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Quoi qu'en aient dit quelques sophistes, il est donc prouvé, par le fait, qu'un peuple athée ne sauroit subsister (*), puisque la seule tentative de substituer l'athéisme à la Religion a bouleversé de fond en comble la société en France. Aussi l'opinion contraire, avancée d'abord comme un simple paradoxe, par des hommes d'une imagination déréglée, n'a-t-elle pu devenir une croyance que pour un petit nombre d'insensés, non moins dépourvus de lumières que pleins d'orgueil, et si profondément pervertis, qu'en eux chaque pensée étoit un crime.

Dans tous les temps, on a senti que la Religion étoit l'unique fondement des devoirs, comme, à leur tour, les devoirs sont l'unique lien de la société. Rien ne peut suppléer la conscience, qui elle-même supplée tout. On a beau parler aux hommes de bien public, d'intérêt général, l'inté

(*) L'athée Diderot, appréciateur non suspect de sa propre doctrine, convient de ceci; et son aveu a d'autant plus de poids, qu'il est consigné dans une correspondance qui, n'étant point destinée à voir le jour, doit représenter plus fidèlement que ses autres ouvrages les véritables sentimens de l'auteur. Voici ses paroles : « On » a dit quelquefois qu'un peuple chrétien, tel qu'il doit » être suivant l'esprit de l'Evangile, ne sauroit subsister. » Cela seroit bien plus vrai d'un peuple philosophe, s'il » étoit possible d'en former un; il trouveroit sa perte, au » sortir du berceau, dans le vice de sa constitution. » Correspondance littéraire, etc., par Grimm et Diderot, tom. Ier, pag. 492.

rêt particulier sera constamment leur mobile; et la puissance même de la Religion consiste en ce qu'elle montre à chacun un intérêt immense à concourir au bien général. Il ne faut que du bon sens pour voir cela. Les législateurs de l'antiquité ne s'y méprirent point; au lieu de raisonner follement contre la Religion, ils s'en servirent pour consolider l'édifice social; ils la placèrent partout, dans la famille, près des foyers domestiques, et dans l'Etat, comme partie de la constitution et du Gouvernement. Ils firent descendre les lois du ciel, et attachèrent, par l'opinion, quelque chose de divin à tous les événemens de la vie humaine, à toutes les institutions civiles, aux objets inanimés même, aux bois, aux fleuves, aux pierres destinées à séparer les héritages: et, si l'on y regarde de près, on se convaincra que le paganisme ne multiplia les dieux à l'infini, qu'à cause du besoin infini que l'homme a de la Divinité.

Quand les mœurs se corrompirent, quand la raison commença d'examiner ses croyances avec aversion, il lui fut aisé sans doute de reconnoître la fausseté du polythéisme; mais ce n'étoit pas ce qu'il y avoit de faux dans la Religion, qui contrarioit les penchans du cœur, et par conséquent excitoit sa haine aussi la philosophie, laissant l'idolâtrie en paix, dirigea principalement ses attaques contre les vérités importunes aux passions, contre les principes de la morale, contre les peines et les récompenses futures, contre l'immortalité de

l'âme et l'existence de Dieu. La licence qu'elle protégeoit lui fournit de nombreux disciples: mais loin de révoquer en doute la nécessité politique de la Religion, ils en furent tellement frappés, qu'ils la confondirent avec les institutions purement politiques, et la crurent une invention du législateur. A ce titre, elle demeura extérieurement sacrée comme les lois; et le magistrat, imbu des maximes athées d'Epicure, auroit puni, avec une inflexible sévérité, toute atteinte portée au culte établi.

Avant d'examiner ce système philosophique, il est à propos de le voir, pour ainsi dire, en action, chez les anciens et chez les modernes. C'est le plus court et le plus sûr moyen pour s'en former une juste idée.

Il s'introduisit chez les Romains vers le déclin de la république, et son origine concourt avec la décadence des vertus publiques et privées. Cependant, il pénétra d'abord parmi les grands et les riches, toujours aisément séduits par ce qui flatte l'amour-propre, tranquillise les passions, et soulage le tourment de l'ennui; le peuple, assez longtemps, fut étranger à la nouvelle philosophie, et l'on doit rapporter à cette époque le tableau qu'a tracé Gibbon de l'état religieux de l'empire.

«Les différens genres de cultes qui régnoient » dans le monde romain, étoient tous considérés » par le peuple comme également vrais, par le

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philosophe comme également faux, par le magistrat comme également utiles : et cette tolé>> rance produisoit non-seulement une indulgence mutuelle, mais un véritable accord entre les religions.

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La superstition du peuple n'étoit mêlée d'au>> cune haine, d'aucune aigreur, théologique, ni >> enchaînée dans le cercle d'un système exclu

sif. Le dévot polythéiste, tout attaché qu'il » étoit à son culte, et au rit national, admettoit, » avec une foi implicite, toutes les religions de la

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Les philosophes conservoient, dans leurs écrits >> et dans leurs conversations, l'indépendance et la dignité de leur raison; mais pour leurs actions, » ils se soumettoient aux règles établies par les lois >> et par l'usage. Regardant avec un sourire de pitié » et d'indulgence les erreurs du vulgaire, ils pratiquoient avec exactitude les cérémonies religieuses de leurs ancêtres; ils fréquentoient dé>> votement les temples des dieux; tel même d'entre » eux, jouant un rôle sur le théâtre de la supersti» tion, cachoit les sentimens d'un athée sous la » robe d'un pontife. Il eût été difficile de détermi>> ner des hommes qui raisonnoient ainsi, à s'entredisputer sur les différens modes de croyance ou de culte. Il leur étoit fort indifférent que les folies » de la multitude prissent telle forme plutôt que » telle autre et ils approchoient, avec le même

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mépris intérieur et le même respect apparent, des >> autels du Jupiter de Libye, de celui de l'Olympe, » ou de celui du Capitole (1). »

On seroit moins surpris de la complaisance avec laquelle M. Gibbon peint l'incrédulité romaine, s'il en avoit ignoré les épouvantables effets. Mais il savoit mieux que personne que le mépris intérieur des philosophes, non pas seulement pour le Jupiter de Libye et celui de l'Olympe, mais pour toute divinité quelconque, ne tarda pas à se propager parmi les dévots polytheistes, et qu'à l'exemple des grands, devenue indifférente à tout, hors au plaisir, la multitude se désabusa tellement des folies et des superstitions antiques, que l'empire, privé de l'appui qu'il empruntoit de la Religion, chancela tout à coup comme un homme ivre, et disparut enfin dans la fange, où le traînèrent avec ignominie des peuples forts de leurs croyances et de leurs mœurs. Montesquieu ne craint pas d'attribuer sa chute à la philosophie d'Epicure, dont M. Gibbon admire si naïvement le résultat (*). Il ne s'est pas aperçu que le tableau qu'il a voulu ren

(1) Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire romain, tom. Ier, chap. 11.

(*) Bolingbrocke pense sur ce point absolument comme Montesquieu. « L'oubli et le mépris de la Religion fu» rent, dit-il, la cause principale des maux que Rome éprouva dans la suite; la Religion et l'Etat déchurent » dans la même proportion. » Tom. IV, pag. 428.

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