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légères déviations, l'Europe s'avançoit vers la perfection où le Christianisme appelle les peuples comme les individus, lorsque la Réforme vint subitement arrêter ses progrès, et la précipiter dans un abîme où elle s'enfonce tous les jours, et dont nous ne connoissons pas encore le fond. Comment s'opéra cette révolution? Par un changement total dans les doctrines. Au principe d'autorité, base nécessaire de la foi religieuse et sociale, ou substitua le principe d'examen, c'est-à-dire que l'on mit la raison humaine à la place de la raison divine, ou l'homme à la place de Dieu. L'homme alors redevint ennemi de l'homme, parce que, souverain de droit dans l'ordre politique comme dans l'ordre religieux, chacun prétendit de fait à l'empire, et voulut établir le règne de sa raison particulière et de son pouvoir particulier; prétention absurde, mais conséquente, et qui devoit aboutir inévitablement à la servitude politique et à l'anarchie religieuse, qui n'est en réalité que la servitude de toutes les erreurs. Telle fut la cause des guerres furieuses qui ensanglantèrent l'Allemagne, la Bohême, la France, l'Angleterre, les Pays-Bas. L'esprit d'indépendance, ou l'esprit de domination, car, sous des apparences opposées, ce n'est au fond que même sentiment, passa des opinions dans les mœurs. On avoit nié l'autorité, on s'affranchit de l'obéissance; et chaque négation nouvelle conduisit à une nouvelle destruction. En niant le sacrifice, on détruisit le culte et les monumens du culte; en niant

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le libre arbitre, la vie future, on détruisit les devoirs; en niant Dieu enfin, on détruisit tout, les lois, la société, l'homme même.

Après une expérience si décisive, je ne pense pas qu'on soit tenté de révoquer en doute l'extrême influence des doctrines sur la société, ni de supposer qu'il puisse y en avoir d'indifférentes pour elle. Mais si l'on ne veut pas en croire l'expérience, qu'on en croie au moins la philosophie. Ne s'autorisoit-elle pas naguère, pour propager ses erreurs qu'elle appeloit des vérités, du rapport intime, inséparable, qui existe entre les croyances et les actions, entre la félicité ou le malheur du genre humain et les opinions régnantes? Elle n'a cessé, pendant cinquante ans, de nous répéter cette maxime; et les preuves de fait dont il lui a plu récemment de l'appuyer, en ont porté, pour les plus aveugles, la démonstration jusqu'à l'évidence.

Il suffiroit de savoir qu'aucune doctrine n'est indifférente par rapport à la société, pour conclure que l'indifférence est opposée à la nature de l'homme essentiellement sociable. Toutefois, sans insister sur une conséquence dont la justesse ne seroit peutêtre pas universellement sentie, essayons de parvenir à cette vérité par une autre voie.

On peut définir l'indifférence absolue, « l'ex» tinction de tout sentiment d'amour et de haine » dans le cœur, à raison de l'absence de tout juge» ment et de toute croyance dans l'esprit. » Or, » juger, croire, aimer, haïr, sont des actes inhérens

à la nature des êtres intelligens. C'est leur mode essentiel d'existence; et les en dépouiller, ce seroit les anéantir. Otez le désir ou l'amour, vous détruisez la volonté; ôtez la conviction ou la foi, et j'entends par ce mot l'acquiescement de l'esprit à une vérité réelle ou présumée, vous détruisez l'intelligence; car être intelligent, c'est juger, c'est prononcer qu'il y a bien ou mal, vérité ou erreur dans les objets ou dans les idées que l'esprit considère. Notre raison peut se tromper sans doute, parce qu'elle est finie, c'est-à-dire, imparfaite, et que mille causes étrangères concourent encore à la troubler; elle juge mal, parce qu'elle ne voit qu'une partie de ce qu'il faudroit voir pour bien. juger, ou ne le voit qu'à travers des nuages qui l'obscurcissent; cependant, alors même elle n'est point indifférente, elle juge nécessairement d'après ce qu'elle aperçoit ou croit apercevoir.

Il est vrai que, lorsqu'exempts de préoccupation, nous reconnoissons que nous ne sommes pas suffisamment éclairés, nous possédons la faculté de suspendre notre jugement; mais cela même est un jugement d'une autre espèce, ou la déclaration d'une vérité clairement aperçue, je veux dire de notre ignorance invincible ou volontaire. En ce cas, l'indifférence devient non-seulement possible, mais inévitable; car comment aimer ou haïr ce qu'on ne connoît pas ? Cependant, cette indifférence partielle ou relative, n'est pas, comme l'indifférence absolue, la destruction de l'intelligence ; elle n'est

que l'effet affligeant, soit de sa limitation naturelle, soit des bornes arbitraires que lui prescrit une volonté foible ou corrompue; et l'indifférence, sous ce dernier rapport, rentre dans le domaine de la morale; car, lorsqu'il dépend de nous de connoître, ce peut être un crime, et un très-grand crime de rester indifférent.

Du reste, l'indifférence, quelle qu'elle soit, n'est jamais propre qu'à humilier, puisque toujours elle résulte du défaut de lumières ou de l'imperfection de l'intelligence. Quelle gloire une créature raisonnable pourroit-elle tirer d'une ignorance qui la dégrade? Supposez cette ignorance sans cesse croissante, l'indifférence croîtra proportionnellement, et vous arriverez en même temps à l'indifférence complète et à l'idiotisme absolu.

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Pour que l'homme fût indifférent sur ce qu'il connoît, il faudroit qu'il y eût quelque chose d'indifférent en soi; « or, je ne crains ne crains pas d'avancer » dit un de nos écrivains les plus profonds, qu'il n'y a rien de ce genre, rien d'indifférent, ni dans » la nature, ni dans les lois, ni dans les mœurs » ni dans les sciences et les arts, ni, à plus forte » raison, dans la Religion....... En tout il y a vrai » et faux, bien et mal, ordre et désordre: bien et >> mal moral, bien et mal philosophique, bien et » mal politique, bien et mal littéraire, oratoire, poétique, etc., etc.; bien et mal dans les lois » comme dans les arts, dans les mœurs comme dans les manières, dans les procédés comme

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» dans les opinions, dans la spéculation comme » dans la pratique (1). » Aussi l'homme, en réalité, n'est-il indifférent que sur ce qu'il ignore, ou sur ce qui n'existe pas à son égard. Il est en relation d'amour ou de haine avec tous les objets de ses pensées, et tient à ses jugemens quelquefois plus qu'à la vie même (*). De là le désir inné de faire prévaloir nos opinions, même sur les choses les plus frivoles; de là le charme de l'étude, d'autant plus vif que l'intelligence est plus cultivée et plus étendue; de là les controverses de tout genre, sur la physique et sur la morale, sur la théologie et sur la grammaire; de là les sectes et les académies, les discordes publiques et les spectacles, les passions qui ébranlent la société, et les vertus qui la conservent; de là enfin l'esprit de prosélytisme, si ridiculement reproché aux Chrétiens, et qui se rencontre partout où existe une persuasion quelconque, dans les conversations comme dans les chaires, dans la politique comme dans les lettres, dans les sciences comme dans les mœurs, dans la philosophie comme dans la Religion, avec cette seule différence, que, dans la Religion, il est plus durable et plus noble, parce qu'elle renferme plus de vérités, et des vérités plus importantes.

(1) Sur la Tolérance des Opinions, par M. de Bonald, Spectateur français au XIXe siècle, tome IV, p. 69-71. (*) Toute opinion peut être préférée à la vie, dont l'amour paroît si fort et si naturel, Pascal.

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