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dre attrayant n'est qu'une effrayante description du vice intérieur qui devoit irrémédiablement conduire Rome à sa perte.

Si l'on considère attentivement le genre humain, à l'époque où commence cette grande révolution, on n'aura pas de peine à démêler, à travers l'éclat des événemens, les causes qui la rendoient nécessaire. Le corps social étoit épuisé, et l'apparence de vigueur qu'il continua de montrer quelque temps encore, tenoit presque uniquement à la conservation de la discipline militaire, qui s'altéra bientôt comme tout le reste. La puissance absolue des empereurs suppléa momentanément aux lois, aux mœurs, à la Religion. Il y eut je ne sais quelle triste imitation de l'ordre, parce qu'on obéit, et l'on obéit parce qu'on trembla. L'épée du légionnaire fut le sceptre avec lequel on gouverna ces fiers Romains qui avoient donné des fers au monde entier ; et comme il n'y avoit jamais eu d'exemple d'une semblable domination, jamais il n'en exista d'une pareille servitude.

A partir du règne de Tibère, on voit les âmes se dépraver à un point qui étonne même aujourd'hui; ou plutôt on voit se manifester une dégradation déjà existante, et qui n'attendoit, pour se produire au grand jour, et prendre, en quelque sorte, une solennelle possession de l'opprobre, qu'un premier exemple et un indigne salaire. A la vérité, quelques rares vertus apparoissoient encore de loin à loin dans la société, comme ces feux

qu'on allume la nuit sur les bords d'une mer orageuse, pour indiquer la route au navigateur; mais elles sembloient ne briller que pour éclairer les naufrages qu'elles auroient dû prévenir. Et ces vertus elles-mêmes, examinées de sang-froid, qu'étoient-elles, après tout, que le facile courage de mourir, disons mieux, de se dérober à la fatigue de vivre? La force des plus hautes âmes consistoit à plier sous le fardeau de ces temps effroyables. Qu'on juge du peuple entier par les exceptions.

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L'esprit humain ne savoit plus où se prendre. Dépouillé de ses croyances et de ses opinions même, il nageoit au hasard dans un océan immense d'incertitudes et de doutes. Il n'y avoit plus de ganisme, il n'y avoit plus même de philosophie, à moins qu'on n'appelle de ce nom ces vagues jeux de l'esprit, dont quelques Romains amusoient leurs loisirs dans les jardins de leurs villa, ou sous les portiques de leurs palais, sans que, de tous ces discours ingénieux, il sortît une règle fixe de conduite et un principe pour la conscience. On dissertoit sur les dieux, pour douter s'ils existoient; sur les devoirs, pour les éluder ; sur la mort, pour conclure qu'il falloit se hâter de jouir de la vie ; et, par-dessus tout, on s'abandonnoit mollement au courant du fleuve, qui emportoit pêle-mêle les débris de l'ordre social, et les hommes, et les institutions, et l'empire même.

Toutefois, malgré l'indifférence générale, et peut-être à cause de cette indifférence, le culte

subsistoit encore; mais un culte vide de foi, et par conséquent dépourvu d'effet. On continuoit d'attester à la tribune les dieux immortels: jamais les rhéteurs ne furent plus féconds en maximes sévères, en pompeuses sentences de morale : et cependant la société s'affoiblissoit à vue d'œil; car des phrases ne sont pas des croyances, et de futiles déclamations ne remplacent point les doctrines sociales. La philosophie elle-même, bien que décidée à ne voir dans ces doctrines que des préjugés, en a reconnu de nos jours la nécessité indispensable.

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Il faut sans doute des préjugés aux hommes, dit un de ses plus célèbres disciples, dans un ouvrage où il enseigne l'athéisme : « sans eux point » de ressort, point d'action; tout s'engourdit, tout » meurt (1). » Ainsi la mort de la société, la mort genre humain seroit le résultat de la victoire que la moderne s'efforce de remporter sur ce qu'elle nomme les préjugés. Nous ne le savions que trop déjà; mais on aime à en entendre l'aveu de sa propre bouche.

du

sagesse

Le Christianisme trouva donc l'empire dans cet état de défaillance morale qui résulte de la priva-. tion de la vérité, et présage une dissolution prochaine; et, pour s'établir, il eut à vaincre l'indifférence générale, et la résistance des magistrats, décidés à soutenir le paganisme, non comme Re

(1) Correspondance littéraire de Grimm et de Diderot, tom. V, page 8.

ligion, mais comme institution de l'Etat. Tel fut presque l'unique motif qui dicta tant d'édits sanglans. Le fanatisme y eut si peu de part, que le philosophe Marc-Aurèle et Trajan 'ne furent pas moins persécuteurs que Néron. Ils proscrivirent les Chrétiens comme des ennemis des lois, et il est très-remarquable que l'intolérance politique est la plus implacable et la plus barbare, parce qu'elle n'est point adoucie par la Religion qu'elle défend. En toute religion, même fausse, il y a quelque chose de généreux et de favorable à l'humanité : la politique au contraire est sans pitié, et constamment calme et froide, même lorsqu'elle est atroce. Cela s'est vu à toutes les époques; et rien, sous ce rapport, ne ressemble davantage aux persécutions des empereurs contre les premiers Chrétiens, que les persécutions de l'Angleterre contre les catholiques. Mais je traiterai ailleurs cet important sujet, qui mérite une attention particulière.

Il n'y a qu'un moyen de tirer les hommes de l'indifférence où les jette l'abus de la raison : c'est de dompter cette raison altière, en la forçant de plier sous une autorité si haute et si éclatante, qu'elle n'en puisse méconnoître les droits. Il faut la convaincre qu'il existe une raison supérieure, immuable règle du vrai, à laquelle elle doit se soumettre, comme au suprême monarque de toutes les intelligences: il faut en un mot que, reconnoissant la souveraineté de Dieu, elle s'élève jusqu'à une obéissance absolue, qui, la retenant à sa

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place, d'où elle ne sort jamais que pour s'égarer, l'empêche de se ravir à elle-même la possession de la vérité. Or, voilà ce que le Christianisme fit admirablement. Il s'annonça d'abord avec tous les caractères extérieurs de divinité; et quand il eut prouvé son origine céleste, il bannit tous les doutes, en ne laissant indécise aucune vérité nécessaire, et contraignit la raison humaine de se prosterner devant la raison divine, et d'écouter en silence, avec un plein assentiment, les sublimes leçons qu'elle lui dictoit. Le principe d'action ou la foi acquérant un degré de force proportionné à l'autorité infinie qui enseignoit, on put dire à l'homme: Sois parfait comme Dieu méme est parfait; on put lui commander tout, parce que tout est possible à celui qui croit (1): et certes, quiconque a l'idée de ce qu'étoit le genre humain sous Tibère et ses successeurs, avouera qu'il ne falloit rien moins qu'une puissance infinie pour substituer aux mœurs de ces siècles abominables la sévère morale de l'Evangile, et sa doctrine rigoureuse, à la sceptique philosophie, dont les maximes dissolues avoient jeté de si profondes racines dans tous les cœurs. Aux yeux de qui le sait comprendre, ce miracle est plus frappant que la résurrection d'un mort; et la parole qui ranime un cadavre, en le rappelant à la vie des sens, est moins mer

(1) Omnia possibilia sunt credenti. Marc., ix, 22.

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