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mentaux de la morale. Les inventeurs de la Religion sont donc aussi les inventeurs de la morale. Avant eux, il n'existoit ni juste ni injuste, ni crime ni vertu; rien n'étoit bon ni mal en soi; nourrir son vieux père ou l'égorger étoient des actions indiffé– rentes (*). Tout l'homme se soulève à cette seule idée, et la conscience pousse un cri d'horreur. Mais que dis-je, la conscience? Si la morale n'a aucun fondement dans la nature des êtres, si, comme l'ont dit, et l'ont dû dire ceux qui ne voient dans la Religion qu'une institution politique, elle ne repose que sur des lois ou des volontés arbi

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(*) Selon Hobbes, « tout homme, par la loi de na» ture, a droit sur toutes choses et sur toutes personnes, » de sorte que la condition naturelle de l'homme est l'é» tat de guerre de tous contre chacun, et de chacun >> contre tous : la raison conseille à chaque homme d'es»sayer de s'assujettir, soit par force, soit par ruse, le » plus grand nombre possible de ses semblables, aussi long-temps qu'il ne court aucun risque de la part d'un pouvoir supérieur au sien : les lois civiles sont l'unique règle du bien et du mal, du juste et de l'injuste, de ce. qui est honnête ou déshonnête; et antécédemment å >> ces lois, toutes les actions étoient indifférentes de leur » nature. » Vid. de Cive, chap. vi; sect. XVIII, ch. X, section Ire, ch. XII, Leviathan, pag. 24, 25, 60, 61, 62, 63, 71. Il ne faut pas croire que Hobbes voulût établir directement ces maximes prodigieuses; mais il a vu qu'en bonne logique elles se déduisoient nécessairemen de ses principes, et il a mieux aimé les admettre que d'abandonner ses principes, Une première erreur mène souvent bien loin les esprits qui raisonnent.

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traires, la conscience elle-même n'est qu'un préjugé, une création du législateur. Ainsi point de conscience, point de morale, point de Religion, avant que ce législateur inconnu se fût avisé d'inventer tout cela. Et il se rencontre des hommes qui mettent leur orgueil à se persuader ces inconcevables folies! Au moins devroient-ils reconnoître qu'ils ont mauvaise grâce à taxer qui que ce soit de crédulité.

Ce n'est pas tout. Le système que j'examine suppose, et la fausseté de la Religion, et sa nécessité pour le maintien de l'ordre social. Or, la Religion n'est utile qu'autant qu'on y croit. Il faut donc, ou que tous les membres de la société croient à la Religion, ou qu'elle ne soit nécessaire qu'à une partie des membres de la société. Et comme il y auroit contradiction à ce que ceux qui considèrent la Religion comme fausse, crussent à la Religion, on a été contraint d'établir en principe que la Religion n'est nécessaire qu'au peuple; principe destructif de toute Religion, de l'aveu de Condorcet (*), et qui renferme plus d'inconséquences qu'on n'en pourroit relever en un volume.

Et d'abord, dans le langage philosophique, tout

(*) « Toute religion qu'on se permet de défendre » comme une croyance qu'il est utile de laisser au peuple, peut plus espérer qu'une agonie plus ou moins prolongée. » Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain.

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ce qui croit est peuple, fût-ce même le chef de l'Etat. Quand donc on soutient que la Religion n'est nécessaire qu'au peuple, c'est comme si l'on disoit qu'elle est nécessaire à tous les hommes, hors à ceux qui n'y croient pas; d'où il suit que si personne n'y croyoit, elle ne seroit nécessaire à personne. A la vérité, il n'est pas aisé de comprendre comment, en ce cas, elle ne laisseroit pas d'être indispensable à la société : c'est un mystère dont, jusqu'à présent, il n'a pas plu à la philosophie de nous révéler le secret, et qui paroît destiné à exercer long-temps encore la foi de ses adeptes.

En second lieu, la Religion n'est nécessaire au peuple même, que parce qu'elle est la base des devoirs et la règle des mœurs. Or, le philosophe se croiroit-il indépendant sous ee double rapport, ou auroit-il trouvé à la morale un autre fondement? Je sais qu'on l'a cherché ce fondement, avec une ardeur égale à l'intérêt qu'on se figuroit avoir de le découvrir; mais je sais aussi ce que pensoit Rousseau de cette vaine recherche, qui n'aboutit jamais qu'à l'intérêt particulier. Philosophe lui-même, il connoissoit à fond ses confrères je puis donc avec confiance m'appuyer de son autorité sur un point où sûrement il n'est pas suspect de prévention. Vous qui, sur la foi de quelques sophistes, vous imaginez qu'il est beau de ne rien croire, mais dont l'âme honnête attache encore du prix à la vertu, retenez bien ces paroles de l'auteur d'Emile : « Je n'entends pas que l'on puisse être

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» vertueux sans Religion. J'eus long-temps cette opinion trompeuse, dont je suis bien désa» busé (1). » Sans descendre jusqu'aux argumens personnels, il est permis d'observer qu'en effet les annales philosophiques seroient loin de soutenir à cet égard la plus légère comparaison avec les annales religieuses. Or, s'il est quelquefois honorable de se séparer du peuple, ce n'est pas du moins lorsqu'avec la Religion on lui abandonne encore la vertu.

Mais je veux un moment que l'intérêt bien entendu, ou tout autre motif de même genre, supplée, pour certains individus, les préceptes obligatoires d'une morale divine et la conscience; je veux enfin que la Religion ne soit réellement nécessaire qu'au peuple : à ce titre encore, elle doit être la plus sacrée des lois, puisqu'elle est la plus importante des institutions. L'attaquer, la ruiner dans l'esprit des hommes, c'est saper l'Etat par sa base, c'est se rendre coupable du crime énorme de lèse-société au premier chef. Or, parmi les philosophes qui admettent la nécessité politique de la Religion, combien en est-il qui ne travaillent de tout leur pouvoir, chacun selon son caractère et ses moyens, les uns par des écrits, les autres par des discours, et tous par leurs exemples, à décréditer la Religion, et à propager l'incrédulité jusque dans les dernières classes du peuple ? Qu'ils

(1) Lettre sur les Spectacles.

regardent en pitié, comme le sage de Gibbon, les erreurs du vulgaire, c'est la suite naturelle de leurs propres erreurs; mais, pour être conséquens, ils devroient, comme le même sage, pratiquer avec exactitude les cérémonies religieuses de leurs ancétres, et fréquenter dévotement les temples de Dieu. Leur système les y oblige; est-ce là cependant ce que nous voyons? Ne rougiroient-ils pas au contraire de partager en apparence les opinions du peuple, et même de dissimuler leur mépris pour les objets de son respect et de sa foi? Leur orgueil auroit trop à souffrir, s'ils pensoient qu'on pût les confondre avec la foule des croyans. Ils s'en séparent avec dédain, ils leur prodiguent les amers sarcasmes, l'insultante dérision; et, jaloux de montrer une supériorité d'esprit imaginaire, ils sacrifient de gaieté de cœur aux pitoyables illusions d'un amour-propre aveugle, et l'intérêt sacré de l'Etat, et leurs principes même; en sorte que ne fussent-ils pas les plus insensés des hommes, ils en seroient encore, à les juger sur leur propre doctrine, les plus inconséquens et les plus criminels.

Et quand ils renonceroient, en faveur du bien public, à leur misérable vanité philosophique; quand ils consentiroient à se mêler dans nos temples avec le vulgaire, il ne dépendroit pas d'eux de déguiser assez leurs sentimens réels, pour qu'ils demeurassent inconnus à la multitude. Il n'est pas au pouvoir de l'homme de se contrain

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