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sion, sans sedition intestine: mon lugement en | dition; ie ne puis faire mieulx et le repentir

ne touche pas proprement les choses qui ne sont pas en nostre force; ouy bien le regret. I'imagine infinies natures plus haultes et plus reiglees que la mienne : ie n'amende pourtant mes facultez; comme ny mon bras ny mon esprit ne deviennent plus vigoreux, pour en concevoir un aul

a la coulpe ou la louange entiere; et la coulpe qu'il a une fois, il l'a tousiours; car quasi dez sa naissance il est un, mesme inclination, mesme route, mesme force et en matiere d'opinions universelles, dez l'enfance ie me logeay au poinct où l'avois à me tenir. Il y a des pechez impetueux, prompts et subits; laissons les à part: maistre qui le soit. Si l'imaginer et desirer un agir en ces aultres pechez à tant de fois reprins, deliberez et consultez, ou pechez de complexion, ou pechez de profession et de vacation, ie ne puis pas concevoir qu'ils soient plantez si long temps en un mesme courage, sans que la raison et la conscience de celuy qui les possede le vueille constamment ', et l'entende ainsin; et le repentir qu'il se vante luy en venir à certain instant prescript, m'est un peu dur à imaginer et former. Ie ne suy pas la secte de Pythagoras, « que les hommes prennent une ame nouvelle quand ils approchent des simulacres des dieux pour recueillir leurs oracles; » sinon qu'il voulust dire cela mesme, Qu'il fault bien qu'elle soit estrangiere, nouvelle, et prestee pour le temps : la nostre monstrant si peu de signe de purification et netteté condigne à cet office.

Ils font tout à l'opposite des preceptes stoïques, qui nous ordonnent bien de corriger les imperfections et vices que nous recognoissons en nous, mais nous deffendent d'en alterer le repos de nostre ame: ceulx cy nous font accroire qu'ils en ont grande desplaisance et remors au dedans; mais d'amendement et correction, ny d'interruption, ils ne nous en font rien apparoir. Si n'est ce pas guarison, si on ne se descharge du mal si la repentance poisoit sur le plat de la balance, elle emporteroit le peché. Ie ne treuve aulcune qualité si aysee à contrefaire que la devotion, si on n'y conforme les mœurs et la vie : son essence est abstruse et occulte; les apparences, faciles et trompeuses.

Quant à moy, ie puis desirer en general estre aultre; ie puis condemner et me desplaire de ma forme universelle, et supplier Dieu pour mon entiere reformation, et pour l'excuse de ma foiblesse naturelle; mais cela, ie ne le dois nommer repentir, ce me semble, non plus que le desplaisir de n'estre ny ange ny Caton. Mes actions sont reiglees, et conformes à ce que ie suis et à ma con

Pour rendre plus clairement cette pensée, l'auteur pouvait mettre ici, sans que la raison et la conscience de celuy qui possede ces pechez de complexion ou de profession, le vueille constamment ainsi; c'est-à-dire, sans que l'homme soit luimême déterminé par sa propre volonté à persister dans ces péchés de complexion ou de profession. C.

plus noble que le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à nous repentir de nos operations plus innocentes, d'autant que nous iugeons bien qu'en la nature plus excellente, elles auroient esté conduictes d'une plus grande perfection et dignité; et vouldrions faire de mesme. Lors que ie consulte des deportements de ma ieunesse, avecques ma vieillesse, ie treuve que ie les ay communement conduicts avecques ordre, selon moy : c'est tout ce que peult ma resistance. Ie ne me flatte pas; à circonstances pareilles, ie seroy tousiours tel : ce n'est pas macheure1, c'est plustost une teincture universelle, qui me tache. le ne cognoy pas de repentance superficielle, moyenne, et de cerimonie: il fault qu'elle me touche de toutes parts, avant que ie la nomme ainsin; et qu'elle pince mes entrailles, et les afflige, autant profondement que Dieu me veoid, et autant universellement.

Quant aux negoces', il m'est eschappé plusieurs bonnes adventures, à faulte d'heureuse conduicte: mes conseils ont pourtant bien choisy, selon les occurrences qu'on leur presentoit; leur façon est de prendre tousiours le plus facile et seur party. Ie treuve qu'en mes deliberations passees, i'ay, selon ma reigle, sagement procedé, pour l'estat du subiect qu'on me proposoit, et en ferois autant d'icy à mille ans, en pareilles occasions; ie ne regarde pas quel il est à cette heure, mais quel il estoit quand i'en consultoy : la force de tout conseil gist au temps; les occasions et les matieres roulent et changent sans cesse. l'ay encouru quelques lourdes erreurs en ma vie, et importantes, non par faulte de bon advis, mais par faulte de bonheur. Il y a des parties secrettes aux obiects qu'on manie, et indivinables, signamment en la nature des hommes; des conditions muettes, sans monstre, incogneues par fois du possesseur mesme, qui se produisent et esveillent par des occasions survenantes: si ma prudence ne les a peu pene

Macheure, tache, contusion, meurtrissure. Voyez CorGRAVE, dans son Dictionnaire françois et anglois; et NICOT, augmenté par DE BROSSES, et publié pour la première fois en 1614. C. Edition in-4o de 1588, fol. 355 : « Ce n'est pas tache, c'est plustost une teincture universelle, qui me noircit. » 2 Affaires.

LIVRE III, CHAPITRE II.

trer et prophetizer, ie ne luy en sçay nul mauvais gré; sa charge se contient en ses limites: si l'evenement me bat, s'il favorise le party que i'ay refusé, il n'y a remede, ie ne m'en prens pas à moy, l'accuse ma fortune, non pas mon ouvrage; cela ne s'appelle pas repentir.

Phocion avoit donné aux Atheniens certain
advis qui ne feut pas suyvy : l'affaire pourtant se
passant, contre son opinion, avecques prosperité,
quelqu'un luy dit : « Eh bien, Phocion, es tu con-
tent que la chose aille si bien? — Bien suis ie con-
tent, feit il', qu'il soit advenu cecy; mais ie ne
me repens point d'avoir conseillé cela. >> Quand mes
amis s'addressent à moy pour estre conseillez, ie
le fois librement et clairement, sans m'arrester,
comme faict quasi tout le monde, à ce que, la
chose estant hazardeuse, il peult advenir au re-
bours de mon sens, par où ils ayent à me faire re-
proche de mon conseil ; dequoy il ne me chault: car
ils auront tort; etie n'ay deu leur refuser cet office.
Ie n'ay gueres à me prendre de mes faultes, ou
Infortunes, à aultre qu'à moy : car, en effect, ie
me sers rarement des advis d'aultruy, si ce n'est
par honneur de cerimonie; sauf où l'ay besoing
d'instruction, de science, ou de la cognoissance
du faict. Mais ez choses où ie n'ay à employer
que le jugement, les raisons estrangieres peuvent
servir à m'appuyer, mais peu à me destourner :
ie les escoute favorablement et decemment toutes;
qu'il m'en souvienne, ie n'en ay creu iusques à
cette heure que les miennes. Selon moy, ce ne
sont que mouches et atomes qui promeinent ma
volonté 2 : ie prise peu mes opinions; mais ie
prise aussi peu celles des aultres. Fortune me paye
dignement : si ie ne receoy pas de conseil, i'en
donne aussi peu. I'en suis fort peu enquis3, mais
i'en suis encores moins creu; et ne sçache nulle
entreprinse publicque ny privee que mon advis
aye redressee et ramenee. Ceulx mesmes que la
fortune y avoit aulcunement attachez, se sont lais-
sez plus volontiers manier à toute aultre cervelle
qu'à la mienne. Comme cil qui suis bien autant
ialoux des droicts de mon repos que des droicts
de mon auctorité, ie l'ayme mieulx ainsi : me lais-
sant là, on faict selon ma profession, qui est de
m'establir et contenir tout en moy. Ce m'est
plaisir d'estre desinteressé des affaires d'aultruy,
et desgagé de leur gariement 4.

* PLUTARQUE, Apophthegmes, à l'art. Phocion. C.
2 Voyez ci-dessus, 1. II, c. 17, ce qu'il dit de son aversion
pour la délibération. Cela explique ce qu'il dit ici. A. D.
3 Enquis est le participe d'enquérir; il signifie ici requis.
E. J.

4 C'est-à-dire, et d'étre dispensé d'en répondre. — Garie

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com

En touts affaires, quand ils sont passez, ment que ce soit, i'y ay peu de regret; car cette imagination me met hors de peine, qu'ils debvoient ainsi passer : les voylà dans le grand court de l'univers, et dans l'enchaisneure des causes stoïques; vostre fantasie n'en peult, par souhaict et imagination, remuer un poinct, que tout l'ordre des choses ne renverse, et le passé, et l'advenir. Au demourant, ie hay cet accidental repentir que l'aage apporte. Celuy qui disoit anciennement estre obligé aux annees, dequoy elles l'avoient desfaict de la volupté, avoit aultre opinion que la mienne: ie ne sçauray iamais bon gré à l'impuissance, de bien qu'elle me face; nec tam aversa unquam videbitur ab opere suo providentia, ut debilitas inter optima inventa sit. Nos appetits sont rares en la vieillesse ; une profonde satieté nous saisit aprez le coup : en cela, ie ne veoy rien de conscience; le chagrin et la foiblesse nous impriment une vertu lasche et catarrheuse. Il ne nous fault pas laisser emporter si entiers aux alterations naturelles, que d'en abbastardir nostre iugement. La ieunesse et le plaisir n'ont pas faict aultrefois que i'aye mescogneu le visage du vice en la volupté; ny ne faict, à cette heure, le desgoust que les ans m'apportent, que ie mescognoisse celuy de la volupté au vice ores3 que ie n'y suis plus, i'en iuge comme sii'y estoy. Moy, qui la secoue vifvement et attentifvement, treuve que ma raison est celle mesme que i'avois en l'aage plus licentieux, sinon, à l'adventure, d'autant qu'elle s'est affoiblie et empiree en vieillissant; et treuve que ce qu'elle refuse de m'enfourner à ce plaisir, en consideration de l'interest de ma santé corporelle, elle ne le feroit, non plus qu'aultrefois, pour la santé spirituelle. Pour la veoir hors de combat, ie ne l'estime pas plus valeureuse: mes tentations sont si cassees et mortifiees, qu'elles ne valent pas qu'elle s'y oppose; tendant seulement les mains au devant ie les coniure 4. Qu'on luy remette en ment ou gariment, vieux mot de la coutume de Poitou, selon Borel, et qui signifie garantie, sauvegarde, etc. Voy. Thomas Corneille dans son Dictionnaire des arts. Selon Cotgrave, qui le prend dans le même sens que Corneille, c'est un terme gascon. C.

:

Sophocle. Quelqu'un lui ayant demandé si, dans sa vielllesse, il jouissait encore des plaisirs de l'amour, il répondit:

« Aux dieux ne plaise! et c'est de bon cœur que je m'en suis délivré, comme d'un maitre sauvage et furieux. » Cic. de Sen. c. 14. C.

Et la Providence ne sera jamais si ennemie de son ouvrage, que la faiblesse puisse être mise au rang des meilleu res choses. QUINTIL. Inst. orat. V, 12.

3 A présent que, etc. C.

4 Dans l'édition de 1588, in-4o, fol. 356, il y a ie les caconiure, c'est-à-dire, je les prie de se retirer. C'est ce qu'em

ma sagesse peult bien estre de mesme taille, en l'un et en l'aultre temps; mais elle estoit bien de plus d'exploict et de meilleure grace, verte, gaye, naïfve, qu'elle n'est à present, cassee, grondeuse, laborieuse. Je renonce doncques à ces reformations casuelles et douloureuses. Il fault que Dieu nous touche le courage; il fault que nostre conscience s'amende d'elle mesme, par renforcement de nostre raison, non par l'affoi

en soy ny palle ny descoulouree, pour estre apperceue par des yeulx chassieux et troubles.

presence cette ancienne concupiscence, le crains qu'elle auroit moins de force à la soustenir, qu'elle n'avoit aultrefois; ie ne luy veoy rien iuger à part soy, que lors elle ne iugeast, ny aulcune nouvelle clarté parquoy, s'il y a convalescence, c'est une convalescence maleficiee. Miserable sorte de remede, debvoir à la maladie sa santé! Ce n'est pas à nostre malheur de faire cet office; c'est au bonheur de nostre iugement. On ne me faict rien faire par les offenses et afflictions, que les maul-blissement de nos appetits: la volupté n'en est dire c'est aux gents qui ne s'esveillent qu'à coups de fouet. Ma raison a bien son cours plus delivre en la prosperité; elle est bien plus distraicte et occupee à digerer les maulx que les plaisirs ie veoy bien plus clair en temps serein; la santé m'advertit, comme plus alaigrement, aussi plus utilement, que la maladie. Ie me suis advancé le plus que i'ay peu vers ma reparation et reiglement, lors que i'avois à en iouyr: ie seroy honteux, et envieux, que la misere et l'infortune de ma vieillesse eust à se preferer à mes bonnes annees, saines, esveillees, vigoreuses, et qu'on cust à m'estimer, non par où l'ay esté, mais par où l'ay cessé d'estre.

I

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On doibt aymer la temperance par elle mesme, et pour le respect de Dieu, qui nous l'a ordonnee, et la chasteté; celle que les catarrhes nous prestent, et que ie dois au benefice de ma cholique, ce n'est ny chasteté, ny temperance: on ne peult se vanter de mespriser et combattre la volupté, si on ne la veoid, si on l'ignore, et ses graces, et ses forces, et sa beaulté plus attrayante; ie cognoy l'une et l'aultre, c'est à moy de le dire. Mais il me semble qu'en la vieillesse nos ames sont subiectes à des maladies et imperfections plus importunes qu'en la ieunesse; ie le disois estant ieune; lors on me donnoit de mon menton par le nez ie le dis encores à cette heure, que mon poil gris m'en donne le credit. Nous appellons sagesse la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses presentes; mais, à la verité, nous ne quittons pas tant les vices, comme nous les changeons, et, à mon opinion, en pis : oultre une sotte et caducque fierté, un babil ennuyeux, ces humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soing ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, i'y treuve plus d'envie, d'iniustice et de malignité; elle nous attache plus de rides en l'esprit qu'au visage'; et ne se veoid point d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le moisy. L'homme marche entier vers son croist et vers son descroist. A veoir la sagesse de Socrates, et plusieurs circonstances de sa condemnation, i'oseroy croire' qu'il s'y

A mon advis, c'est « le vivre heureusement, non, comme disoit Antisthenes 3, « le mourir heureusement, » qui faict l'humaine felicité. Ie ne me suis pas attendu d'attacher monstrueusement la queue d'un philosophe à la teste et au corps d'un homme perdu, ny que ce chestif bout eust à desadvouer et desmentir la plus belle, entiere et longue partie de ma vie : ie me veulx presenter et faire veoir par tout uniformement. Si i'avois à revivre, ie revivroy comme l'ay vescu: ny ie ne plains le passé, ny ie ne crains l'advenir; et si ie ne me deceoy, il est allé du dedans environ comme du dehors. C'est une des princi- | pales obligations que i'aye à ma fortune, que le cours de mon estat corporel ayt esté conduict chasque chose en sa saison; i'en ay veu l'herbe, et les fleurs, et le fruict; et en veoy la seicheresse heureusement, puis que c'est naturellement. Ie porte bien doulcement les maulx que i'ay, d'autant qu'ils sont en leur poinct, et qu'ils me font aussi plus favorablement souvenir de la longue felicité de ma vie passee: pareillement, On n'a pas assez remarqué combien les grands écrivains du

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I pour bien écrire encor, j'ai trop longtemps écrit,
Et les rides du front passent jusqu'à l'esprit.
CORNEILLE, Epitre au rol.

dix septième siècle, surtout la Fontaine, Corneille, la Bruyère, avaient étudié Montaigne, et combien l'originalité de son style a pu leur fournir d'expressions et d'images. J. V. L.

2 Si cette conjecture n'est fondée que sur la sagacité de Montaigne, elle lui fait beaucoup d'honneur; car Xénophion nous dit expressément, dans son Apologie de Socrate, qu'en effet Socrate ne se défendit avec tant de hauteur devant ses juges, que parce qu'il considéra qu'à son age il lui serait plus avantageux de mourir que de vivre. C'est sur quoi roule tout le préambule de cette petite pièce, intitulée : Zwxpárov; áπokcyía

:

presta aufcunement luy mesme, par prevarica- | tion, et qui offense ma santé. La pluspart des tion, à desseing, ayant de si prez, aagé de soixante esprits ont besoing de matiere estrangiere pour et dix ans, à souffrir l'engourdissement des ri- se desgourdir et exercer le mien en a besoing ches allures de son esprit, et l'esblouissement de pour se rasseoir plustost et seiourner, vitia otii sa clarté accoustumee. Quelles metamorphoses negotio discutienda sunt1; car son plus laborieux luy veoy ie faire touts les iours en plusieurs de et principal estude, c'est s'estudier soy. Les limes cognoissants ! C'est une puissante maladie, vres sont, pour luy, du genre des occupations qui et qui se coule naturellement et imperceptible- le desbauchent de son estude: aux premieres penment: il y fault grande provision d'estude, et sees qui luy viennent, il s'agite, et faict preuve de grande precaution, pour eviter les imperfections sa vigueur à touts sens, exerce son maniement qu'elle nous charge, ou au moins affoiblir leur tantost vers la force, tantost vers l'ordre et la progrez. le sens que nonobstant touts mes retren- grace, se renge, modere, et fortifie. Il a dequoy chements, elle gaigne pied à pied sur moy: ie sous- esveiller ses facultez par luy mesme; nature luy tiens tant que ie puis; mais ie ne sçay enfin où a donné, comme à touts, assez de matiere sienne elle me menera moy mesme. A toutes adventures, pour son utilité, et des subiects propres assez, ie suis content qu'on sache d'où ie seray tumbé. inventer et iuger. CHAPITRE III.

De trois commerces.

Il ne fault pas se clouer si fort à ses humeurs et complexions: nostre principale suffisance, c'est sçavoir s'appliquer à divers usages. C'est estre, mais ce n'est pas vivre, que se tenir attaché et obligé par necessité à un seul train : les plus belles ames sont celles qui ont le plus de varieté et de soupplesse. Voylà un honnorable tesmoignage du vieux Caton: Huic versatile ingenium sic pariter ad omnia fuit, ut natum ad id unum diceres, quodcumque ageret'. Si c'estoit à moy à me dresser à ma mode, il n'est aulcune si bonne façon où ie voulusse estre fiché pour ne m'en sçavoir desprendre la vie est un mouvement inegual, irregulier et multiforme 3. Ce n'est pas estre amy de soy, et moins encores maistre, c'est en estre esclave, de se suyvre incessamment, et estre si prins à ses inclinations, qu'on n'en puisse fourvoyer, qu'on ne les puisse tordre. Ie le dis à cette heure, pour ne me pouvoir facilement despestrer de l'importunité de mon ame, en ce qu'elle ne sçait communement s'amuser, sinon où elle s'empesche, ny s'employer, que bandee et entiere; pour legier subiect qu'on luy donne, elle le grossit volontiers, et l'estire 4, iusques au poinct où elle ayt à s'y embesongner de toute sa force: son oysifveté m'est, à cette cause, une penible occupa

mpos reus dixαoráz, Apologie de Socrate devant ses juges. C. C'est-à-dire, Quelles métamorphoses ne vois-je pas la vieillesse faire tous les jours dans plusieurs hommes de ma connaissance!

2 Il avait l'esprit si flexible et si propre à tout, que quelque those qu'il fit, on aurait dit qu'il était uniquement né pour cela. TITE-LIVE, XXXIX, 40.

3 Variable, changeant. E. J.

4 Et l'étend, l'allonge, le tire. E. J.

Le mediter est un puissant estude et plein, à qui sçait se taster et employer vigoreusement : l'ayme mieulx forger' mon ame, que la meubler. Il n'est point d'occupation ny plus foible, ny plus forte, que celle d'entretenir ses pensees, selon l'ame que c'est ; les plus grandes en font leur vacation, quibus vivere est cogitare 3: aussi l'a nature favorisce de ce privilege, qu'il n'y a rien que nous puissions faire si long temps, ny action à laquelle nous nous addonnions plus ordinairement et facilement. C'est la besongne des dieux, dict Aristote 4, de laquelle naist et leur beatitude et la

nostre.

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La lecture me sert specialement à esveiller par divers obiects mon discours 5; à embesongner mon iugement, non ma memoire. Peu d'entretiens doncques m'arrestent, sans vigueur et sans effort : il est vray que la gentillesse et la beaulté me remplissent et occupent autant, ou plus, que le poids et la profondeur; et d'autant que ie som. meille en toute aultre communication, et que ie n'y preste que l'escorce de mon attention, il m'advient souvent, en telle sorte de propos abbattus et lasches, propos de contenance, de dire et respondre des songes et bestises, indignes d'un enfant et ridicules, ou de me tenir obstiné en silence, plus ineptement encores et incivilement. I'ay une façon resveuse qui me retire à moy, et, d'aultre part, une lourde ignorance et puerile de plusieurs choses communes par ces deux qualitez, i̇'ay

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gaigné qu'on puisse faire, au vray, cinq ou six | pleine voile : oultre ce que ma fortune m'ayant contes de moy, aussi niais que d'aultre quel qu'il soit.

Or, suyvant mon propos, cette complexion difficile me rend delicat à la practique des hommes, il me les fault trier sur le volet '; et me rend incommode aux actions communes. Nous vivons et negocions avecques le peuple : si sa conversation nous importune, si nous desdaignons à nous appliquer aux ames basses et vulgaires (et les basses et vulgaires sont souvent aussi reiglees que les plus desliees, et toute sapience est insipide qui ne s'accommode à l'insipience commune), il ne nous fault plus entremettre ny de nos propres affaires, ny de ceulx d'aultruy; et les publicques et les privez se desmeslent avec ces gents là. Les moins tendues et plus naturelles allures de nostre ame, sont les plus belles; les meilleures occupations, les moins efforcees. Mon Dieu, que la sagesse faict un bon office à ceulx de qui elle renge les desirs à leur puissance! il n'est point de plus utile science : « Selon qu'on peult', » c'estoit le refrain et le mot favory de Socrates; mot de grande substance. Il fault addresser et arrester nos desirs aux choses les plus aysees et voysines. Ne m'est ce pas une sotte humeur, de disconvenir avecques un millier à qui ma fortune me ioinct, de qui ie ne me puis passer; pour me tenir à un ou deux qui sont hors de mon commerce, ou plustost à un desir fantastique de chose que ie ne puis recouvrer? Mes mœurs molles, ennemies de toute aigreur et aspreté, peuvent ayseement m'avoir deschargé d'envies et d'inimitiez; d'estre aymé, ie ne dis, mais de n'estre point hay, iamais homme n'en donna plus d'occasion: mais la froideur de ma conversation m'a desrobbé, avecques raison, la bienveillance de plusieurs, qui sont excusables de l'interpreter à aultre et pire sens.

Ie suis tres capable d'acquerir et maintenir des amitiez rares et exquises; d'autant que ie me harpe3 avecques si grande faim aux accointances qui reviennent à mon goust, ie m'y produis, ie m'y iecte si avidement, que ie ne fauls pas ayseement de m'y attacher et de faire impression où ie donne: i'en ay faict souvent heureuse preuve. Aux amitiez communes, ie suis aulcunement sterile et froid; car mon aller n'est pas naturel, s'il n'est à

Trier sur le volet, c'est choisir, entre plusieurs choses de la même espèce, celle qui est la plus excellente. Cette expression est fondée sur la coutume qu'ont les jardiniers de répandre leurs graines sur une planche qu'ils nomment volet, afin de choisir les meilleures pour semer. C.

2 XENOPHON, Mém. sur Socrate, 1, 3, 3. C.
3 Je me harpone, je m'attache fortement. E. J.

| duict et affriandé de ieunesse à une amitié seule et parfaicte, m'a à la verité aulcunement desgousté des aultres, et trop imprimé en la fantasie, qu'elle est beste de compaignie, non pas de trouppe, comme disoit cet ancien1; aussi, que i'ay naturellement peine à me communiquer à demy, et avecques modification, et cette servile prudence et souspeçonneuse qu'on nous ordonne en la conversation de ces amitiez nombreuses et imparfaictes et nous l'ordonne lon principalement en ce temps, qu'il ne se peult parler du monde que dangereusement ou faulsement.

Si veoy ie bien pourtant, que qui a, comme moy, pour sa fin les commoditez de sa vie ( ie dis les commoditez essentielles), doibt fuyr, comme la peste, ces difficultez et delicatesses d'humeur. Ie louerois une ame à divers estages, qui sçache et se tendre et se desmonter; qui soit bien par tout où sa fortune la porte; qui puisse deviser avecques son voysin, de son bastiment, de sa chasse et de sa querelle, entretenir avecques plaisir un charpentier et un iardinier. l'envie ceulx quisçavent s'apprivoiser au moindre de leur suitte, et dresser de l'entretien en leur propre train : et le conseil de Platon' ne me plaist pas, de parler tousiours d'un langage maestral3 à ses serviteurs, sans ieu, sans familiarité, soit envers les masles, soit envers les femelles; car, oultre ma raison, il est inhumain et iniuste de faire tant valoir cette telle quelle prerogative de la fortune; et les polices où il se souffre moins de disparité entre les valets et les maistres, me semblent les plus equitables. Les aultres s'estudient à eslancer et guinder leur esprit; moy à le baisser et coucher : il n'est vicieux qu'en extension.

Narras et genus Æaci,

Et pugnata sacro bella sub Ilio:
Quo Chium pretio cadum
Mercemur, quis aquam temperet ignibus,
Quo præbente domum, et quota,
Pelignis caream frigoribus, taces 5.

Ainsi comme la vaillance lacedemonienne avoit

besoing de moderation, et du son doulx et gratieux du ieu des fleutes pour la flatter en la guerre,

I PLUTARQUE, De la pluralité d'amis, c. 2 de la version d'Amyot. C.

2 Traité des Lois, VI, p. 872 D, édit. de Francfort, 1602. C. 3 Magistral, d'un ton de maître. C.

4 Outre la raison que je viens d'alléguer (au commencement du paragraphe).

5 Vous nous contez toute la race d'Eacus, et tous les combats livrés sous les murs sacrés d'Ilion: mais vous ne nous dites pas combien nous coûtera le vin de Chio; qui doit nous préparer le bain, et dans quelle maison, à quelle heure, nous brave rons le froid des montagnes d'Abruzze. HORACE, Od. III, 19, 3.

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