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vérité, , que la continence est un devoir de morale; mais, ajoute-t-il, les devoirs moraux ont leurs modifications, leurs exceptions (1); et il ne manque pas d'en trouver au devoir de la continence, fondé sur ce que la foiblesse humaine rend quelquefois le crime inévitable. Ainsi il suffit d'être foible pour avoir le droit de faillir; les devoirs n'obligeant qu'en proportion de la facilité qu'on a de les remplir, il y a autant de morales différentes que d'individus, et tout est licite au scélérat consommé, à qui le crime est devenu un besoin presque invincible. Je baisse les yeux, et rougirois d'être homme, si je ne me souvenois que je suis chrétien.

Je ne crains point de l'affirmer, le déisme, qu'on nous représente comme la Religion de la nature, la seule Religion essentielle à l'homme, est la destruction de toute doctrine, de tout culte, de toute morale; et, quoi qu'en ait dit La Harpe, alors philosophe, Condorcet avoit raison de nier qu'il existât une Religion purement naturelle (*);

(1) Emile, tom. III, pag. 280.

(*) Voyez sa Vie de Voltaire. Dans son Plan d'Education, présenté à l'Assemblée législative les 21 et 22 avril 1791, Condorcet, observant que « les philosophes >> theistes ne sont pas plus d'accord que les théologiens » sur l'idée de Dieu, et sur ses rapports moraux avec les » hommes, » en conclut que « la proscription doit s'étendre sur ce qu'on appelle Religion naturelle. » Il sentoit l'impossibilité de s'arrêter dans ce milieu vague; et

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à moins qu'on ne prétende que des phrases sont une Religion, des doutes une Religion, l'athéisme déguisé une Religion.

Or, un système où tout entre jusqu'à l'athéisme, quelle en est la base, si ce n'est l'indifférence la plus absolue pour la vérité? Telle est l'essence du déisme, comme l'exclusion de toute révélation en est le caractère distinctif. Je le réfuterai donc en prouvant la nécessité et l'existence d'une Religion révélée.

Mais, avant de quitter ce sujet, qu'on me permette d'ajouter aux considérations qu'on vient de lire une dernière observation. Qui le croiroit? le déisme, fondé sur le seul raisonnement, conduit la raison à se renier elle-même. C'est que la philosophie, orgueilleusement abjecte, n'a jamais su comprendre en quoi consiste la vraie grandeur de cette noble faculté, que tantôt elle abaisse au-dessous de l'instinct de la brute, et tantôt elle élève au-dessus de Dieu même. Nous avons vu Rousseau tomber alternativement dans ces deux excès; envier presque le sort des bétes, dont il ne se jugeoit distingué que par le triste privilége de s'égarer d'erreurs en erreurs, à l'aide d'un entendement sans règle et d'une raison sans principe; et vouloir que cette même raison, sans aucun appui,

pour assurer le triomphe de la philosophie sur le Christianisme, il ne voyoit d'autre moyen que de proscrire Dieu.

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sans aucun guide, sans aucun enseignement étrandécidant elle seule des plus hauts dogmes, soit l'arbitre exclusif de la foi. Or, prendre notre propre esprit pour unique règle de croyance, repousser avec dédain les vérités qu'il n'auroit pas découvertes immédiatement, interdire à Dieu le droit de nous révéler, par une autre voie, quelques-uns des secrets de son être, qu'est-ce autre chose qu'enchaîner sa sagesse et sa puissance, l'asservir aux lois qu'il nous plaît de lui dicter, et soumettre l'éternelle raison à notre raison débile? Etrange délire! Qui sommes-nous pour prescrire fièrement à Dieu un mode d'action dont il ne sera pas libre de s'écarter; pour oser lui dire: Voilà le seul moyen que nous te permettions d'employer pour nous éclairer? Et si ce moyen est insuffisant, si vous convenez vous-mêmes que notre raison sans principe n'est propre qu'à nous égarer d'erreurs en erreurs, il faudra donc, de nécessité, ou nous égarer en l'écoutant, ou lui imposer silence, et languir éternellement dans une ignorance irremédiable, et dans les épaisses ténèbres d'une volontaire imbécillité? Tel est, en résultat, l'unique choix que vous laissiez à l'homme; et la vérité, pour lui, n'est plus qu'une énigme indéchiffrable, une chimère, une illusion.

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Eh! qui en doute, répond Rousseau ; vous ai-je dit que l'homme fût fait pour connoître la vérité? qu'il pût la découvrir? qu'il dût la chercher? Non, non; comprenez mieux ma doctrine, et souvenez

vous qu'à mes yeux l'homme qui pense est un animal dépravé (1). Le meilleur usage de la raison est d'apprendre à n'en faire aucun usage: ellemême elle nous avertit d'étouffer sa voix trompeuse, d'anéantir en nous, autant qu'il se peut, la faculté qui conçoit et qui juge, d'éteindre avec un soin scrupuleux toutes les lumières de l'entendement. « Puisque plus les hommes savent,

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plus ils se trompent, le seul moyen d'éviter » l'erreur est l'ignorance. Ne jugez point, vous » ne vous abuserez jamais. C'est la leçon de la » nature aussi-bien que de la raison (2). »

Etoit-ce la peine de tant raisonner, pour conclure par ce conseil? Comparez les méthodes aux méthodes, et les doctrines aux doctrines. Le Christianisme, en promulguant, avec autorité et sans hésitation les vérités nécessaires à l'homme, n'exige pas qu'il les conçoive pleinement, car l'homme ne conçoit rien de la sorte; mais il veut que les motifs de sa foi soient évidens à la raison, rationabile obsequium vestrum (3). La philosophie propose, en tremblant, des doutes, y oppose aussitôt d'autres doutes, et, désespérant d'arriver à rien de certain, pour éviter l'erreur qui la presse de toutes parts, renonce à la vérité, et proclame solennellement cet axiome, qui renferme en abrégé

(1) Discours sur l'origine et les fondemens de l'inégalité parmi les hommes.

(2) Emile, tom. II, pag. 156. (2) Ep. ad Rom. xu, 1.

toute la sagesse humaine : détruire en soi la raison, est la leçon de la raison; et ne point penser, ne point juger, tout ignorer, est la perfection de l'être raisonnable.

La plume tombe des mains. Que dire à des hommes qui en sont venus là? Le scepticisme absolu est une doctrine sensée en comparaison d'un pareil délire. Quoi! Dieu nous a donné l'intelligence pour nous être un piége; et penser, c'est errer presque infailliblement? Enfin voilà ce que la philosophie promet à ceux qui s'engagent à sa suite; l'erreur, et rien que l'erreur. On a vu, ce me semble, assez clairement, que sur ce point on peut l'en croire. Le Christianisme promet, avec non moins d'assurance, la vérité. Y auroit-il donc tant de risque à l'écouter à son tour? S'il nous trompe, qu'aurons-nous perdu? quelques-unes de ces heures dont le poids souvent nous fatigue: et ne nous restera-t-il pas toujours assez de temps à consacrer au soin sublime d'éteindre en nous la raison, et de nous élever à l'ignorance et à la sage stupidité des brutes?

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