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ticulier à un peuple parvenu au dernier degré d'avilissement, de crapule et de dépravation, dans un climat corrupteur, sous un gouvernement détestable, et avec la dangereuse facilité d'abuser en tous sens de tout ce que mettaient à sa discrétion les trois parties du monde connu ? Il faut se souvenir que tous les degrés de corruption tiennent nonseulement à l'immoralité, mais aux moyens : si nous ne sommes ni ne pouvons être aussi dépravés que les Romains, c'est que nous ne sommes pas les maîtres du monde.... Je conclus que les beautés semées dans les écrits de Juvénal, et qui, malgré tous ses défauts, lui ont fait une juste réputation, sont de nature à être goûtées surtout par les gens de lettres, seuls capables de dévorer les difficultés de cette lecture. Il a des morceaux d'une grande énergie: il est souvent déclamateur, mais quelquefois éloquent; il est souvent outré, mais quelquefois peintre. Les vers sur la Pitié, justement loués par M. Dusaulx, sont d'autant plus remarquables, que ce sont les seuls où il ait employé des teintes douces. La satire sur la Noblesse est fort belle : c'est à mon gré la mieux faite, et Boileau en a beaucoup profité. Celle du Turbot, fameuse par la peinture admirable des courtisans de Domitien, a un 'mérite particulier : c'est la seule où l'auteur se soit déridé. Celle qui roule sur les Vœux offre des endroits frappans; mais en total c'est un lieu commun appuyé sur un sophisme. Il n'est pas vrai qu'on ne doive pas désirer une longue vue, ni de grands ta

lens, ni de grandes places, parce que toutes ces choses ont fini quelquefois par être funestes à ceux qui les ont obtenues. Il n'y a qu'à répondre que beaucoup d'hommes ont eu les mêmes avantages, sans éprouver les mêmes malheurs, et l'argument tombe de lui-même.... De plus, il est faux qu'un père ne doive pas souhaiter à son fils les talens de Cicéron, parce qu'il a péri sous le glaive des proscriptions; et quel homme, pour peu qu'il ait quelque amour de la vertu et de la véritable gloire, croira qu'une aussi belle carrière que celle de Cicéron soit payée trop cher par une mort violente, arrivée à l'âge de soixante-cinq ans? Qui refuserait à ce prix d'être l'homme le plus éloquent de son siècle, et peut-être de tous les siècles; d'être élevé par son seul mérite à la première place du premier empire du monde; d'être trente ans l'oracle de Rome; enfin, d'être le sauveur et le père de sa patrie? S'il était vrai que le fer d'un assassin qui frappe une tête blanchie par les années pût, en effet, ôter le prix à de si hautes destinées, il faudrait croire que tout ce qu'il y a parmi les hommes de vraiment grand, de vraiment désirable, n'est qu'une chimère et une illusion. Au fond, cette satire si vantée se réduit donc à prouver que les plus précieux avantages que l'homme puisse désirer sont mêlés d'inconvéniens et de dangers; et c'est une vérité si triviale, qu'il ne fallait pas en faire la base d'un ouvrage sérieux. Horace ne tombe pas dans ce défaut, qui n'est jamais celui des bons esprits;

Juvénal. I.

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et sans vouloir revenir sur l'énumération de ses différentes qualités, je crois, à ne le considérer même que comme satirique, lui rendre, ainsi qu'à Juvénal, une exacte justice, en disant que l'un est fait pour être admiré quelquefois, et l'autre pour être toujours relu. »

Ce morceau de critique donnerait matière à bien des observations: mais le lecteur, en étudiant luimême Juvénal, pourra rectifier ce qui s'y trouve peut-être avancé légèrement. Nous nous bornerons à dire que le mérite de notre satirique a été en général peu senti, surtout au dernier siècle : dans les endroits où il est beau, c'est un poète du premier ordre: il a des mouvemens sublimes, un génie mâle, une sève abondante, des traits larges, des expressions profondes, qui en font un digne contemporain de Tacite. On a souvent critiqué sa manière d'écrire mais qu'on ouvre son livre, qu'on dise s'il est beaucoup de poètes qui aient frappé le vers avec autant de vigueur, et qu'on pardonne à cet athlète robuste de manquer un peu de légèreté et de grâce: «< Son style rapide, harmonieux, plein de chaleur et de force, dit l'auteur de l'Année littéraire, est d'une monotonie assommante. » Convenons que lorsqu'on trouve dans un poète la rapidité, l'harmonie, la chaleur et la force, on peut bien à la rigueur le dispenser de mettre dans ses ouvrages l'admirable variété que Fréron répandait dans les

siens.

A MON AMI

BERTRAND DE COEUVRES.

JE Vous dédie cette traduction comme à celui qui a sur mon cœur les droits les plus anciens. Élevés ensemble, vous m'avez appris à chérir la vertu dans un âge où l'on n'en connaît guère que le nom; et depuis cette heureuse époque notre amitié n'a fait que s'augmenter de jour en jour, malgré la distance des lieux que nous habitons.

Il est certain, mon ami, mais vous n'en conviendrez pas, que je dois mes mœurs à vos exemples, mon bonheur à vos conseils. N'est-ce pas vous qui, dès votre plus tendre jeunesse, preniez sur vos plaisirs de quoi soulager secrètement les malheureux? N'est-ce pas vous, car j'aime à le publier, qui, de concert avec un autre moimême, m'avez retenu sur le bord du précipice, lorsqu'une passion furieuse égarait mon esprit?

Il est temps de le déclarer : c'est vous qui, déposant votre fortune entre mes mains,... entre les mains d'un joueur (1)! m'écriviez : « Maintenant ruinez-moi, si vous l'osez; allez, je serais moins à plaindre que vous. Mais tout me rassure, je ne vous regarde plus désormais que comme un dépositaire.

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Ceux qui nous connaissent l'un et l'autre ne seront pas surpris du faible hommage que je vous rends : ils diront que je tâche, autant qu'il est en moi, d'acquitter une dette sacrée ; et, s'ils ont un reproche à me faire, ce sera, n'en doutez point, de m'être privé, par égard pour vous, du plaisir de célébrer tant d'autres vertus, d'autant plus estimables que vous les pratiquez en silence.

Je suis et m'honore d'être votre ami,

DUSAULX.

(1) Je n'ai pas joué long-temps : j'ai tâché d'expier ce vice antisocial d'une manière utile à mes semblables. Voyez mon livre de la Passion du jeu, depuis les temps anciens jusqu'à nos jours.

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