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soutenir que toutes les Religions sont indifférentes, c'est-à-dire, également bonnes, ou également vraies; car ces deux choses sont inséparablement liées dans ses principes: laissons-le s'expliquer lui-même.

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Je regarde toutes les Religions particulières >> comme autant d'institutions salutaires, qui prescrivent, dans chaque pays, une manière uni>> forme d'honorer Dieu par un culte public, et qui peuvent toutes avoir leur raison dans le cli» mat, dans le gouvernement, dans le génie du peuple, ou dans quelque autre cause locale qui » rend l'une préférable à l'autre (1). » Et encore: » Honorez, en général, tous les fondateurs de vos » cultes respectifs; que chacun rende au sien ce qu'il croit lui devoir; mais qu'il ne méprise point » celui des autres. Ils ont eu de grands génies et » de grandes vertus; cela est toujours estimable. » Ils se sont dits les envoyés de Dieu; cela peut » être et n'être pas (2). ›

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C'est la première fois que j'entends parler des grandes vertus de Mahomet. Au reste, comme il seroit absurde de supposer que des envoyés de Dieu enseignassent l'erreur, et que, d'autre part, une Religion fondée sur l'imposture ne sauroit être une vraie Religion, la dernière phrase que j'ai citée signifie littéralement : Il est possible que

(1) Emile, tom. III, pag. 184.

(2) Lettre à M. de Beaumont, pag. 184.

toutes les Religions soient vraies, il est possible qu'elles soient toutes fausses. Ainsi l'on peut choisir entre cette proposition et ces deux autres, qui ne se déduisent pas moins naturellement des principes de Rousseau : Toutes les Religions sont également vraies; il n'existe qu'une seule vraie Religion.

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Pour un lecteur qui veut s'entendre, ce n'est pas un léger travail que de chercher à mettre l'auteur d'Emile d'accord avec lui-même. Cette tâche a de quoi rebuter le plus subtil argumentateur. Ainsi, à quelques pages de distance, Rousseau nous apprend qu'il y a « des dogmes que tout homme est obligé de croire (1),» et «< qu'il n'y a » de vraiment essentiels que les devoirs de la mo» rale (2). » Et, comme pour rendre la contradiction plus sensible, il ajouté immédiatement que « le culte intérieur est le premier de ces de» voirs, » et que « sans la foi, nulle véritable vertu n'existe (3). » Quelle étrange confusion d'idées! Le culte intérieur est-il la morale? La foi est-elle la morale? Et si nulle vertu n'existe sans la foi, comment la vertu peut-elle être un devoir essentiel, sans que la foi le soit aussi?

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Dès qu'on s'écarte du vrai, la raison, dépourvue de point d'appui, et semblable à un vaisseau

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qui n'est plus maître de ses mouvemens, flotte au hasard, et suit tour à tour les directions les plus opposées. L'inconséquence est toujours la compagne de l'erreur, parce que l'homme ne se détache jamais de toutes les vérités à la fois, et que celles qu'il retient, incompatibles avec l'erreur, le forcent de se contredire inévitablement. C'est ce qui arrive à Rousseau presque à chaque page. Dans l'incertitude où nous sommes, dit-il, c'est » une inexcusable présomption de professer une » autre Religion que celle où l'on est né, et une » fausseté de ne pas pratiquer sincèrement celle qu'on professe (1). » Quelques lignes auparavant, il fait ainsi parler son personnage fictif: Reprenez la Religion de vos pères (la Religion de Calvin)....... elle est très-simple et trèssainte; je la crois, de toutes les Religions qui » sont sur la terre, celle dont la morale est la plus pure, et dont la raison se contente le » mieux (2)..

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1o Il y a donc, à son jugement même, divers degrés d'incertitude, et par conséquent des motifs de préférence, puisqu'il existe une Religion dont la raison se contente le mieux. Or, sur quel fondement seroit-on obligé de vivre dans une Religion dont la raison se contenteroit moins? JeanJacques reproche faussement au Christianisme

(1) Emile, tom. III, pag. 195. (2) Ibid.

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d'exiger le sacrifice absolu de la raison, et voici qu'il fait un devoir aux hommes d'agir contre les lumières de leur raison. A quoi donc sera-t-elle bonne, si nous ne devons pas la consulter sur un point d'où dépend notre sort éternel? Rousseau nous apprend, dans ses Confessions, qu'il s'est fort bien trouvé de jeter son salut à croix ou pile; et il conseille, en conséquence, à tout le monde d'en faire autant. De peur d'être trompé ou de se tromper, il exclut tout ensemble l'autorité et la raison; c'est beaucoup aussi : ne pourroit-on pas composer? Le hasard a son prix sans doute; cependant la philosophie me semble surfaire un

peu.

2° Aux yeux de Rousseau, le calvinisme est une Religion très-simple et très-sainte. Or, une Religion très-sainte est une Religion très-vraie; autrement, que signifieroit ce mot sainte? L'incertitude dont l'auteur d'Emile nous effrayoit tout à l'heure n'est donc pas au fond si redoutable, puisqu'elle ne l'a pas empêché de découvrir une Religion très-vraie? Les autres étant nécessairement fausses, pourquoi ne seroit-il pas permis de les quitter pour celle-là? L'unique difficulté consiste à discerner la seule bonne: or, la voilà, selon Rousseau ; il n'y a plus de risque de s'y méprendre ; et quand, revenant sur ses aveux, il supposeroit toutes les Religions bonnes, mais non pas au même degré; quand la question seroit de savoir quelle est la meilleure, encore ne devroit-on point hésiter;

car je ne pense pas qu'il prétendît qu'on dût être arrêté par la crainte qu'il existât une Religion plus que très-vraie.

3o A l'en croire, il n'y a de vraiment essentiels que les devoirs de la morale: soit; c'est donc un devoir essentiel d'embrasser la Religion dont la morale est la plus pure? Point du tout; c'est au contraire une inexcusable présomption.

Cette conséquence est tellement absurde, qu'elle a contraint Rousseau de modifier lui-même ses principes, mais en passant, dans une note, pour ne pas déranger apparemment la parfaite régularité du texte. Quoi qu'il en soit, il convient que «< le devoir de suivre et d'aimer la Religion de son » pays, ne s'étend pas jusqu'aux dogmes contraires » à la bonne morale (1). » Ne demandez rien de plus; vous n'obtiendrez pas d'autre concession. Celle-ci n'est déjà peut-être que trop embarrassante; car, sans préceptes religieux, sans loi positive, comment distinguer avec certitude ce qui est ou non contraire à la bonne morale? Enfin chacun s'en tirera de son mieux. Mais, quant au reste, fussiez-vous convaincu mille fois que tel dogmè est faux, et par conséquent nuisible, et par conséquent injurieux à la vérité suprême, au nom de la philosophie, il vous est enjoint de l'aimer; c'est pour vous un devoir, et sûrement un devoir de morale, puisqu'il n'y a d'essentiels que ceux-là. L'au

(1) Emile, tom. III, pag. 187.

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