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plus, je ne saurois vous dissimuler que vous me semblez raisonner fort mal. « Arguer du cours de » la nature pour en inférer l'existence d'une cause intelligente qui a établi et qui maintient l'or» dre dans l'univers, c'est embrasser un principe >> incertain tout ensemble et inutile; car ce sujet » est entièrement hors de la sphère de l'expé»rience humaine (1).

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ROUSSEAU.

Au moins conviendrez-vous que « Dieu a tout dit à notre jugement? » Vous ne nierez pas l'éternelle correspondance de l'effet et de la cause; dont j'ai déduit si nettement l'existence du premier Etre?

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LE PHILOSOPHE.

Pourquoi non? A mon sens, «< on ne sauroit ti>> rer un argument, même probable, de la relation » de la cause à l'effet, où de l'effet à la cause (2); la liaison de l'effet avec sa cause est entièrement arbitraire, non-seulement dans sa première no» tion à priori, mais encore après que cette no» tion nous a été suggérée par l'expérience (3). Vous voyez que nous sommes loin de nous entendre. Vos preuves font sur mon esprit une toute autre impression que sur le vôtre: je n'y aperçois

(1) Humes's Philosophical Essays, pag. 224. (2) Ibid., pag. 62, 63.

(3) Ibid., pag. 53, 54.

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que

des sophismes, et des sophismes ne me convainquent pas. D'ailleurs vous me parlez d'un Dieu qu'environnent des mystères inconcevables (1): or, si je commence une fois à croire des mystères inconcevables, où m'arrêterai-je? Qui me guidera, dans le choix que j'en dois faire? De quel droit rejetterai-je la révélation? Vous l'avez dit vousmême: «< Celui qui charge de mystères, de contra» dictions, le culte qu'il me prêche, m'apprend » par cela même à m'en défier (2). »

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ROUSSEAU.

« Je vous ai ouvert mon cœur sans réserve; ce que je tiens pour sûr, je vous l'ai donné pour tel: je vous ai dit mes raisons de croire. Maintenant >> c'est à vous de juger (3). Je n'ai pas la préten>>tion de me croire infaillible: d'autres hommes » peuvent » trouver douteux ce qui me paroît démontré, faux ce qui me paroît vrai : « je rai» sonne pour moi et non pas pour eux; je ne les » blâme ni ne les imite: leur jugement peut être » meilleur que le mien; mais il n'y a pas de ma >> faute si ce n'est pas le mien (4). » L'existence de Dieu m'est attestée par ses œuvres. Nul, vous disois-je, n'est excusable de ne pas lire dans ce grand et sublime livre: cette maxime, j'en con

(1) Emile, tom. III, pag. 133.
(2) Ibid., pag. 150.
(3) Ibid., pag. 192.

(4) Ibid., pag. 179.

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viens, est trop générale; elle m'est échappée, comme tant d'autres, sans trop de réflexion. Au fond, cependant, vous avez dû voir que ce n'étoit là ni ma première ni ma dernière pensée. La preuve en est dans ces paroles qui précèdent de tout un volume celles que je rappelois à l'instant, et les modifie déjà beaucoup : « Le philosophe qui ne croit pas a tort, parce qu'il use mal de » la raison qu'il a cultivée, et qu'il est en état » d'entendre les vérités qu'il rejette (1). » J'avoue que ce texte est encore bien dur : il met, il est vrai, le peuple à l'abri, mais il laisse le philosophe dans l'embarras. Cela me peine, et pour vous que je damne philosophiquement, et pour moi qui abhorre la barbare intolérance. Après tout, «< ce n'est pas une petite affaire de connoître » que Dieu existe; et quand nous sommes parvenus là, quand nous nous demandons, quel est» il? où est-il? notre esprit se confond, s'égare, » et nous ne savons plus que penser (2). » Voilà justement ce qui vous arrive. « Les idées de créa

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tion, d'annihilation, d'ubiquité, d'éternité, de toute-puissance, celle des attributs divins, tou» tes ces idées qu'il appartient à si peu d'hommes » de voir aussi confuses et aussi obscures qu'elles » le sont, se présentent à vous dans toute leur

(1) Emile, tom. II, pag. 350.

(2) Ibid., pag. 341.

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force, c'est-à-dire, dans toute leur obscurité (1).» Or, il seroit cruel d'être damné pour avoir eu plus d'esprit que les autres hommes: et se pourroit-il qu'il n'y eût de salut que pour les sots? Posé ce que je viens de dire, c'est pourtant ce qui résulteroit du principe vulgaire : « Il faut croire en Dieu pour être » sauvé. » A la philosophie ne plaise que je m'obstine à soutenir cette maxime impitoyable ; j'en vois trop clairement les conséquences. « Ce dogme mal » entendu est le principe de la sanguinaire into»lérance, et la cause de toutes les vaines instruc» tions qui portent le coup mortel à la raison hu» maine, en l'accoutumant à se payer de mots (2).» Votre cause est donc celle de la raison humaine, et vous ne devez pas craindre que je lui porte le coup mortel. « Il est clair que tel homme, par» venu jusqu'à la vieillesse sans croire en Dieu, » ne sera pas pour cela privé de sa présence dans » l'autre vie, si son aveuglement n'a pas été vo

lontaire, et je dis qu'il ne l'est pas toujours(3). » Vieillissez donc en paix dans votre incroyance : bien different de ceux qui se persuadent qu'il faut confesser tel ou tel article, « moi je pense, au » contraire, que l'essentiel de la Religion consiste en pratique ; que non-seulement il faut être

(1) Emile, tom. II, pag. 346. (2) Ibid., pag. 550.

(3) Ibid., pag. 352.

>> homme de bien, miséricordieux, humain, cha»ritable, mais que quiconque est vraiment tel, >> en croit assez pour être sauvé (1). »'

« Vous avez fait ce que vous avez pu pour atteindre à la vérité, mais sa source est trop élevée : quand les forces vous manquent pour aller plus » loin, de quoi pouvez-vous être coupable? c'est à elle à s'approcher (2). »

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Qu'est-ce donc que la Religion naturelle, qu'un gouffre où viennent s'engloutir tous les dogmes, même celui de l'existence de Dieu? et Bossuet l'a définie complétement, lorsqu'il a dit que le déisme n'est qu'un athéisme déguisé. Parmi ses sectateurs, l'un admet ce que l'autre rejette, nie ce qu'il affirme, et réciproquement. A grand'peine en trouveroit-on deux qui professent la même doctrine. Nul n'a le droit d'exiger qu'on se soumette à ses enseignemens. Suprême juge de sa foi, chacun jouit de la faculté de l'étendre ou de la restreindre comme il lui plaît; et aucune croyance n'est essentielle dans la seule Religion essentielle à l'homme. Etrange Religion dont le symbole peut se réduire à l'athéisme!

Secondement, le culte extérieur n'étant qu'un vain cérémonial, et purement une affaire de police, est indifférent en soi; rien n'empêche de s'en

passer.

(1) Lettre à M. de Beaumont, page 59. (2) Emile, tom. III, pag. 128.

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