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Sinaï perdu dans les nuages du ciel, que l'humanité déchue peut espérer de retrouver Dieu.

DISCOURS PRONONCÉ A LA DISTRIBUTION DES PRIX

DU LYCÉE DE LOUIS-LE-GRAND',

le 11 août 1854.

Jeunes élèves,

Je lisais dernièrement dans un vieil auteur du xvIe siècle Il m'est advis que toutes fois qu'on parle à cette belle jeunesse, il est plus advantageux de l'orner de bons et sévères préceptes que de la chatouiller d'éloges, et si j'avais oncques à exhorter nos jouvenceaux dans quelque oraison, je leur dirais apertement qu'ils sont bien éloignés des parfaits jeunes gens du tems jadis, comme les a dépeints Horatius et Aristoteles. »

Ne croyez pas, jeunes élèves, que j'adopte la pensée de Charron tout entière. Je serais mal venu, devant vous, à soutenir cette vieille opinion qui place la perfection dans le passé, au lieu de la chercher dans l'avenir, interdit le progrès, décourage par conséquent les efforts, et ne nous console d'être pires que nos devanciers que par la certitude de valoir mieux que nos descendants. Cette élégie sur la décadence perpétuelle du genre humain est d'ancienne date; elle a probablement précédé l'Iliade, et j'affirmerais volontiers que l'aïeul de Nestor lui a reproché, plus d'une fois, de n'être, en comparaison du vieux temps, qu'un parfait mauvais sujet. On remonterait ainsi au premier grand

père et au premier petit-fils. Laissons donc de côté ce lieu commun, je le veux bien, jusqu'au jour où il vous paraîtra une vérité et où vous commencerez à vous en servir, c'està-dire, quand vous aurez soixante ans.

Il est encore un point sur lequel je ne suis pas tout à fait d'accord avec Charron. Sans chatouiller, comme il dit, les jeunes gens d'éloges, on peut leur dire franchement le bien qu'on pense d'eux, et je ne me croirai pas votre courtisan, pour vous féliciter aujourd'hui de vos travaux et de vos succès, en présence du savant illustre et de l'administrateur éminent qui président à cette fête. Vous avez répondu à l'attente de vos maîtres, soutenu avec honneur l'antique réputation du lycée, et mérité de l'Association des anciens. élèves de Louis-le-Grand, si attentifs à la gloire de leurs jeunes camarades, un témoignage solennel de satisfaction. Faites hommage de vos victoires, messieurs, à l'habile capitaine qui nous a tous commandés; c'est sur le front de notre digne et cher proviseur qu'il faut poser vos couronnes, et vous regrettez comme moi, j'en suis sûr, qu'on ne les y puisse placer que par métaphore, car ici l'image oratoire n'est que la justice même et la vérité.

Maintenant je reviens à mon vieil auteur: j'ai fait, quand il le fallait, mes réserves; mais il est un point sur lequel il a raison. Non, vous ne ressemblez plus aux jeunes gens d'autrefois. Le jeune homme du XIXe siècle (c'est de lui, ou plutôt, vous le voyez, c'est de vous que je veux parler), le jeune homme du XIXe siècle a sans doute conservé quelquesuns des traits de l'ancienne jeunesse, ceux que rien ne peut effacer, parce qu'ils tiennent essentiellement à la nature humaine; mais il a reçu de son temps plusieurs traits particuliers, qui font de votre physionomie, ne vous en déplaise, une physionomie originale. Je ne veux pas dire que vous soyez pires ou meilleurs, messieurs, mais vous êtes différents. Prenez les jeunes gens de l'antiquité, tels que les re

présentent les philosophes, les moralistes, les historiens, les poëtes, Aristote dans sa Rhétorique, Térence dans ces comédies charmantes qu'un de vos maîtres traduit avec tant d'élégance1 partout ce sont les mêmes traits; les jeunes gens sont impétueux, ardents; emportés par leur fougue, ils ne se gouvernent point; passionnés pour ce qui honore, ils aiment les distinctions, surtout celles de la victoire, car la Jeunesse est jalouse de prééminence, et la victoire est une prééminence. Ils ressentent ces deux ambitions bien. plus que la convoitise d'argent; ils sont très-peu avides, parce qu'ils n'ont pas fait même l'essai du besoin; ils sont confiants, parce qu'ils n'ont pas encore éprouvé beaucoup de mécomptes. Ils ont l'âme généreuse, parce qu'ils n'ont pas encore été rapetissés par la vie; ils aiment à rire, et partant ils sont moqueurs, etc. Voilà, ce me semble, dit Aristote, le caractère des jeunes gens.

Vous en avez gardé quelque chose, messieurs. Vous aimez à rire, par exemple; vous êtes moqueurs, et je ne m'en plains pas, puisque c'est la tradition. Mais, d'autre part, quelle différence! Les principaux caractères de la jeunesse mis en lumière par le philosophe, c'est l'ardeur, l'amour de la gloire, le dédain de l'argent, l'espérance, l'illusion, la croyance si ingénue au bonheur, la passion de l'honneur, enfin toutes ces qualités vives et charmantes qui ont inspiré le mot de Vauvenargues : « Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d'un jeune homme. »

Sous ces nobles fleurs de l'âme, en effet, on sent la vertu germer et mûrir. A Rome, à Sparte, même à Athènes, chez ce peuple ingénieux dont l'âme ne valait pas l'esprit, partout, dans l'antiquité, vous trouverez au fond des cœurs le

1. M. Fallex, auteur d'une remarquable traduction en vers des Adelphes.

2. Aristote, Rhétorique, traduction de M. Villemain.

germe de l'héroïsme, c'est-à-dire d'une force supérieure qui nous fait préférer quelque chose à notre fortune, à notre famille, à nous-mêmes, à notre propre vie. L'objet de cette préférence passionnée, le mobile de ces grands sacrifices, a changé selon les temps. Ç'a été tour à tour la patrie, la liberté, la religion, la science, l'honneur, et le caractère de l'héroïsme a varié en même temps que les passions du héros. Il a été l'héroïsme du citoyen dans les républiques antiques, et peut-être prendrais-je plaisir à vous mettre sous les yeux quelques beaux exemples de ces jeunes hommes à la Plutarque, qu'admiraient tant nos pères, et que loue si souvent Montaigne, si je ne savais qu'on nous reproche déjà bien assez de vous travestir en Lacédémoniens. On me pardonnera plus aisément de vous vanter l'héroïsme chevaleresque et religieux du moyen âge. Le christianisme, en purifiant les meilleures passions sans les affaiblir, a créé alors des caractères impossibles dans l'antiquité. C'est le jeune saint, par exemple, c'est le jeune chevalier. Quel spectacle que celui d'un jeune homme de vingt ans, entrant dans une église, comme Savonarole, et, à la voix du prédicateur qui lui semble la voix même de Dieu, écrivant à son père : « Mon père, je vous quitte, je quitte ma mère, je quitte la maison de mon enfance, pour me faire le chevalier de Jésus-Christ! » ou fuyant au désert parce qu'il avait vu en rêve, comme Justiniani, une belle jeune femme toute pleine d'une grâce divine, qui lui montrait du doigt le chemin du paradis jonché de fleurs; ou s'enfermant comme François d'Assise dans une cellule, et causant avec ses frères les agneaux et ses sœurs les tourterelles; ou couchant sur la dure et se plongeant dans les étangs glacés, comme saint Bernard, pour affermir son intégrité attaquée contre les délices du siècle! Voilà, messieurs, le jeune saint du moyen âge! Mais si ces grands exemples sont aujourd'hui trop forts pour votre faiblesse, souvenez

vous au moins du jeune chevalier. Quand vous êtes sur le point d'entrer dans le monde, et de voir de près ces mœurs modernes, ternes et plates, qui prêtent si peu au déploiement des grands caractères, quand vous vous demandez si dans cette société bien alignée vous serez substituts, ingénieurs ou médecins, n'évoquez-vous pas quelquefois avec regret les brillantes images des temps chevaleresques ? N'avez-vous pas comparé l'étudiant, sur les bancs pacifiques de son amphithéâtre, au jeune preux accomplissant la veillée des armes, ceignant l'épée et partant pour la terre sainte ? Il étudiait son droit dans le code de la chevalerie, et faisait son stage sur le champ de bataille. Il protégeait les faibles, il honorait les dames, il battait les infidèles. Il était si détaché des faux biens de ce monde qu'il brûlait quelquefois son palais, en partant pour la croisade, et ensemençait son champ de pièces d'or ! Il combattait si bien par un pur dilettantisme de vaillance, qu'après avoir loyalement terrassé son adversaire, il lui tendait la main, et tous deux enfourchaient le même cheval, et le piquaient de quatre éperons, comme les paladins de l'Arioste1. Que de vertus comprenait l'héroïsme chevaleresque! la piété, la charité, la courtoisie, l'abnégation, la fidélité, le dévouement, la bravoure! Nous avons beau, messieurs, être les citoyens d'une société qui a lu Don Quichotte, et où, au lieu d'armer chevaliers les jeunes gens, on les reçoit bacheliers, il y a dans ces récits des antiques prouesses quelque chose qui charme les âmes les moins héroïques, et je plaindrais le jeune sage qui, à dix-huit ans, serait du parti de Sancho.

Plus tard, quand l'établissement des armées permanentes eut remplacé l'esprit d'aventure par la discipline, quand l'invention des armes à feu eut rétabli l'égalité entre le premier des preux et le dernier des soldats, la chevalerie fut

1. Voy. Ampère, De la chevalerie.

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