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de fe retirer, tandis qu'elle y feroit fa priere. Le Bonze principal, curieux de voir cette jeune perfonne, fe cacha derriere l'autel; il ne la vit que trop, & il en devint fi épris, que fon imagination échauffée écarta l'idée du péril, & ne lui montra que la facilité qu'il y avoit à enlever une fille foible & mal accompagnée. L'exécution fuivit de près le projet. Il ordonna aux autres Bonzes, fes confidens, d'arrêter les deux fuivantes, & il ravit cette fille malgré fes cris & fes larmes.

Le Docteur n'ignora pas long-temps l'abfence de fa fille; il fçut qu'elle étoit entrée dans le Pagode, & qu'elle y avoit difparu. Les Bonzes répondirent à toutes les demandes qu'il fit, qu'il étoit bien vrai qu'elle avoit vifité le Pagode; mais. qu'elle en étoit fortie après avoir fait fa priere. Le Docteur, élévé dans le mépris pour les Bonzes, comme le font tous les Lettrés, qui fe mettent au-dessus de la fotte crédulité du vulgaire, s'adreffa au Général des Tartares de cette Province, & lui demanda juftice contre les raviffeurs de fa fille. Les Bonzes, s'imaginant trouver dans ces deux hommes. une confiance aveugle, leur dirent que Fo, étant devenu amoureux de la jeune

fille, l'avoit enlevée. Le Bonze, auteur du rapt, voulut enfuite, par une harangue fort pathétique, faire comprendre au Docteur combien Fo avoit fait d'honneur à toute sa famille, en jugeant fa fille digne de fa tendreffe & de fa fociété; mais le Général Tartare, fans s'amufer à ces fables, s'étant mis à examiner curieufement tous les réduits les plus cachés du Pagode, entendit quelques cris confus fortir du fond d'un rocher : il s'avança vers ce lieu, & apperçut une porte de fer qui fermoit l'entrée d'une grotte : l'ayant fait abattre, il entra dans un lieu fouterrein, où il trouva la fille du Docteur, & plus de trente autres femmes qui s'y trouvoient renfermées. Elles fortirent de leur prifon & du Pagode, & auffi-tôt après, le Général fit mettre le feu aux quatre coins de cet édifice, & brûla le Temple, les autels, les Dieux & leurs infâmes Miniftres.

Le culte que les Bonzes rendent aux Idoles, ne s'étend pas loin. Uniquement occupés à entretenir les lampes des Pagodes, & à recevoir ceux qui viennent faire leurs prieres, ils menent une vie molle & voluptueufe. La plupart d'entr'eux n'ont aucun revenu fixe, & ils vont de porte en porte, une clochette

à la main, mendier les fecours néceffaires à la vie. Lorfqu'un Chinois fait quelque fête à l'honneur de l'Idole qu'il garde dans fa maifon, il appelle les Bonzes, qui, revêtus de longues chappes brodées, portent l'Idole par les rues : ils marchent deux à deux, tenant en main plufieurs banderoles garnies de fonnettes, & le peuple les fuit par curiofité bien plus que par dévotion. Au jour de la nouvelle & pleine lune, ils fe levent pendant la nuit & récitent des prieres. Il m'a femblé qu'ils répétoient toujours la même chofe, avec autant de modeftie & de dévotion que s'ils avoient quelque idée des Dieux qu'ils invoquent. Ils affectent une grande humilité dans les premiers complimens qu'ils fe font dans leurs vifites; ils fe profternent les uns devant les autres; ils fe régalent enfuite, & s'enivrent le plus fouvent; en forte que la vifite, qui commence par les complimens, finit prefque toujours par les

invectives.

Teleft, Monfieur, le déplorable aveu glement d'un peuple, à la converfion duquel tant de zélés Miffionnaires travaillent depuis fi long-temps. S'ils n'ont point encore réuffi à le tirer des épaiffes ténebres où il eft plongé, c'est que le

temps des miféricordes n'eft point venu pour lui; le Seigneur nous réferve d'autres fatigues, & après avoir éprouvé notre conftance, nous efpérons qu'il la couronnera un jour par la converfion entiere de cette nation. J'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE

Du Pere Parennin, Miffionnaire de la Compagnie de Jefus.

A Peking, le 27 mars 1715.

J'EUS l'honneur de vous écrire, il y a un mois, de Geho-ell, & je vous mandois que le Frere Bernard Rhodes, âgé de plus de foixante & dix ans, n'étoit plus en état de continuer fes longs voyages de Tartarie, à la fuite de l'Empereur. Je ne fçavois pas pour lors que c'étoit-là le dernier voyage que nous ferions enfemble. Le Seigneur a voulu le récompenfer & nous affliger, en l'enlevant le dixieme de ce mois, à une journée de Peking. Cette perte a été très-fenfible non-feulement aux Miffionnaires & aux

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Chrétiens, mais encore aux Infideles.

Avant que d'entrer dans cette Miffion, il avoit déja paffé plufieurs années dans celle des Indes. Les Hollandois ayant affiégé & pris Pondichery, il fut fait prifonnier de guerre avec le feu Pere Tachard, & conduit en Hollande aux prifons d'Amfterdam, où il attendit patiemment l'échange des prifonniers. Quand il fut arrivé à Paris, il fe confacra de nouveau aux Miffions, & après tant de fatigues effuyées, il ne balança point d'entreprendre le voyage de la Chine, & plus long & plus dangereux que ceux qu'il avoit faits. Il s'embarqua donc avec le Pere Peliffon, fur un petit bâtiment, nommé le petit Saint-Jean: ils pafferent au Brefil, de-là ils toucherent à l'Ile d'Anjouan. Des Flibuftiers qui occupoient l'Ifle, ayant pris ce qu'ils avoient, ils continuerent comme ils purent leur voyage jufqu'aux Indes. L'année fuivante ils s'embarquerent fur des vaiffeaux Anglois, & ils arriverent heureufement l'an 1699, à Hia-men, qui eft un port de la province de Fo-kien, d'où le Frere Rhodes fut conduit à la Cour par les Mandarins, que l'Empereur avoit chargé de cette commiffion.

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