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>> mais intelligent et libre, juge infaillible du bien » et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu ; » c'est toi qui fais l'excellence de sa nature et la » moralité de ses actions; sans toi je ne sens rien >> en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que le » triste privilége de m'égarer d'erreurs en erreurs, » à l'aide d'un entendement sans règle et d'une » raison sans principe (1).

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que

Suivant Rousseau, la loi naturelle n'est donc pas la loi de la raison, puisque cette raison sans principe, que nous n'avons que trop acquis le droit de récuser, ne nous élève au-dessus des bétes que par le triste privilége de nous égarer d'erreurs en erreurs. Au reste, on a vu plus haut les plus grandes idées que nous ayons de la Divinité nous viennent par la raison seule, c'est-à-dire, par cette noble faculté qui, nous égarant d'erreurs en erreurs, ne nous élève pas au-dessus des bétes; car l'ignorance est moins dégradante que l'erreur, mais nous ravale au-dessous d'elles. Cela ne laisse pas d'être singulier; cependant, puisqu'il en est ainsi, passons. Nous cherchons la règle des devoirs, et Rousseau nous la montre dans la conscience, guide assuré d'un étre ignorant et borné, juge infaillible du bien et du mal. Trop souvent la raison nous trompe, mais la conscience ne nous trompe jamais; elle est à l'âme ce que l'instinct est au corps.

(1) Emile, tom. III, pag. 114.

Cette doctrine rassurante semble nous faire entrevoir la certitude que nous désirions. Malheureusement je ne trouve point, parmi les sectateurs de la Religion naturelle, l'unanimité de sentiment à laquelle on devroit s'attendre sur un point d'une telle importance. Bolingbroke, par exemple, traite d'enthousiastes et de gens qui rendent la Religion naturelle ridicule, ceux qui prétendent qu'il existe << un instinct ou sens moral, au moyen duquel les hommes distinguent ce qui est moralement bon » de ce qui est moralement mauvais, de sorte qu'il en résulte une sensation intellectuelle agréable » ou pénible (1). Cela peut, ajoute-t-il, s'acquérir, jusqu'à un certain point, par une longue habitude, et par une sorte de dévotion philosophi» que; mais d'en faire une faculté naturelle, c'est une fantasque illusion (2). »

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Qui croire de Bolingbroke ou de Rousseau? et à quoi s'en tiendront les disciples, quand les maîtres sont si peu d'accord? Ce que l'un regarde comme un principe inné (3), est pour l'autre une chimère, une illusion fantasque. Si l'un nous dit que la loi naturelle est la loi de la raison, l'autre nous assure que par la raison seule on ne peut établir aucune loi naturelle (4). Et n'oubliez

(1) Bolingbroke's Works, vol. V, pag. 86.
(2) Ibid., pag. 479.

(3) Emile, tom. III, pag. 107.
(4) Emile, tom. II, pag. 263.

pas que la morale claire, précise, également intelligible, dit-on, dans tous les temps et dans tous les lieux, et proportionnée aux plus foibles intelligences, se trouve entre ces assertions opposées,

Mais voici quelque chose de plus fort : Rousseau lui-même va détruire la consolante sécurité dont il nous flattoit, en nous révélant que la conscience, ce guide assuré, ce vrai guide de l'homme, ne marche qu'appuyé sur la raison. « La raison seule >> nous apprend à connoître le bien et le mal. La » conscience, qui nous fait aimer l'un et haïr l'autre, quoique indépendante de la raison, ne >> peut donc se développer sans elle (1). » Et encore: «< Connoître le bien, ce n'est pas l'aimer : » l'homme n'en a pas la connoissance innée; mais » sitôt que sa raison le lui fait connoître, sa con» science le porte à l'aimer : c'est ce sentiment qui est inné (2). »

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L'unique juge des devoirs comme de la foi, est donc, en dernier ressort, la raison : la conscience ne vient qu'après elle, ne peut se développer sans elle; elle aime ce que la raison lui fait connoître comme bien; elle hait ce que la raison lui fait connoître comme mal; esclave passive de l'entendement, ses fonctions se bornént à joindre à chaque idée qu'il lui offre, un sentiment dont la na

(1) Emile, tom. I, pag. 112.

(2) Ibid., pag. 75.

ture est déterminée d'avance par le jugement de la raison. Elle seule connoit le bien et le mal; elle seule aussi peut donc nous instruire de nos devoirs; et Rousseau semble en convenir, lorsqu'après nous avoir avertis que « les actes de la con» science ne sont pas des jugemens (*), mais des » sentimens (1), » il ajoute : « Toute la moralité » de nos actions est dans le jugement que nous en » portons nous-mêmes (2). » Et plus expressément: « L'homme choisit le bon, comme il a jugé le vrai ; » s'il juge faux, il choisit mal (3).

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Il est vrai qu'il place ailleurs dans la conscience la moralité de nos actions; mais c'est qu'alors il avoit besoin d'y trouver la règle infaillible des devoirs. Cette règle, au reste, est si loin d'être universelle, et suffisante à tous les hommes, grands et petits, savans et ignorans, qu'au contraire, de l'aveu de Rousseau, elle est complétement nulle c'est-à-dire, pour les trois quarts pauvre, humain. « La voix intérieure, ce sont ses paroles, ne sait pas se faire entendre à celui qui »> ne songe qu'à se nourrir (4).»

pour le genre

du

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Que conclure, sinon que, dans le système de la Religion naturelle, les devoirs ne reposant que sur

(*) Ainsi la conscience ne juge point, et la conscience. est un juge infaillible,

(1) Emile, tom. III, pag. 111.

(2). Ibid., pag. 100.

(3) Ibid., pag. 75.

(4) Ibid., pag. 11.

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la raison, qui souvent nous trompe, n'ont aucune règle certaine, et que la morale du déisme est aussi vague, aussi indécise, aussi peu fixe que ses dogmes? Chacun aura la sienne, comme chacun a son symbole, et il suffira de quelques-uns de ces sophismes si familiers aux passions, pour que la raison, s'abusant sur les véritables devoirs, abuse à son tour la conscience, en parant le vice du masque de la vertu. Err veut-on une preuve de fait? Bolingbroke, en raisonnant sur la loi naturelle, si claire, si précise, à son avis, est conduit, je ne dis pas à justifier la polygamie, le liberti-. nage, l'adultère, l'inceste, mais à les mettre, en certains cas, au rang des devoirs (1). Si les Romains, les Grecs et d'autres peuples défendirent la pluralité des femmes, et encouragèrent la monogamie, c'est, dit-il dans son langage cynique, « parce qu'en contractant de tels mariages, rien, excepté le défaut d'occasions, n'empêchoit les maris, non plus que leurs femmes, de satisfaire librement leurs appétits, malgré les nœuds sacrés qui les unissoient, et le droit réciproque de propriété que la loi leur accordoit sur la personne » l'un de l'autre (2). »

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Rousseau, quoique grand parleur de vertu, n'est guère plus sévère que Bolingbroke. Il avoue, à la

(1) Bolingbroke's Works, vol. V, pag. 163, 172, 176.

(2) Ibid., pag. 167.

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