1 douceurs, mais c'est à moi-même que convient le reproche de votre Prophète, lorsqu'en votre nom et inspiré de votre Esprit, il s'écrioit : Enfans des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il dans un si profond appesantissement? Jusques à quand vous attacherez-vous à la vanité qui passe, et au mensonge qui vous séduit? Je ne puis trop le reconnoître, ni trop m'en humilier : l'état religieux, quoique saint d'ailleurs, et très-saint, n'est pas néanmoins exempt de vanités et d'illusions à quoi l'on se laisse surprendre. Vous m'en détromperez, Seigneur, et vous m'en détacherez : je vous le demande. Vous me ferez comprendre ces trois points essentiels, qui ne doivent jamais partir de mon esprit : l'un, qu'il n'y a que le bonheur du ciel que je puisse compter pour un bonheur véritable; l'autre, que ce bonheur ne doit point être seulement un don de votre miséricorde, mais la récompense de mes œuvres; enfin, que ce n'est point précisément le mériter que d'être religieux, mais d'agir en religieux. Suivant ces maximes je réglerai toute ma conduite, et je trouverai bien à y changer. 1 Ps. 4. DE LA DESCENTE DU SAINT-ESPRIT, Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum, qui datus est nobis. La charité de Dieu s'est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné. Rom., chap. 5. PREMIER POINT. TOUTES les créatures nous annonçoient les perfections de Dieu; et toutes les créatures étoient à notre égard autant de bienfaits de Dieu, dont nous étions, comme nous le sommes encore, redevables à sa providence, et dont il ne cessoit point de nous combler. Ainsi elles nous excitoient toutes à l'amour de Dieu. Mais, après tout, cette voix des créatures ne touchoit point encore assez nos cœurs, et rien, à ce qu'il semble, n'étoit capable de les émouvoir et de les engager. Quel est donc le moyen le plus excellent que Dieu a pris pour inspirer aux hommes son amour? c'a été de nous envoyer le Saint-Esprit, qui est lui-même personnellement et substantiellement l'amour de Dieu. Aussi, comment est-ce que descendit ce divin Esprit? en forme de feu; pour nous donner à connoître qu'il étoit tout amour par son ardeur, et qu'il venoit embraser de cette même ardeur toutes les âmes. Or ce n'est pas pour cette fois seulement qu'il s'est communiqué sur la terre. Il s'y communique tous les jours, et il y a même des temps particuliers où il se fait sentir, et où ce feu céleste agit dans une âme avec plus de force. Tel est le temps de la retraite. Ce fut à la fin de la retraite que firent les apôtres dans le cénacle, que cet Esprit d'amour leur fut envoyé; et si je me suis bien acquitté de celle que je viens de faire, j'ai lieu de penser que je l'ai reçu tout de nouveau. Mais en veux-je un témoignage solide? je le connoîtrai par mon amour pour Dieu : car recevoir le Saint-Esprit et aimer Dieu, c'est une même chose; et il faut que j'aime Dieu à mesure que j'aurai reçu l'Esprit de Dieu. Que dis-je, et pourquoi parler de mesure où il n'y en doit point avoir? C'est sans mesure que Dieu nous donne son Esprit ; c'est donc sans mesure que nous devons aimer Dieu. Non, mon Dieu, point de bornes dans mon amour pour vous, puisqu'il n'y en a point dans tout ce qui vous rend si aimable pour moi. Vous êtes un Dieu infini; ma charité doit donc être, en sa manière, une charité infinie. Quelque étendue qu'elle puisse avoir, elle n'ira jamais au delà de ce que vous méritez; et c'est ce que votre Esprit, si j'en suis animé, me représente continuellement au fond de mon âme. Il me retrace toutes vos grandeurs, toutes vos vertus, toutes vos perfections; et de là il me fait bientôt conclure qu'à quelque degré d'amour que je me porte, je ne puis excéder en vous aimant. Dans tout le reste il peut y avoir de l'excès. Je puis user dans les rencontres de trop de circonspection et de prudence, je puis prendre garde aux choses avec trop d'attention et trop de vigilance, je puis même aller trop loin dans la pratique de la mortification et de la pénitence; mais je ne puis trop, Seigneur, vous aimer. Sur ce point, l'Esprit de charité est insatiable, et ne dit jamais, c'est assez. Hélas! je ne le dis, moi, que trop et qu'en trop d'occasions. Au moindre acte d'amour que je forme ou que je crois former pour Dieu dans un bon moment où le Saint-Esprit me fait goûter l'attrait de sa grâce et la douceur de sa divine onction, je m'imagine déjà être ravi au troisième ciel, et avoir marqué à Dieu l'attachement le plus parfait. Mais cette étincelle n'est pas long-temps à s'éteindre. Ah! un cœur perd-il si aisément le souvenir de ce qu'il aime, et y pense-t-il si rarement? Tout homme sur cela est inexcusable; mais, entre tous les autres hommes, un religieux est sur cela même encore que plus coupable car, dans la religion, il y a beaucoup moins d'objets qui me détournent de Dieu; et m'étant séparé du monde, que me reste-t-il autre chose Dieu? Heureux partage que je ne puis assez estimer! Si je n'en suis pas content, que faut-il pour me satisfaire, et que trouverai-je qui puisse me contenter? Bien avare est une âme à qui Dieu ne suffit pas !' mais en même temps, bien malheureuse et bien criminelle est cette âme qui n'a que Dieu et qui ne s'attache pas à Dieu ! SECOND POINT. C'EST dans le cœur que l'Esprit d'amour vient d'abord se répandre : c'est là qu'il établit sa demeure, et là même aussi qu'il commence à faire sentir ses plus merveilleuses opérations; car l'amour, avant toutes choses, consiste dans l'affection. Que n'inspire-t-il point à l'âme? de quoi ne la dégage-t-il point? à quoi ne l'élève-t-il point? On le vit dans les apôtres. Le premier effet de la descente du Saint-Esprit sur eux, fut de purifier leurs cœurs; de sorte qu'il n'y resta plus la moindre attache qui ne vînt immédiatement de Dieu, et qui ne les portât directement et uniquement à Dieu; car ils comprirent dès lors ce qu'a dit depuis un grand saint: Qu'un cœur aime d'autant moins 1 Aug. |