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CHAPITRE VI.

Considérations sur le troisième système d'indifference, ou sur la doctrine de ceux qui admettent une Religion révélée, de manière néanmoins qu'il soit permis de rejeter les vérités qu'elle enseigne, à l'exception de quelques articles fondamentaux.

QUELQUES

UELQUES philosophes, nourris à l'école du protestantisme, furent conduits, en creusant opiniâtrément une seule erreur, à nier toutes les vérités religieuses, morales et politiques. Contraints, par un enchaînement de conséquences inévitables, de rejeter une cause première intelligente, ils expliquèrent l'ordre par le hasard, l'univers par le chaos, la société par l'anarchie, les devoirs par la force, la pensée même par l'étendue animée d'un mouvement aveugle. Cependant deux faits les embarrassèrent. Partout, dans tous les temps, l'homme a eu l'idée de Dieu, et lui a rendu un culte public partout, dans tous les temps, l'homme a reconnu la distinction essentielle du bien et du mal, du juste et de l'injuste; et malgré diverses méprises dans l'appréciation des actes libres, considérés comme vertueux ou criminels,

jamais aucun peuple ne confondit les notions opposées du crime et de la vertu. Ces notions immuables sont, avec les sentimens et les obligations qui en dérivent, la base de toute société, de même que l'existence d'un Etre éternel, rémunérateur et vengeur, est l'unique fondement de ces notions. Que firent donc nos philosophes pour concilier leur système avec la conscience du genre humain? Ils convinrent de la nécessité de la Religion, et conclurent de cette nécessité même que la Religion n'étoit qu'une institution politique. Ils dirent: Pour que les hommes renoncent à leur indépendance naturelle, et acceptent le joug des lois, il faut qu'ils imaginent au-dessus de leur tête une puissance infinie qui leur impose ce joug pesant, et qui réparera un jour, avec une stricte équité, les injustices du pouvoir et les torts même de la fortune; sans cette croyance, point de société : les législateurs s'en aperçurent, et ils inventèrent Dieu. Point de société encore, sans des devoirs réciproques, d'où résultent un concours général des volontés au maintien de l'ordre, et le sacrifice des intérêts de chacun à l'intérêt de tous: les législateurs s'en aperçurent, et ils inventèrent la morale. Telle est la doctrine des indifférens athées.

Frappés des absurdités qu'elle renferme, des suites funestes qu'elle entraîne, les déistes, armés d'argumens irrésistibles, en démontrent évidemment l'extravagance et le danger. Nous vous aban

donnons, disent-ils à leurs adversaires, toutes les Religions positives; quand une d'elles seroit véritable, nous n'aurions aucun moyen de la discerner. Mais nier l'existence de Dieu, la vie future, la différence essentielle du bien et du mal, c'est s'aveugler volontairement, c'est autoriser tous les crimes, c'est renverser la société par ses fondemens. Ecoutez la voix intérieure; elle vous dira qu'il existe une Religion vraie, nécessaire; Religion qui repose sur la raison seule, et que nous appelons naturelle, parce que la nature l'enseigne à tous les hommes dont les passions n'ont pas perverti le jugement. Ainsi parlent les déistes; mais lorsqu'on vient à examiner de près leur système, on n'y trouve qu'incohérence et contradiction. La nature tient à chacun d'eux un langage différent. Ils ne sauroient convenir d'aucun culte, d'aucun symbole. Forcés de tout accorder à la raison et de lui tout refuser, les dogmes leur échappent, la morale leur échappe, et, quoi qu'ils fassent, ils sont poussés jusqu'à la tolérance de l'athéisme, ou l'indifférence absolue.

Alors se présente une nouvelle classe d'indifférens, qui, prouvant sans peine l'insuffisance ou plutôt la nullité de la Religion naturelle, établis– sent invinciblement la nécessité d'une révélation, et la vérité du Christianisme. Mais, partant au fond du même principe que les déistes, c'est-à-dire, de la souveraineté de la raison humaine en matière de foi, ils soumettent la révélation même à la raison, et soutiennent que, pourvu que l'on croie

certains dogmes révélés, on peut rejeter les autres sans cesser d'être Chrétien, et sans s'exclure du salut.

Je montrerai qu'en réduisant ainsi le Christianisme à quelques articles fondamentaux qu'on n'a jamais pu définir, on est immédiatement conduit au déisme et à la tolérance de toutes les erreurs, sans exception; et, comme ce système est devenu la base de la théologie protestante, je ferai voir que la Réforme y a été forcément amenée par ses principes, d'où l'on conclura qu'elle devoit aboutir nécessairement, selon la prédiction de Bossuet (1), à l'indifférence absolue des Religions.

Il est trop important de prouver l'intime connexion du protestantisme avec la philosophie moderne, pour céder à la crainte de fatiguer le lecteur par une analyse un peu étendue des controverses qui rendent cette vérité palpable.

A l'époque où Luther commença de dogmatiser, il existoit depuis quinze siècles une Eglise ou société religieuse, gouvernée sous l'autorité d'un chef suprême, par un corps de pasteurs qui toujours, conformément aux paroles de Jésus-Christ, s'étoient crus, et avoient été crus par les membres de cette société, revêtus du pouvoir de juger souverainement, ou, pour exprimer la même idée par un autre terme, de décider infailliblement les questions

(1) Voyez le Sixième Avertissement aux Protestans, III® partie, no 3.

relatives à la foi et aux mœurs; non pas en créant de nouveaux dogmes, car c'eût été, chose impossible, créer des vérités; non pas en citant les dogmes anciens au tribunal du raisonnement, pour les examiner en eux-mêmes, car c'eût été soumettre la révélation ou la raison divine à la raison humaine; mais par voie de témoignage, en constatant la tradition ou la foi universelle, par la tradition ou la foi de chaque Eglise particulière. La doctrine que vous annoncez est inouïe, disoit-on aux novateurs; hier encore on n'en avait pas entendu parler donc ce n'est pas la vraie doctrine. La vérité n'est ni d'hier ni d'aujourd'hui, elle est de tous les temps, elle existoit à l'origine comme elle existera jusqu'à la fin; l'erreur au contraire n'a pas de caractère plus certain que la nouveauté. Ou vous n'enseignez pas ce qu'a enseigné Jésus-Christ, et l'on ne doit pas seulement vous écouter ; ou vos enseignemens sont conformes aux siens, et alors il vous faut montrer qu'ils sont conformes à ceux de l'Eglise; car l'Eglise enseignante, avec qui JésusChrist a promis d'être tous les jours jusqu'à la consommation des siècles (1), n'a pas pu un seul jour enseigner une autre doctrine que celle qu'elle a reçue de Jésus-Christ. Sur ce principe inébranlable, sans argumenter, sans discuter dangereusement

(1) Euntes ergo docete omnes gentes...... Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummationem seculi. Matth., xxvIII, 20.

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