Obrázky na stránke
PDF
ePub

l'homme et le conduit au bonheur, en l'établissant dans un état conforme à sa nature, seule aussi conserve les peuples et les conduit au bonheur, en les établissant dans un état conforme à la na❤ ture de la société.

Une des plus dangereuses folies de notre siècle, est de s'imaginer que l'on constitue un Etat, où qu'on forme une société du jour au lendemain, comme on élève une manufacture. On ne fait point les sociétés ; la nature et le temps les font de concert; et voilà pourquoi il est si difficile qu'elles renaissent lorsque l'homme les a détruites, la même action qui a détruit s'opposant à l'action réparatrice du temps et de la nature. On veut tout créer instantanément, tout créer d'imagination, et fondre, en quelque sorte, la société d'un seul jet, d'après un modèle idéal, comme on jette une statue en bronze. L'on substitue en tout les combinaisons arbitraires de l'esprit aux rapports nécessaires, aux lois simples et fécondes qui s'établissent d'ellesmêmes, quand on n'y met pas obstacle, comme les conditions indispensables de l'existence. Lorsqu'épris de théories chimériques, on a commencé à renverser, on ne doutoit de rien, parce qu'on ne savoit rien; ensuite on croit tout savoir, parce qu'on a beaucoup agi, beaucoup souffert, et qu'après avoir disséqué des peuples tout vivans, pour chercher dans leurs entrailles les mystères de l'organisation sociale, la science doit être complète, et la société parfaitement connue. Dans cette con

fiance, rien n'arrête, rien n'embarrasse; on constitue et l'on constitue encore; on écrit sur un morceau de papier qu'on est une monarchie, une ré"publique, en attendant qu'en réalité on soit quelque chose, qu'on soit un peuple, une nation. C'est un problème encore indécis, de savoir combien de temps un assemblage d'êtres humains peut subsister en cet état. Mais il y a une loi immuable contre laquelle rien ne prévaut. Toute société qui, étant sortie des voies de la nature, s'obstine à n'y point rentrer, ne se renouvelle que par la dissolution, et ne recouvre sa vigueur qu'en perdant tout, et souvent jusqu'au nom même de nation. Il faut, ainsi que l'homme, qu'elle traverse le tombeau pour arriver à la vie une seconde fois.

penser

Cela est sans exception; et il est triste de que ce qu'on appelle les lumières, c'est-à-dire le mépris du bon sens, et une curiosité démesurée de connoître pleinement ce qu'on doit croire fortement, un orgueilleux désir de juger ce qu'on doit respecter, produit infailliblement ce résultat. La Religion et la politique embrassant les plus hauts intérêts des hommes, ils y portent leurs passions d'abord, et ensuite leur raison avec plus de danger; car les passions toujours mises en jeu par ce qui est, et s'y arrêtant, n'opèrent jamais seules les grandes révolutions; tandis que la raison, passant soudain de ce qui est à ce qu'elle imagine devoir être, et ne trouvant point dans les idées l'obstacle les passions trouvent dans les choses, ruine

que

par sa base l'ordre existant, et détruit tout en dégoûtant de tout. « L'art de bouleverser les Etats,

[ocr errors]
[ocr errors]

dit excellemment Pascal, est d'ébranler les cou» tumes établies, en sondant jusque dans leur source... C'est un jeu sûr pour tout perdre (1). Rien ne résiste au raisonnement, et la société moins que tout le reste. Aussi, quand tout un peuple se met à disputer sur la meilleure forme de gouvernement, on peut sûrement prédire qu'il ne conservera pas long-temps le sien, supposé qu'il en ait un encore.

Or, puisqu'il y a des sociétés plus ou moins heureuses, des sociétés paisibles et des sociétés agitées, des sociétés stables et des sociétés sans cesse mobiles, il existe une cause de cette différence. Essayons de la découvrir, et pour cela, posons quelques principes simples, quelques-unes de ces solides maximes enracinées dans les siècles, et que le sens commun déduit d'abord de l'observation des faits dont elles ne sont, pour ainsi dire, que l'expression abrégée.

Toute société tend à la perfection, parce que toute société tend au bonheur ; et le bonheur, pour la société comme pour l'homme, n'est que la tranquillité de l'ordre. Partout où il y a désordre, il y a malaise, inquiétude, effort pour arriver à un état plus parfait. La société souffrante cherche à se placer dans ses rapports naturels, et on reconnoît qu'elle y est parvenue, au calme intérieur, à la

(1) Pensées de Pascal, chap. xxv, no 6.

>>

[ocr errors]

profonde paix dont elle jouit. Aussi l'Ecriture, qui propose les vérités les plus hautes sous des images familières, pour les rendre accessibles aux plus foibles esprits, annonçant au peuple juif une félicité qui combleroit pleinement ses désirs : « Chacun » dit-elle, s'asseyera sous sa vigne et sous son figuier, et personne ne troublera son repos (1). Le repos, résultat de l'ordre, est donc le bonheur des peuples, et une société où régneroit un ordre parfait, jouiroit d'un parfait repos; et c'est peut-être la secrète raison de cette apparente indolence que les peuples imparfaitement constitués reprochent à certaines nations plus avancées dans la véritable civilisation. Mais tôt ou tard il vient un temps où l'énergie de ces nations paresseuses, mise à l'épreuve, apprend à leurs contempteurs surpris, à distinguer le noble repos de la force, de l'avilissante langueur de l'apathie.

L'unité est l'essence de l'ordre, car l'objet de l'ordre est d'unir; et la société même, dans sa notion la plus générale, n'est que la réunion des êtres semblables. Où il n'y a pas d'unité, il y a séparation, opposition, combat, désordre et malheur.

Pour qu'il y ait unité sociale, il faut que chaque partie soit ordonnée par rapport au tout; chaque individu, par rapport à la famille ; chaque famille, par rapport à la société particulière dont elle est

(1) Et sedebit vir subtùs vitem suam, et subtùs ficum suum, et non erit qui deterreat. Mich., cap. iv, 4.

membre; chaque société particulière, par rapport à la grande société du genre humain; et le genre humain lui-même, par rapport à la société générale des intelligences dont Dieu est le suprême monarque.

L'idée même de l'ordre est contradictoire, si on ne remonte pas jusque-là. Car, point d'ordre social sans hiérarchie sociale, sans pouvoir et sans sujets, sans le droit de commander et le devoir d'obéir. Or, entre des êtres égaux, il n'existe naturellement ni devoirs, ni droits, ni sujets, ni pouvoir, ni par conséquent d'ordre possible; et jamais on ne constituera de société seulement avec des hommes: il faut que l'homme soit d'abord en société avec Dieu, pour pouvoir entrer en société avec ses semblables.

Point d'ordre social encore, sans le sacrifice des intérêts de chacun à l'intérêt de tous; or ce sacrifice est sans raison, c'est-à-dire, absurde à demander, et impossible à obtenir, quand c'est l'homme qui le demande à l'homme, parce qu'il ne peut rien offrir en compensation, et que ce sacrifice, qui n'est autre chose que la vertu, seroit évidemment la plus inconcevable folie, s'il n'existoit une société plus excellente et plus durable où il recevra sa récompense.

Puisqu'on ne peut pas même imaginer de société sans un pouvoir qui gouverne et des sujets qui sont gouvernés, le pouvoir et les sujets sont des êtres nécessaires et il existe entre eux des rapports

[ocr errors]
« PredošláPokračovať »