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veilleuse peut-être que celle qui ranime un peuple entier, en le rappelant à la vie de l'intelligence.

Une constante fidélité au principe fondamental de la Religion chrétienne garantit l'Europe, pendant quinze siècles, non des scandales passagers de l'erreur, mais du mortel assoupissement de l'indifférence. On ne vit renaître en son sein cette maladie terrible, qu'au moment où la raison, rebelle à l'autorité suprême qui l'avoit guidée jusqu'alors, s'efforça de recouvrer la servile indépendance dont le Christianisme l'avoit affranchie.

La Réforme, qui montra de bonne heure un penchant abject et une vénération impie pour les héros de la philosophie ancienne (*), ne fut elle

(*) Dans la profession de foi présentée par Zwingle à François Ier, ce chef de la réforme helvétique plaçoit dans le ciel, à côté de Jésus-Christ et des Apôtres, non-seule. ment Socrate, Aristide, Antigone, Numa, Camille, les Caton, les Scipion, mais Hercule et Thésée. « Je ne sais » pourquoi, dit Bossuet, il n'y a pas mis Apollon ou Bac» chus, et Jupiter même : et s'il en a été détourné par les » infamies que les poëtes leur attribuent, celles d'Hercule » étaient-elles moindres? » (Hist. des variat., liv. II, n. 19.) Luther lui-même fut effrayé de voir la Réforme, à sa naissance, tomber dans l'indifférence des religions. Il écrivit que Zwingle « étoit devenu païen en mettant » des païens impies, et jusqu'à un Scipion, épicurien, jusqu'à un Numa, l'organe du démon pour instituer » l'idolâtrie chez les Romains, au rang des âmes bien>> heureuses. Car à quoi servent le baptême, les autres » sacremens, l'Ecriture et Jésus-Christ même, si les im

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même, dès son origine, qu'un système de philosophie anarchique, et un monstrueux attentat contre le pouvoir général qui régit la société des intelligences. Elle fit reculer l'esprit humain jusqu'au paganisme; et des causes semblables à celles qui avoient agi chez les Romains, au temps de leur plus grande corruption, produisirent de semblables effets chez quelques nations modernes, victimes, à leur insu, des mêmes principes destructeurs. Considérons un moment l'Angleterre en particulier. Sa position isolée permit à la Réforme de s'y développer avec moins d'obstacle, en sorte qu'on ne peut nulle part mieux observer, et sa marche progressive, et son influence sur la société.

Les anarchistes de 1793 cherchèrent à établir l'ordre social sur la liberté et l'égalité, la liberté absolue d'action, et l'égalité d'autorité ou de droits; ce qui n'étoit qu'une conséquence exacte de la souveraineté du peuple, qui, d'un côté, excluant tout supérieur, laisse chacun entièrement libre ou maître de lui-même; et de l'autre, appartenant également à tous, doit être partagée par tous également. On sait quel fut bientôt le résultat de cette doctrine: mais ce que je veux faire observer ici,

» pies, les idolâtres et les épicuriens sont saints et bien» heureux? Et cela, qu'est-ce autre chose que d'ensei>> gner que chacun peut se sauver dans sa religion et » dans sa croyance?» (Parv. conf. Luth. hosp. p. 2, 187.)

c'est sa parfaite conformité avec la doctrine théologique des protestans. Ayant posé en principe la souveraineté de la raison humaine en matière de foi, ils essayèrent de donner pour base à la Religion, la liberté et l'égalité, c'est-à-dire, la liberté de croyance, et l'égalité d'autorité ; et cette doctrine, commune aux révolutionnaires politiques et religieux, a dû avoir et a eu réellement un résultat semblable dans l'ordre politique et dans l'ordre religieux : dans l'un, elle a produit tous les crimes; dans l'autre, toutes les erreurs; et durant les fatales discordes qui conduisirent un de ses rois à l'échafaud, l'Angleterre en a éprouvé simultanément ce double effet.

Cependant chaque secte se sentant défaillir, tâchoit de s'attribuer sur ses membres une autorité régulatrice des croyances et des actions, ou de saisir quelques débris du principe conservateur qu'on avait imprudemment brisé. Inutile tentative: on lui montroit aussitôt qu'elle ne pouvoit réclamer une pareille autorité sans se condamner ellemême; et l'impuissance absolue de trouver un point de repos sur les sables mouvans de la Réforme, contraignit les esprits conséquens de traverser rapidement tout le Christianisme, pour arriver au même terme que la philosophie antique, c'est-à-dire, à l'athéisme d'abord, et ensuite à l'indifférence, qui renferme toutes les erreurs ensemble, parce qu'elle exclut à la fois toutes les vérités.

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Alors il s'opéra dans les idées une révolution semblable à celle qui eut lieu à Rome vers la fin de la république: on cessa de s'occuper de la Religion comme vraie, pour la considérer sous un point de vue purement politique. On en fit une institution de l'Etat, complétement soumise au chef de l'Etat, même quant au dogme. On avoit refusé de croire au Christianisme sur l'autorité de Dieu, et l'on en vint jusqu'à ne croire en Dieu que sur l'autorité du roi ; « parce qu'il est immoral et impie, dit un célèbre philosophe anglais, lorsque » le souverain a sanctionné un symbole, de nier ou » de révoquer en doute l'autorité divine d'une seule ligne ou d'une seule syllabe de ce symbole,» attendu que « le témoignage et l'autorité des lois » sont l'unique garantie que nous ayons contre l'er» reur (1). » Tel est aussi le sentiment de Hobbes; les chrétiens, selon lui, sont obligés d'obéir aux lois d'un prince infidèle, même en matière de religion: « La pensée est libre; mais, en ce qui tient à >> la confession de la foi, la raison particulière doit » se soumettre à la raison générale, ou au souve» rain, qui est le lieutenant de Dieu (2).

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On ne sauroit confondre plus entièrement l'ordre politique et l'ordre religieux, ni montrer une plus profonde indifférence pour la vérité. On sentoit

(1) Lord Shaftsbury's Characteristics, volume Ier, pages 251-360.

(2) Leviathan, pag. 238.

le besoin d'un culte, et par conséquent d'une autorité qui le défendît contre l'inconstance des opinions; et, comme on ne connoissoit plus d'autre autorité extérieure que l'autorité humaine ou la force, on rendit le dépositaire de la force publique l'arbitre indépendant de la foi. Les passions et les intérêts se donnèrent une religion, comme ils s'étoient donné une constitution; et la religion ne fut même qu'un article de cette constitution: espèce de contrat entre le peuple et le souverain, où le peuple stipula sa servitude religieuse, en échange de ce qu'il prenoit pour la liberté politique. Et quand je dis sa servitude, je le dis avec réflexion; car la servitude consiste, non dans l'obéissance à l'autorité, ce qui est au contraire la seule liberté véritable, mais dans l'asservissement à une autorité dépourvue de droit.

Dès que la Religion fut devenue une simple institution politique, et la foi une loi de l'Etat, quiconque professa publiquement une foi différente dut être regardé comme rebelle aux lois et ennemi de l'Etat. De là les persécutions que subirent les dissidens en Angleterre, persécutions purement politiques de leur nature. Car, remarquez la différence: l'Eglise, société spirituelle, ne considérant les religions diverses que sous un rapport spirituel, c'est-à-dire, comme vraies ou fausses, est souverainement intolérante pour les erreurs; mais ne prononce contre les personnes que des peines spirituelles. Le pouvoir politique, au contraire,

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