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vague

dre à ce point. L'incrédule aura beau composer son extérieur, veiller sur ses paroles et sur ses mouvemens, jamais il ne ressemblera parfaitement au chrétien; et il lui ressemblera d'autant moins que son âme conservera plus de droiture et de délicatesse : il y a dans l'hypocrisie quelque chose de si vil, qu'elle répugne invinciblement à tous les cœurs honnêtes. Et comment le motif de l'utilité générale, qui ne le touche qu'indirectement, obtiendroit-il du philosophe ce que la foi, avec ses terreurs et ses espérances immortelles, n'obtient pas toujours du croyant? A ces considérations, ajoutez l'ennui, la gêne inséparable de pratiques qu'on juge ridicules, l'orgueil secrètement irrité, et ne doutez nullement que le mépris intérieur dont parle Gibbon, ne perce bientôt à travers le respect apparent. Dès lors renaissent les inconvéniens que j'exposois tout à l'heure. Le peuple s'apercevra qu'on le regarde en pitié, et ne tardera pas à rougir d'une religion qui l'humilie. Persuadé qu'elle est le partage de l'imbécillité et de l'ignorance, pensez-vous que ce partage le flatte extrêmement?

Philosophes, parlez moins de la dignité de l'homme, ou respectez-la davantage. Quoi! c'est au nom de la raison, c'est en exaltant avec emphase ses droits imprescriptibles, que vous condamnez froidement plus des trois quarts du genre humain à être la dupe de l'imposture! De grâce, montrez-vous plus généreux envers vos frères;

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laissez pénétrer jusqu'à eux quelques rayons de la lumière dont vous vous applaudissez d'être en possession. Aussi bien ne dépend-il pas de vous de l'empêcher: car, prenez-y garde, s'il faut des vertus, et par conséquent de la force, pour être religieux, il ne faut il ne faut que des passions, et par conséquent de la foiblesse, pour être incrédule. Le cœur se porte de ce côté de tout le poids de sa corruption. Et vous vous imaginez qu'en jetant la Religion au peuple, et lui disant que c'est pour lui un frein nécessaire, il s'empressera de le saisir, en vous abandonnant les rênes? Vraiment, je vois assez que cela seroit commode. Il s'abstiendroit pour vous, et vous jouiriez pour lui. Mais, dans ce calcul ingénieux, vous oubliez deux choses, l'orgueil et la cupidité. Quand une fois ce sera une opinion admise, que la Religion n'est qu'un leurre dont on amuse le peuple, qui voudra être peuple et s'imposer des devoirs pénibles, pour acquérir la flatteuse réputation d'un sot? Chacun prenant modèle sur la classe au-dessus de soi, pensera s'élever en ne croyant pas, et n'en répétera pas moins, d'un ton dédaigneux, que la Religion est nécessaire au peuple. Les grands la renverront avec mépris aux magistrats, les magistrats à la bourgeoisie, la bourgeoisie aux artisans, les artisans aux simples manoeuvres, et ceux-ci aux derniers mendians, de qui elle essuiera les rebuts. Semblable à ces messagers divins, dont il est parlé dans nos saints Livres, cette fille du ciel, étran

gère au milieu de la société, et y cherchant en vain un lieu de repos, sera réduite à s'asseoir sur les pierres des places publiques, entourée d'une foule moqueuse, qui rougiroit de lui offrir un asile hospitalier.

J'en appelle à l'expérience : qu'est-ce qui a introduit l'irréligion dans les chaumières? Le raisonnement? non; mais l'exemple contagieux, mais la honte de paroître crédule. Telle est, avec l'attrait de la licence, la vraie cause des progrès de l'incrédulité. Et certes, la philosophie est étrangement confiante, si elle a pu espérer sérieusement de séparer le genre humain en deux classes, dont l'une croiroit pour la sûreté de l'autre, et ne recueilleroit en retour que le dédain; dont l'une ne reconnoîtroit d'autre devoir que d'obéir à ses penchans, et l'autre renonceroit à ses penchans pour obéir à des devoirs chimériques; dont l'une se riroit de ce que l'autre respecteroit complaisamment; en sorte que d'un côté se trouveroit, avec l'indépendance, tout ce que l'homme recherche ici-bas; et de l'autre, avec la servitude des préjugés, tout ce qu'il redoute et qu'il hait, sans autre compensation que le mépris. N'est-ce pas là une heureuse et profonde combinaison? Quel délire! et pourtant voilà ce qu'on croit, ce qu'on admire, de préférence à la vérité. Mais la nature, dont les lois ne varient point au gré des passions, réfute bientôt, d'une manière terrible, ces théories que l'orgueil humain essaie d'opposer à l'ordre éter

nel. Ici les faits parlent, et assez haut pour être entendus de ceux même qui fermeroient l'oreille à la raison. Si quelqu'un conservoit le triste courage de nous vanter les religions politiques, au milieu des ruines de la foi, des mœurs, de la société, toutes ces ruines ensemble éleveroient la voix pour le confondre. Ainsi la Religion est indispensable dans le système, et en admettant le système, la Religion ne sauroit subsister : lecteur, tirez la conclusion.'

Mais accordons aux indifférens politiques ce qu'ils prétendent, admettons que la Religion est une erreur, la morale une erreur, et voyons ce qui s'ensuivra. Ces erreurs, de leur aveu, sont nécessaires à la société. Or, l'homme ne se conserve que dans l'état de société; ce n'est non plus que dans l'état de société que ses facultés intellectuelles se développent, qu'il s'élève au-dessus de la brute, par l'exercice de sa raison, par la culture des sciences, par la pratique des vertus. D'un autre côté, l'erreur n'existe pas nécessairement; elle a pu être ou n'être pas inventée; elle est le produit contingent de ce qu'on appelle hasard. D'où il résulte :

1° Que la société est un pur effet du hasard, et que, selon toutes les vraisemblances, le genre humain devoit périr en naissant, puisqu'il n'a pu se perpétuer qu'à l'aide d'une invention fortuite, infiniment moins probable que l'invention des aéros– tats: car enfin celle-ci n'est que l'application de

lois certaines et immuables, tandis que la première ne se lie à rien de réel, et n'a de fondement dans l'imagination.

que

2° Que d'après les lois de la nature, qui ne sont que l'expression des vérités éternelles, ou des rapports nécessaires des êtres, la société ne devoit pas s'établir, ni le genre humain se perpétuer; et que par conséquent la vérité est destructive de la société, et destructive de l'homme.

3° Que le développement de ces facultés intellectuelles, ou l'exercice de sa raison, qui n'a lieu que dans l'état de société, est opposé à la nature, ou, comme s'exprime Rousseau, que « l'homme » qui pense est un animal dépravé (1). »

4° Que tout ce qu'il y a de plus grand et de plus noble dans l'homme, ses lumières, son génie, ses vertus, sont le produit de l'erreur; conséquence si absurde, que Diderot lui-même établit en principe la proposition contraire. « L'er>> reur de droit, dit-il (ou l'erreur de doctrine), » influe dans toute créature raisonnable et con» séquente, et ne peut manquer de la rendre vi» cieuse (2).

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5° Que la perfection de l'homme, et son existence même, est fondée sur la violation des lois naturelles; la connoissance de la vérité sur la per

(1) Discours sur l'origine et les fondemens de l'inégalité parmi les hommes,

(2) Essai sur le Mérite et la Vertu, part. II,

sect.

3.

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