auriez peut-être encore rencontré lord Grenville. - Il est à Paris?

-Apparemment.

-

-Oh! j'y vais, ce bon docteur.

Mais il doit être parti, s'écria Julie.

Le marquis était en ce moment au milieu de la chambre de sa femme, et se coiffait avec le foulard, en se regardant avec complaisance dans la glace.

Je ne sais pas où sont nos gens, dit-il. J'ai sonné Charles déjà trois fois, il n'est pas venu. Vous êtes donc sans votre femme de chambre? Sonnez-la, je voudrais avoir cette nuit une couverture de plus à mon lit.

-Pauline est sortie, répondit sèchement la marquise.

- A minuit! dit le général.

-Je lui ai permis d'aller à l'Opéra.

- Cela est singulier! reprit le mari tout en se déshabillant, j'ai cru la voir en montant l'escalier.

- Elle est alors sans doute rentrée, dit Julie en affectant de l'impatience.

Puis, pour n'éveiller aucun soupçon chez son mari, la marquise tira le cordon de la sonnette, mais faiblement.

Les événements de cette nuit n'ont pas été tous parfaitement connus; mais tous durent être aussi simples, aussi horribles que le sont les incidents vulgaires et domestiques qui précèdent. Le lendemain, la marquise d'Aiglemont se mit au lit pour plusieurs jours.

Qu'est-il donc arrivé de si extraordinaire chez toi, pour que tout le monde parle de ta femme? demanda monsieur de Ronquerolles à M. d'Aiglemont quelques jours après cette nuit de catastrophes.

-Crois-moi, reste garçon, dit d'Aiglemont. Le feu a pris aux rideaux du lit où couchait Hélène; ma femme a eu un tel saisissement que la voilà malade pour un an, dit le médecin. Vous épousez une jolie femme, elle enlaidit; vous épousez une jeune fille pleine de santé, elle devient malingre; vous la croyez passionnée, elle est froide; ou bien, froide en apparence, elle est réellement si passionnée qu'elle vous tue ou vous déshonore. Tantôt la créature la plus douce est quinteuse, et jamais les quinteuses ne deviennent douces; tantôt, l'enfant que vous avez eue niaise et faible, déploie contre vous une volonté de fer, un esprit de démon. Je suis las du mariage.

- Ou de ta femme.

Cela serait difficile. A propos, veux-tu venir à Saint-Thomasd'Aquin avec moi voir l'enterrement de lord Grenville?

Singulier passe-temps. Mais, reprit Ronquerolles, sait-on décidément la cause de sa mort?

-Son valet de chambre prétend qu'il est resté pendant toute une nuit sur l'appui extérieur d'une fenêtre pour sauver l'honneur de sa maîtresse ; et, il a fait diablement froid ces jours-ci!

- Ce dévouement serait très-estimable chez nous autres, vieux routiers; mais lord Grenville est jeune, ct.... Anglais. Ces Anglais veulent toujours se singulariser.

-Bah! répondit d'Aiglemont, ces traits d'héroïsme dépendent

de la femme qui les inspire, et ce n'est certes pas pour la mienne que ce pauvre Arthur est mort!

II.

SOUFFRANCES INCONNUES.

Entre la petite rivière du Loing et la Seine, s'étend une vaste plaine bordée par la forêt de Fontainebleau, par les villes de Moret, de Nemours et de Montereau. Cet aride pays n'offre à la vue que de rares monticules; parfois, au milieu des champs, quelques carrés de bois qui servent de retraite au gibier; puis, partout, ces lignes sans fin, grises ou jaunâtres, particulières aux horizons de la Sologne, de la Beauce et du Berri. Au milieu de cette plaine, entre Moret et Montereau, le voyageur aperçoit un vieux château nommé Saint-Lange, dont les abords ne manquent ni de grandeur ni de majesté. Ce sont de magnifiques avenues d'ormes, des fossés, de longs murs d'enceinte, des jardins immenses, et les vastes constructions seigneuriales, qui pour être bâties voulaient les profits de la maltôte, ceux des fermes générales, les concussions autorisées ou les grandes fortunes aristocratiques détruites aujourd'hui par le marteau du Code civil. Si l'artiste ou quelque rêveur vient à s'égarer par hasard dans les chemins à profondes ornières ou dans les terres fortes qui défendent l'abord de ce pays, il se demande par quel caprice ce poétique château fut jeté dans cette savane de blé, dans ce désert de craie, de marne et de sables où la gaieté meurt, où la tristesse naît infailliblement, où l'âme est incessamment fatiguée par une solitude sans voix, par un horizon monotone, beautés négatives, mais favorables aux souffrances qui ne veulent pas de consolations.

Une jeune femme, célèbre à Paris par sa grâce, par sa figure, par son esprit, et dont la position sociale, dont la fortune étaient en harmonie avec sa haute célébrité, vint, au grand étonnement du petit village, situé à un mille environ de Saint-Lange, s'y établir vers la fin de l'année 1820. Les fermiers et les paysans n'avaient point vu de maîtres au château depuis un temps immémorial. Quoique d'un produit considérable, la terre était abandonnée aux soins d'un régisseur et gardée par d'anciens serviteurs. Aussi le voyage

de madame la marquise causa-t-il une sorte d'émoi dans le pays. Plusieurs personnes étaient groupées au bout du village, dans la cour d'une méchante auberge, sise à l'embranchement des routes de Nemours et de Moret, pour voir passer une calèche qui allait assez lentement, car la marquise était venue de Paris avec ses chevaux. Sur le devant de la voiture, la femme de chambre tenait une petite fille plus songeuse que rieuse. La mère gisait au fond, comme un moribond envoyé par les médecins à la campagne. La physionomie abattue de cette jeune femme délicate contenta fort peu les politiques du village, auxquels son arrivée à Saint-Lange avait fait concevoir l'espérance d'un mouvement quelconque dans la commune. Certes, toute espèce de mouvement était visiblement antipathique à cette femme endolorie.

La plus forte tête du village de Saint-Lange déclara le soir au cabaret, dans la chambre où buvaient les notables, que, d'après la triste empreinte sur les traits de madame la marquise, elle devait être ruinée. En l'absence de monsieur le marquis, que les journaux désignaient comme devant accompagner le duc d'Angoulême en Espagne, elle allait économiser à Saint-Lange les sommes nécessaires à l'acquittement des différences dues par suite de fausses spéculations faites à la Bourse. Le marquis était un des plus gros joueurs. Peut-être la terre serait-elle vendue par petits lots. Il y aurait alors de bons coups à faire. Chacun devait songer à compter ses écus, les tirer de leur cachette, énumérer ses ressources, afin d'avoir sa part dans l'abatis de Saint-Lange. Cet avenir parut si beau que chaque notable, impatient de savoir s'il était fondé, pensa aux moyens d'apprendre la vérité par les gens du château; mais aucun d'eux ne put donner de lumières sur la catastrophe qui amenait leur maîtresse, au commencement de l'hiver, dans son vieux château de Saint-Lange, tandis qu'elle possédait d'autres terres renommées par la gaieté des aspects et par la beauté des jardins. Monsieur le maire vint pour présenter ses hommages à Madame; mais il ne fut pas reçu. Après le maire, le régisseur se présenta sans plus de succès.

Madame la marquise ne sortait de sa chambre que pour la laisser arranger, et demeurait, pendant ce temps, dans un petit salon voisin où elle dînait, si l'on peut appeler dîner se mettre à une table, y regarder les mets avec dégoût, et en prendre précisément la dose nécessaire pour ne pas mourir de faim, Puis elle revenait aussitôt à

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