allafmes reconnoiftre l'Ile de Fer, a ou les Geographes Fran çois ont fixé le premier Méridien,& aprés y avoir commencé à regler noftre eftime en longitude, nous filmes route droit au Cap-verd, dont nous découvrifmes dés le 24. Mars au foir les deux Montagnes qu'on nomme les Mammelles. N'ayant pû gagner la rade que pendant la nuit nous donnafmes l'épouvente à ceux de la Fortereffe de Gorée & à deux Vaiffeaux Maloüins qui eftoient moüillés tout auprés. Ils appréhendoient que nous ne fuffions des Corfaires ou des ennemis qui fuffent venus là de nuit pour quelque mauvais deffein ; & dans cette penfée ils fe difpofoient déja à nous recevoir par une décharge de tout leur Canon. M. Oury nof

C'eft la plus Occidentale des 1fles Canaries

tre Capitaine en second alla avec la Chalouppe de noftre Vaiffeau les tirer d'inquiétude, & leur apprendre qui nous estions. Le lendemain, qui eftoit le Vendredi - Saint, M. de la Rigaudiere noftre Capitaine voulut qu'on commen çaft le jour par entendre pref cher la Paffion de Noftre-Sei gneur &

par adorer la Croix, ce que tout le monde fit avec de grandes démonftrations de dé votion & de religion, excepté quelques Matelots, nouveauxconvertis, qui allérent se ea→ cher pour n'être pas obligez d'affifter à cette pieuse cérémo

nie.

Pendant que nous demeu rafmes au Cap-verd nous filmes faire les Pafques à l'Equipage. C'estoit trop pour cela que neuf Preftres que nous eftions: On

fe partagea. Les uns allerent a la Fortereffe de Gorée, où ils prefcherent & confefferent pendant tout ce faint temps, les au tres s'attachèrent aux deux Vaiffeaux Malouins, où ils trouverent de quoi exercer leur zele: il y en eut qui fe tranfporterent dans le continent d'Afrique, & qui allerent à une Ville qui s'appelle Rufifque, où ils inf truifirent quelques Portugais Chreftiens. Je fuis furpris que depuis que les François fe font emparez de l'lfle de Gorée, fous M.le Marefchal d'Eftrées 4, · il ne foit encore venu à perfonne la penfée d'eftablir - là une Miffion. Il y auroit beaucoup de bien à faire, on y trou veroit des Chreftiens peu réglez à réformer, de vertueux

M.le Maréchal d'Eftrées prit cette Ifle fur Ads Hollandois, le 1 Novembre 1677.7

Catholiques à entretenir dans la pieté des efclaves qui appartiennent aux François, à inftruire & à baptifer's des millions de Negres Mahometans plus faciles qu'ailleurs à convertir; car comme ces peuples ne font pas fort inftruits dans leur religion,& qu'ils ne fçavent que ce que leurs Marabous a leur apprennent,en leur lifant une efpece d'Alcoran, qui n'eft pas celui des Turcs, mais up tiffu d'impertinences & de fables groffiéres il y a de l'apparence qu'ils écouteroient bien plus volontiers les véritez fofides du Chriftianifme, & qu'ils n'auroient pas beaucoup de peine à l'embraffer. Ils honorent le Prophete Mahomet, & font fort religieux à fe faire

a C'eft le nom que les Negres donnent à leurs Brêtres.

circoncire. La plufpart fe mef lent de Magie du moins fontils acheter à tres- grand prix des pactes écrits en caracteres myfterieux, qu'ils appellent grifgris, & qu'ils donnent comme des remedes préfervatifs, contre toutes fortes de maux. Un de ces Negres ne crut pas, aprés dix ans de fervitude, avoir perdu fon temps d'obtenir pour récompenfe un de ces grif gris; il prétendoit en le portant eftre à l'épreuve de tous les coups de moufquet & d'épée qu'il pourroit recevoir. Il ne voulut pas cependant que nos François en fiffent fur lui aucune experience. En quittant cette terre infortunée, il n'y eut pas un feul Miffionnaire qui ne gemift devant Dieu de Fextrefme abandon où eftoient ces pauvres Negres, & qui ne