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Religions diverses se proscrivent et s'excluent mutuellement? En professer sincèrement une, c'est donc exclure et proscrire toutes les autres? Un Juif sincère abhorre nécessairement le Christianisme, comme un sincère Chrétien rejette la Religion juive. Ainsi d'un mahométan, ainsi d'un païen, ainsi des sectateurs de tous les cultes opposés. On ne change pas la nature des choses avec des phrases de rhéteur; on ne fait pas que l'homme puisse croire la même doctrine vraie et fausse en même temps; et cette prétendue foi sincère en des dogmes qui s'excluent mutuellement, n'est au fond qu'une incrédulité, ou une indifférence absolue.

Des considérations développées dans ce chapitre, j'ai droit de conclure, ce me semble, que les principes de Rousseau, dépouillés des prestiges d'une éloquence mensongère, n'offrent qu'un informe assemblage d'incohérences, d'absurdités et de contradictions. C'en seroit assez peut-être pour qu'on dût les abandonner sans plus d'examen; cependant, tout ce que je demande, c'est qu'on les examine attentivement. Ne vous hâtez point de juger, dirai-je aux partisans de ces maximes, convenez seulement qu'il y a de puissans motifs d'en tenir la vérité pour douteuse. Dégagez-vous de toute prévention; cherchez sincèrement ce qui est vrai; étudiez les preuves du Christianisme avec le même soin, avec la même bonne foi que vous étudieriez une science humaine. Sûrement il vous importe autant de savoir si le Christianisme est véritable, que de connoître la

théorie de l'électricité, ou les lois de la pesanteur. Faites une fois pour l'intérêt de votre sort éternel, ce que vous faites tous les jours pour satisfaire votre curiosité. Pour peu que vous attachiez de prix à la vérité, à la raison, à la vertu, vous êtes plus que personne obligés de chercher une règle fixe de croyance et de conduite; car cette règle vous manque plus qu'à personne. Celle que vous vous flattez de posséder est nulle, fausse, illusoire. On l'admet en spéculation, et on la rejette dans la pratique. En effet, je vous le demande, à vous particulièrement qui êtes nés en pays catholique, de parens catholiques, professez-vous sincèrement, comme Rousseau le veut, la Religion de vos pères? Vous voit-on pratiquer les devoirs que la Religion catholique impose à ceux qui font profession de la suivre? Assistez-vous régulièrement, dans nos temples, aux offices publics, aux instructions des pasteurs? Obéissez-vous aux lois de l'Eglise? Gardez-vous scrupuleusement les préceptes de l'abstinence et du jeûne? Fuyez-vous les spectacles dangereux? Fréquentez-vous les tribunaux de la pénitence? Vous souriez de ces questions, et vous n'avez pas tort. Persuadés que toutes les Religions sont indifférentes, ignorant s'il en est une vraie, et quelle est cette vraie Religion, pourquoi, dans l'incertitude, vous astreindriez-vous à tant de gêne, à tant de pratiques pénibles? Vous le devez cependant d'après vos principes; mais ces principes contradictoires exigeant et supposant l'im

possible, vous forcent, et c'est l'unique profit que vous en tiriez, d'être inconséquens, même dans l'erreur.

Le système de Rousseau, compatible en apparence avec toutes les Religions, les détruit donc toutes par le fait. Il détruit donc aussi toute vertu; car, dit Rousseau : « Je n'entends pas qu'on puisse » être vertueux sans Religion; j'eus long-temps » cette opinion trompeuse, dont je suis bien désa» busé (1). » Or, en détruisant la vertu, en détruisant la Religion, il détruit nécessairement la société; et c'est encore Rousseau qui le dit : « Ja» mais Etat ne fut fondé, que la Religion ne lui » servît de base (2). » Otez la base, que devient l'édifice? Hélas! nous ne le savons que trop; et si l'on s'y trompoit aujourd'hui, ce ne seroit pas du moins faute d'expérience.

Fondé sur cette expérience à jamais mémorable, ne m'est-il pas permis de juger la doctrine de Rousseau comme il juge lui-même celle des philosophes que j'ai réfutés précédemment, et de lui adresser ses propres paroles : « Jamais, dites-vous,

la vérité n'est nuisible aux hommes; je le crois » comme vous, et c'est, à mon avis, une grande pas » preuve que ce que vous enseignez n'est la » vérité. »

Il tombe, aussi-bien que Hobbes, de tout le

(1) Lettre à d'Alembert sur les spectacles. (2) Contrat social, liv. IV, chap. VIII.

poids de ses principes, dans l'indifférence absolue des Religions. L'un les déclare toutes fausses ou d'institution humaine; l'autre ne sait pas s'il en est une vraie, et, supposé qu'il y en ait une, il prétend qu'il est impossible de la découvrir. Dans les deux hypothèses, il est également absurde de croire, et inutile d'examiner. Ainsi la conclusion est la même; les prémisses seules sont différentes. Je ne considère ici que les maximes avouées; car, au fond, Rousseau n'évite l'athéisme, où le conduit son système, qu'en multipliant les contradictions. Quoi qu'il en soit, en prouvant qu'il existe une véritable Religion, j'acheverai de réfuter les indifférens politiques; et je réfuterai Rousseau en montrant que Dieu a donné à tous les hommes un moyen sûr, facile, infaillible, de discerner la vraie Religion des Religions fausses.

Que si le lecteur éprouvoit de la répugnance à me suivre dans ces discussions importantes; si, insouciant de la vérité, il refusoit de consacrer à de sérieuses méditations quelques-uns de ces instans dont il est si prodigue pour les plaisirs, il faudroit gémir profondément sur la misère de l'homme, que tout attache, remue, intéresse, hors ses éternelles destinées.

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CHAPITRE V.

Suite des considérations sur le second système d'indifférence, et réflexions sur la Religion naturelle.

La seule difficulté qu'on rencontre en combattant les doctrines philosophiques, est de les réduire à des maximes fixes et précises. Quand on y est parvenu, tout est fait; elles se réfutent d'elles-mêmes. L'erreur n'est embarrassante que lorsque, revêtant mille formes diverses, et se dérobant, par sa mobile inconséquence, à l'esprit qui veut la saisir, elle échappe, à force de variations, aux prises du raisonnement. C'est le grand art de Rousseau, et sa constante méthode. Trop pénétrant pour s'abuser sur le vice de son système, apercevant à chaque pas les objections qui accourent en foule, il cherche à les prévenir ou à les éluder, soit par des discours ambigus, soit par des concessions formelles, qu'il révoque bientôt tacitement; et sûr d'en imposer, à l'aide d'une souple dialectique et d'un ton passionné, au lecteur inattentif, il change à tout instant de principes et de question; passe adroitement, selon le besoin, d'une hypothèse à une autre, établit une supposition, l'abandonne, y revient ensuite pour l'abandonner derechef; entre

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