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trine du fatalisme; car si les actions humaines étoient nécessitées, elles tendroient toutes nécessairement à la perfection de l'homme, et il seroit toujours aussi heureux qu'il lui est possible de l'être. Il n'y a qu'un être libre qui puisse agir contre les lois de sa propre nature; et le malheur, de même que le désordre, n'est explicable que par la

liberté.

La nature, qui est immuable, parce qu'elle n'est que l'ordre immuablement voulu de Dieu, impose à l'homme des lois immuables comme elle; lois nécessaires, parce qu'elles sont l'expression de rapports nécessaires; lois hors desquelles on ne trouve ni paix ni félicité, parce que hors d'elles il n'y a que désordre. Nul n'en sauroit assigner l'origine, en nommer l'inventeur. On les reconnoît sans peine à leur antiquité, à leur universalité, à je ne sais quel caractère de simplicité, de grandeur et de force qui les distingue essentiellement, et les conserve indestructibles au milieu des révolutions des mœurs et des vicissitudes des opinions.

Cependant l'homme, séduit par une fausse science, ou emporté par les passions, s'efforce souvent de substituer à cette législation naturelle une législation factice, et c'est comme s'il tentoit de changer sa nature et la nature des êtres semblables à lui. Aussi, soit qu'essayant de s'établir arbitrairement en société avec Dieu, il combine des dogmes et invente des Religions, soit que, voulant

s'établir arbitrairement en société avec les autres hommes, il combine des formes de gouvernement et invente des constitutions; sa vaine sagesse n'aboutit qu'à mettre des opinions à la place des croyances, des passions à la place des devoirs, et dans l'Etat, comme dans la famille et dans l'individu, l'agitation du désordre et la fièvre de la licence, à la place de la tranquillité de l'ordre : et l'on peut remarquer que les plus grands maux qui aient affligé le genre humain, à quelque époque que ce soit, sont nés des constitutions arbitraires et des Religions arbitraires.

La Religion, la morale, la société, sont des faits généraux comme la pesanteur, des lois générales et indépendantes de nos idées, comme les lois de l'équilibre. Dès qu'on les considère comme de pures abstractions, tout est perdu. C'est alors qu'une philosophie en délire veut tout inventer, en politique, en morale, en Religion; à peu près comme le physiologiste qui, ne voyant dans la vie et ses phénomènes qu'un système arbitraire, prétendroit inventer un nouveau mode d'existence: et les stoïciens ont été jusqu'à cet excès de folie, lorsque, dans l'impuissance de se soustraire aux peines de l'âme et aux souffrances du corps, ils ont fait consister le bonheurdans l'insensibilité aux douleurs physiques et morales, insensibilité incompatible avec le mode d'existence essentiel à l'homme.

Les autres théories du souverain bien, imaginées en si grand nombre par les sages de l'anti

quité (*), ne reposent pas sur une base moins frêle; vides d'espérance, elles ne considèrent l'homme que dans l'état présent, sans égard à ses destinées futures: triste ét vaine philosophie, qui vient se briser contre l'écueil de la mort.

Connoître, aimer, agir, voilà tout l'homme. De l'accord de ses facultés, et de leur parfait développement, résulte le bonheur de l'individu, parce qu'il est éminemment conforme à l'ordre, ou à la nature des êtres, que leurs facultés se développent, et que tout être privé d'une de ses facultés naturelles, ou en qui cette faculté demeure oisive, faute d'un objet correspondant auquel elle puisse s'appliquer, est dans un état contre nature, par conséquent dans un état de souffrance.

L'objet propre de l'intelligence, ou de la faculté de connoître, est la vérité : donc l'ignorance, état d'imperfection, et l'erreur, état de désordre, sont contraires à la nature de l'être intelligent, et incompatibles avec le bonheur.

De même que le vrai est l'objet de l'intelligence, le bien est l'objet de l'amour; et l'amour dérive de l'intelligence, parce qu'il faut connoître le bien avant de l'aimer, et que l'amour n'est que la jouissance intime de la vérité connue.

L'intelligence est donc le principe de l'amour; et l'amour, principe d'action, tend à réaliser au dehors son objet, c'est-à-dire, le bien ou la vé

(*) Varron en compte deux cent quatre-vingt-huit.

rité : et il est dit de la vérité suprême, revêtue de notre nature par l'effet d'un amour infini, qu'elle passa en faisant le bien : transiit benefaciendo (1). Mais l'homme, actif par ses sens, et par eux incliné vers les objets matériels, partagé ainsi entre deux amours et deux volontés qui le poussent violemment dans des directions contraires, ne sauroit goûter de paix qu'il n'ait établi l'ordre entre ses facultés, en assujettissant les sens à la loi de l'intelligence ou de la vérité, qui, dans ses rapports avec les actions des êtres libres, n'est que la justice immuable donc, point de bonheur sans vertu, et point de vertu sans l'amour prédominant des biens intellectuels, ou de la justice et de la vérité.

Otez cet accord et cette dépendance entre nos facultés, la souffrance aussitôt naît du désordre, et ne cesse qu'avec lui. L'homme, dans l'état d'ignorance, vit, agit au hasard; il ne sait ni ce qu'il doit aimer, ni ce qu'il peut se permettre, ni ce que l'ordre exige qu'il s'interdise; et si l'ignorance est complète, comme dans l'idiotisme absolu, tout amour est détruit, toute action est détruite, et l'individu meurt, à moins qu'une intelligence étrangère ne le conserve. L'erreur, en corrompant l'amour, dérègle les actions, et place l'homme dans de faux rapports, par conséquent des rapports douloureux, avec les êtres semblables à lui. Que si l'amour s'égare, la vérité restant dans l'intelli

(1) Act., x, 38.

gence, il s'établit, entre la raison et les penchans, une guerre terrible qui bouleverse et dévaste l'àme; c'est le remords avec ses terreurs et ses angoisses intolérables. Les sens ou les organes, destinés à servir (*), s'emparent-ils du pouvoir, le désordre est au comble; tout périt, et l'intelligence, et l'amour, et le corps même. « Lorsque nous étions >> soumis à la loi de la chair, dit énergiquement le » livre où se trouve toute vérité, les passions déréglées, opérant dans nos membres, portoient des » fruits de mort (1). »

>>

Que les diverses facultés de l'homme soient convenablement ordonnées entre elles, et que chacune jouisse de son objet propre, telle est donc la première condition du bonheur. La seconde est que chaque faculté atteigne son parfait développement, ou jouisse de l'objet qui lui correspond, selon toute l'étendue de sa capacité. Or, les désirs sont un sûr indice de cette capacité: et, en effet, l'homme qui sent en lui-même un désir infini de connoître et d'aimer, parce qu'il peut et doit connoître la vérité infinie et aimer le bien infini, n'est point tourmenté d'un désir infini d'agir, parce que son action, comme être physique, est naturelle

(*) On connoît la belle définition de l'homme, par M. de Bonald: L'homme est une intelligence servie par des or

ganes.

(1) Cùm enim essemus in carne, passiones peccatorum.... operabantur in membris nostris, ut fructificarent morti. Ep. ad Rom., vii, 5.

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