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culatifs? Sur quels principes, d'après quelles règles procédera-t-on à cet examen? D'après la règle de la conscience? A ce compte, chacun restera tranquillement dans sa Religion; car je ne sache pas que la conscience du musulman, du Chinois, de l'Indou, du Taïtien, en ait jusqu'à présent dégoûté aucun de son culte. On consultera la raison, dites-vous. J'entends; on remettra la morale en problème, et cela nécessairement; car, pour juger si un dogme est contraire à la bonne morale, il faut d'abord connoître avec certitude cette bonne morale. On raisonnera donc, comme les philosophes de la Grèce et comme ceux de notre temps, à perte de vue sur les devoirs; et, las d'en chercher en vain le fondement dans de vagues abstractions, on les niera pour en finir. Cette marche fut toujours celle de la philosophie. Qu'on me nomme une vertu qu'elle ait respectée, un vice dont elle ait rougi de se rendre l'apologiste. Depuis Aristippe jusqu'à Diderot, elle n'a jamais su que mettre les passions à l'aise, en s'efforçant de concilier les devoirs de l'homme avec ses penchans, ou plutôt en faisant de ses penchans l'unique règle de ses devoirs. Aussi n'est-il point de Religion, fût-ce celle des Druides, dont la morale ne soit préférable à la morale philosophique. Les Druides au moins recommandoient les vertus qui maintiennent le bon ordre dans les familles, le respect pour la vieillesse, la fidélité conjugale; ils immoloient, à la vérité, des victimes

humaines à leurs divinités sanguinaires; mais depuis qu'à son tour la philosophie a trouvé bon d'en immoler, et en plus grand nombre, à une divinité non moins terrible, je ne vois pas qu'elle offre, même sous ce rapport, aucun avantage; à moins peut-être qu'il ne soit plus consolant, plus doux, plus conforme à la dignité de l'homme, d'être égorgé sur les autels de la déesse Raison, que sur ceux du dieu Teutates.

que,

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que

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L'expérience prouve donc considère la morale indépendamment de la Religion, la morale devient aussi problématique que la Religion même. Ainsi la restriction Rousseau met à son système, est nulle en réalité. Il exclut le raisonnement d'un côté, et il l'admet de l'autre, mais avec des conditions qui le rendent impossible à la plupart des hommes et dangereux pour tous; car, ôtez les promesses et les menaces de la Religion, tous ont un intérêt sensible à s'abuser sur les devoirs, et Rousseau lui-même fournit, dans ses écrits, plus d'un exemple de la manière dont on peut obscurcir, au profit des passions, les préceptes les plus clairs et les plus essentiels de la morale.

Pour réduire la discussion à ses termes les plus simples, il n'y a que trois suppositions possibles : ou toutes les Religions sont vraies, ou elles sont toutes fausses, ou enfin il existe une seule vraie Religion.

La supposition que toutes les Religions sont

vraies est évidemment absurde; des dogmes contradictoires, le oui et le non ne sauroient être vrais en même temps. Cela est de pur sens commun. « Parmi tant de Religions diverses qui se proscrivent et s'excluent mutuellement, une >> seule est la bonne, si tant est qu'une le soit (1), » dit Rousseau.

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La supposition que toutes les Religions sont fausses, renverse par le fondement le système de l'auteur d'Emile. Car, dans ce système, la Religion est nécessaire à la société, et à tous les membres de la société. C'est un devoir de suivre et d'aimer la Religion de son pays. Or, l'erreur, qui, de l'aveu de Rousseau, de Chubb, de Diderot, est nuisible de sa nature, et ne peut manquer de rendre vicieuse toute créature raisonnable et conséquente, n'est certainement nécessaire ni à l'homme ni à la société : aimer ce qui est faux, et par cela même pernicieux, ne sauroit être un devoir pour personne. Donc, si toutes les Religions sont fausses, la Religion, loin d'être utile, est préjudiciable; loin d'être obligé d'en aimer et d'en suivre aucune, on doit les mépriser, les haïr, les proscrire toutes, comme le plus grand fléau de l'humanité. Qui, en effet, oseroit faire un devoir à une créature raisonnable d'aimer l'erreur, qui ne peut manquer de la rendre vicieuse? et que deviendroit cet autre principe, que les devoirs de la morale sont les

(1) Emile, tom. III, pag. 158.

seuls essentiels? La supposition que je discute est donc incompatible avec le système de Rousseau. Admettre l'une, c'est rejeter l'autre évidemment.

Reste la supposition d'une seule Religion véritable, et par conséquent seule utile, seule nécessaire, toutes les autres étant fausses, et par conséquent nuisibles. Or, quoi de plus absurde, dans cette hypothèse, que de faire à l'homme un devoir de suivre la Religion où il est né? que de présenter tous les cultes comme indifférens, comme également salutaires? que d'attribuer à l'erreur, source impure du vice, les mêmes droits qu'à la vérité, mère de la vertu? que d'interdire à un être raisonnable tout usage de sa raison, sur l'objet qui l'inté resse le plus? que de le contraindre à respecter, à aimer des extravagances qui répugnent invinciblement à son esprit? Est-ce donc là ce qu'on appelle de la philosophie? « Un fils, dit-on, n'a jamais >> tort de suivre la Religion de son père. » Ainsi, en matière de Religion, la naissance décide de tout. Ici c'est un devoir d'être polytheiste, et là c'est un devoir de n'adorer qu'un Dieu. La foi doit changer avec les climats, varier selon les degrés de latitude: autant de pays, autant de devoirs opposés. Chrétien en Europe, musulman dans la Perse, idolâtre au Congo, vous rendrez, sur les bords du Gange, les honneurs divins à Vishnou. Votre père, un peu crédule, adoroit une pierre, un ognon; conservez ce culte domestique. Un fils n'a jamais tort de suivre la Religion de son père.

Mais cette Religion est indigne de Dieu et dégradante pour l'homme. N'importe; vous y êtes né; en professer une autre seroit une inexcusable présomption.

Disciples de Jean-Jacques, reconnoissez les paroles de votre maître, et dites si, dans l'hypothèse d'une Religion véritable, il est possible de porter plus loin l'inconséquence; tranchons le mot, la folie. Quoi, il existe une vraie Religion, et la plupart des hommes seroient tenus d'en professer sincèrement une fausse! Ce sera pour eux un devoir d'outrager la Divinité par un culte qu'elle réprouve! Tout devoir, et Rousseau l'avoue, dérive de la volonté de Dieu (*) : c'est donc la Vérité suprême qui impose aux trois quarts du genre humain l'obligation de professer l'erreur et de l'aimer? C'est Dieu qui fait à certains peuples un devoir d'adorer le vice? Convenez qu'il y a de bizarres articles dans le symbole de l'indifférence.

Quelque supposition qu'on adopte, le système de Rousseau répugne donc au sens commun. En théorie, il implique contradiction, et dans la pratique, il est impossible: car Jean-Jacques exige deux choses manifestement inalliables. Il veut qu'on croie toutes les Religions également bonnes, et qu'on professe sincèrement celle du pays où l'on est né. Mais lui-même n'observe-t-il pas que les

(*) « Toute justice vient de Dieu, lui seul en est la » source. » Contrat social, liv. II, chap. vi.

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