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du monde entier. Votre simple assertion ne suffit pas pour renverser cette masse imposante de témoignages. Il faut quelque chose de plus, il faut des preuves: prouvez donc, ou taisez-vous.

Qu'auroit-elle à répliquer à qui lui tiendroit ce langage? Elle qui se fait gloire de ne déférer à aucune autorité, exigeroit-elle qu'on se soumît aveuglément à la sienne? Les annales des peuples sont aussi entre nos mains; ce qu'elle y a lu, nous l'y pouvons lire comme elle; qu'elle nous montre donc la page où il est écrit: En telle année l'on inventa Dieu.

Véritablement la philosophie a quelquefois une logique bizarre: « Cela est ainsi parce que je l'af» firme, et je l'affirme parce qu'il me semble que » cela ne peut être autrement. » Ne voilà-t-il pas une puissante démonstration? Quelle pitié! Mais le mépris redouble lorsqu'on examine de près les incohérentes rêveries qu'elle nous donne pour des certitudes.

Comment ne voit-elle pas qu'avant qu'il y eût des législateurs il y avoit des hommes réunis, et par conséquent des sociétés, et par conséquent une Religion, d'après son propre aveu?

La société est l'état naturel, l'état nécessaire de l'homme : hors de la société, il ne peut ni se reproduire ni se conserver. Donc la Religion, sans laquelle il ne sauroit exister de société, est nécessaire comme la société : donc elle n'est pas une invention humaine.

A la vérité, l'homme peut rejeter d'anciennes croyances et en admettre de nouvelles. Certaines Religions peuvent varier, en ce qu'elles ont d'arbitraire, soit à l'avantage, soit au détriment de l'ordre social; mais le fond en a subsisté toujours, sans quoi la société eût manqué d'une condition nécessaire à son existence; et les philosophes que je combats raisonnent comme le physiologiste qui, de la nécessité de l'air pour donner le jeu aux organes, et la vie au corps humain, concluroit que les hommes ont inventé l'air.

Les législateurs anciens se prévalurent, je l'avoue, des croyances reçues, pour imprimer à leurs lois une sorte de consécration divine. Mais si la Religion n'eût été qu'une partie de ces lois mêmes, si elle ne les avoit pas précédées, comment en eûtelle être la sanction? La nécessité des lois est pu manifeste, elle est sentie de tous les hommes; et cependant les législateurs, au lieu de s'appuyer sur cette nécessité évidente, auroient été chercher, hors de la raison humaine, une absurdité, pour en faire la base de l'ordre social: qui le croira jamais?

D'ailleurs il ne faut pas s'imaginer qu'il soit donné à l'homme de changer d'un mot les idées de l'homme. On ne conçoit pas, il est vrai, qu'un peuple puisse subsister sans Religion; mais si la Religion est fausse, ou, autrement, si elle n'est qu'une invention de la politique, on conçoit encore moins qu'elle ait pu s'établir et se perpétuer

chez tous les peuples sans exception. Il n'existe aucun exemple d'une erreur ainsi adoptée universellement, et surtout d'une erreur qui contrarie les passions. Cela est tellement contraire à la nature de l'homme, que je comprendrois plus aisé ment l'adoption générale d'une logique erronée : au moins ne trouveroit-elle pas d'opposition dans les penchans du cœur.

Remarquez en outre que, pendant que les lois varient presque à l'infini, de même que les formes de gouvernement, les dogmes fondamentaux de la Religion sont partout immuablement les mêmes. Reconnoissez-vous dans cette étonnante uniformité le caractère d'une invention de l'homme? L'erreur est arbitraire, et de là vient qu'en ce qu'elles ont de faux, les religions ne se ressemblent pas, et même se contredisent; mais il y a certains points qui leur sont communs à toutes, et j'en demande la raison; je demande qu'on m'explique ce merveilleux accord entre des inventeurs totalement inconnus les uns aux autres. Dira-t-on que la même erreur, avec la pensée de s'en servir pour l'établissement de l'ordre social, est, par hasard, tombée dans l'esprit des législateurs de tous les pays et de tous les siècles? Etrange hasard, à qui nous devons la société! Mais le hasard au fond n'explique rien; et certes on ne seroit pas reçu à rendre raison de la

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géométrie, en disant le hasard a fait que les inventeurs de cette science, chez les divers peuples, ont eu la même idée des grandeurs et des figures,

et leur ont attribué les mêmes propriétés. La question revient donc toujours, et jamais on ne la résoudra qu'en supposant une tradition générale plus ancienne que les législateurs, c'est-à-dire, une Religion antérieure aux institutions humaines et aux lois positives.

Tout nous ramène à cette conclusion, l'histoire, le raisonnement, et l'expérience que nous avons de nous-mêmes et de nos semblables. La Religion est si naturelle à l'homme, que peut-être n'est-il pas en lui de sentiment plus indestructible. Même lorsque son esprit la repousse, il y a encore dans son cœur quelque chose qui la lui rappelle; et cet instinct religieux qui se retrouve dans tous les hommes, est aussi le même dans tous les hommes (*). Entièrement à l'abri des écarts de l'opi

(*) Je n'avance rien ici que la philosophie ancienne n'ait formellement avoué, et dont elle n'ait même tiré de bonne foi la conséquence. Il y a des vérités si puissantes, que peu d'esprits ont la triste force d'y résister. « Une » preuve inébranlable de l'existence des dieux, dit Cicé» ron, c'est qu'il n'est point de peuple si barbare, ni » d'homme si abruti, qui n'ait le sentiment de la Divi»nité. Plusieurs, il est vrai, abusés par des coutumes » vicieuses, se forment d'indignes idées des dieux : tous cependant croient qu'il existe une puissance et une na»ture divine. Or, ce n'est point ici une opinion que les »'hommes se soient communiquée par le discours, ou qu'ils soient convenus d'adopter; une opinion affermie » par les institutions et par les lois. En toutes choses, le » consentement unanime des peuples doit être regardé

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nion, rien ne le dénature, rien ne l'altère. Le pauvre sauvage qui adore le Grand-Esprit dans les solitudes du Nouveau-Monde, n'a pas sans doute une notion aussi nette et aussi étendue de la Divinité que Bossuet; mais il en a le même sentiment. Or, est-il au pouvoir des lois de créer des sentimens, et des sentimens universels, invincibles? Que penseroit-on de celui qui viendroit nous dire : Le genre humain vivoit dispersé; chacun ne songeoit qu'à soi, n'aimoit que soi; entre le père et les enfans, il n'existoit aucun lien moral, aucune affection réciproque, aucune société durable; le législateur inventa l'amour paternel, la reconnoissance filiale, et la famille naquit?

Et quand on dévoreroit ces absurdités, il s'en présenteroit de nouvelles en foule. Otez la Religion, vous détruisez toute morale obligatoire; et en effet les philosophes anciens et modernes, qui ont attaqué les vérités fondamentales de la Religion, ont, en même temps, ébranlé les préceptes fonda

» comme la loi même de la nature. » Firmissimum hoc afferri videtur, cur deos esse credamus, quod nulla gens tàm fera, nemo omnium tàm sit immanis, cujus mentem non imbuerit deorum opinio. Multi de diis prava sentiunt : id enim vitioso more effici solet : omnes tamen esse vim et naturam divinam arbitrantur. Nec verò id collocutio hominum, aut consensus efficit, non institutis opinio est confirmata, non legibus. Omni autem in re consensio omnium gentium, lex naturæ putanda est. Tuscul., lib. I.

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