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mœurs; mais n'indique-t-elle pas un progrès plus remarquable encore de l'art et du public athénien? La comédie de Ménandre, inférieure sans doute à celle d'Aristophane pour la verve poétique, la variété, le mouvement et l'effet dramatique, l'emportait comme œuvre d'art, de morale et de goût. Nous applaudissons sur notre scène des pièces. spirituelles dont l'intention aftichée est le calque, exact jusqu'à la brutalité, du monde ou d'une fraction du monde, et ce que nous regardons comme le rajeunissement et le progrès de l'art n'en est que la décadence. Cette reproduction littérale de la vie; ces personnages dont les noms sont à peine déguisés et dont les aventures sont publiques; ces biographies épelées à la face du parterre et à la clarté de la rampe; ces conversations apportées toutes fraîches du boudoir sur la scène, ce n'est pas le progrès, ce n'est pas la maturité, c'est l'enfance ou la décrépitude de la comédie. Notre théâtre suit en ce moment une route précisément contraire à celle qu'a suivie le théâtre d'Athènes. L'ancienne comédie avait commencé par mettre sur la scène la personne de Socrate; la comédie nouvelle n'y produisit plus que le personnage abstrait du philosophe. Quand Ménandre peignit le demi-monde athénien, il ne livra pas toute vive aux regards du public son ancienne maîtresse Glycère, mais bien Thaïs, un type général de coquette, qui n'était pas plus Glycère que Célimène n'est Armande Béjart. Voilà l'honneur éternel de Ménandre: il a idéalisé la comédie. Si au mérite de ses caractères généraux on ajoute l'attrait d'une morale gracieuse, comme celle d'Anacréon, et à peu près honnête, comme celle d'Horace; indulgente pour les fautes des hommes et résignée aux coups du sort; prêchant une vertu facile et intéressée, qui permet le plaisir et procure le bonheur; amie du bien-être et de la quiétude, mais compatissante pour les faibles, les pauvres et les malheureux; si l'on ajoute un style simple, naturel et charmant,

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qui se plie sans effort au mouvement de la pensée, et d'où l'atticisme s'exhale, comme le doux parfum qui, selon Sophocle, s'élève des campagnes fleuries de Colone, on s'expliquera peut-être le genre de volupté qu'Athènes, fatiguée et soumise, goûtait à ces spirituelles peintures de sa vieillesse, et l'admiration inspirée par Ménandre depuis l'antiquité jusqu'au dernier concours de l'Académie française. Mais je ne veux pas tomber dans l'écueil que je signalais au commencement de cet article, et remplacer témérairement la conjecture par l'affirmation : je m'arrête, et je me console de ne pouvoir admirer Ménandre que par tradition et par hypothèse, en m'assurant d'avoir loué dans ses panégyristes deux esprits distingués, dont l'un, M. Benoît, est déjà un excellent helléniste, et dont l'autre, M. G. Guizot, promet un remarquable écrivain.

(Journal des Débats, 26 avril 1855.)

HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ROMAINE,

par M. Alexis Pierron.

L'excellente collection de l'Histoire universelle publiée par MM. Hachette et Cie s'enrichit chaque jour d'un nouvel ouvrage. Après l'Histoire grecque et l'Histoire romaine de M. Duruy, qui sont de vrais modèles, est venue la savante et spirituelle Histoire de la littérature française de M. Demogeot. Aujourd'hui M. Pierron donne au public l'Histoire de la littérature romaine.

M. Pierron avait déjà publié, il y a deux ans, une Histoire de la littérature grecque qui a eu le double honneur d'être louée

par les juges compétents et attaquée par les autres. Le sort de ce livre a été celui des bons ouvrages : la critique s'est tue; le livre est resté, et il restera. On lui avait reproché particulièrement, pour le fond, une imitation des auteurs allemands qui allait jusqu'au plagiat, et pour la forme, une indépendance de jugement qui allait jusqu'à l'âpreté. De ces reproches assez contradictoires, à ce qu'il semble, M. Pierron a réfuté le premier, dans la préface de son nouvel ouvrage, avec beaucoup de verve et trop d'insistance peutêtre on n'avait parlé des Allemands que pour avoir l'air de les connaître aussi bien que lui. Quant au second défaut, comme il ne semble pas disposé à s'en corriger, et que l'Histoire de la littérature latine est une nouvelle preuve d'impénitence, nous avons besoin de nous en expliquer franchement.

M. Pierron est un écrivain qui a le rare mérite de ne pas accepter les jugements tout faits, qui lit les écrits dont il rend compte, et qui en parle comme il pense. Dans notre temps d'études superficielles et d'opinions banales, c'est une nouveauté piquante de voir un critique qui étudie sérieusement, qui pense par lui-même, et qui exprime sans déguisement, sans réticence, toute sa pensée. Il en résulte que certains jugements purent paraître brusques et crus; les personnes accoutumées aux ménagements et aux demiteintes goûtent médiocrement ce style si net et si franc, ce style honnête homme, à la façon d'Alceste, qui n'a rien de commun avec l'accent habituel des Philintes de la critique. Si cette manière vive et loyale de parler, si cette verdeur de ton est un défaut, M. Pierron a bien fait d'en prendre son parti; aux yeux des gens sévères ou prévenus, elle prend facilement l'apparence de la rudesse; pour nous, nous la croyons inoffensive, puisque M. Pierron ne juge que des morts, et nous y trouvons le secret de cette impression qu'on éprouve en le lisant : « Ce n'est pas là un livre com

mun,» se dit-on. C'est qu'à chaque page, à chaque ligne, le livre laisse deviner l'homme, et que l'homme se fait estimer. On voit tout de suite à qui l'on a affaire, et l'on prend avec plaisir pour guide dans cette longue étude du génie romain un écrivain qui a plus à cœur d'être utile que de plaire, qui préfère un jugement équitable, fût-il un peu tranchant, à l'élégance d'une appréciation mitigée par tous les artifices de l'art de bien dire, enfin un critique moraliste, qui, s'il comprend mieux la force que la grâce, et goûte plus la raison que l'imagination ou la sensibilité, ne sépare jamais la vraie beauté littéraire de la beauté morale, et joint la sévérité de la conscience à la pureté du goût.

Dès qu'un auteur s'est fait ainsi connaître, il est facile de prévoir qu'il jugera mieux les orateurs, les historiens et les philosophes que les poëtes. Le poëte est chose légère, comme on sait; et, plus rarement que personne, il présente l'accord parfait du caractère et du talent; si on le juge au point de vue de la morale et de l'exacte raison, on fera œuvre d'honnête homme et de critique utile à la société; mais on se trompera quelquefois sur la valeur de l'artiste, et la conscience effarouchée méconnaîtra la poésie. Sans doute M. Pierron est préservé de pareilles erreurs par le sens délicat qu'il possède des choses de l'esprit ; cependant, par le penchant même de son caractère, il porte si volontiers la morale dans l'étude de l'art, qu'il accorderait volontiers du talent à un poëte qui a beaucoup de vertu, et de la vertu à celui qui a beaucoup de talent. Sur Perse et ses vers obscurs, sur Juvénal, élevé dans les cris de l'école, il faut s'en tenir, nous le croyons, au jugement de Boileau. Mais Perse est si honnête homme, que M. Pierron le tient pour un grand poëte, et Juvénal a de si grandes beautés, qu'il ne veut pas voir en lui un déclamateur. Il analyse à merveille le génie dramatique de Plaute, il l'admire, il le loue, et finit par s'écrier: « Tu n'a pas d'âme, ô poëte! »

parce que, selon lui, Plaute n'est qu'un poëte, et qu'il se passe d'être moral. Or Plaute n'était pas plus immoral que le public de son temps; il n'aspirait pas à le corriger, nous l'avouons, mais

Aux vices des Romains il montrait le miroir,

comme a dit Boileau de Lucile; le miroir révèle les taches du visage, il ne les efface pas; la comédie nous avertit de nos travers, c'est à nous de nous en corriger. Pétrone n'est pas plus moral que Plaute; aussi M. Pierron ne comprend pas le goût particulier que les esprits les plus délicats du XVIIe siècle ont eu pour le Satyricon. J'admets que Pétrone s'indigne peu de la corruption qu'il décrit; c'est un épicurien qui raconte des histoires moqueuses pour divertir des épicuriens. C'est l'homme d'un esprit léger, quoique pénétrant, insouciant et sceptique, sans conviction, sans idée forte, un peu comme Lucien, qui se moque volontiers de toutes choses pendant sa vie, et qui, au moment de mourir, se fera lire des vers badins. Mais il y a dans cette vive peinture de la société romaine sous Néron beaucoup trop de verve et d'esprit pour qu'on ne s'explique pas, sinon la dépense du prince de Condé, qui pensionnait, dit-on, un lecteur pour lui lire le Satyricon, au moins les louanges de Saint-Évremond. De même, pour vouloir peser toute poésie, même la plus légère, au poids de la raison, M. Pierron est conduit à des excès de rigueur contre des œuvres sans profondeur, sans solidité, mais qu'on goûte cependant quand on les prend pour ce qu'elles se donnent. Les Silves sont peu de chose, nous l'avouons, si on les juge en philosophe; mais l'imagination, la grâce, l'esprit, sont-ils si communs dans le monde qu'on ne puisse se montrer plus miséricordieux pour les fantaisies d'un poëte? « Stace n'est jamais plus à l'aise que lorsqu'il s'agit de dire ce qui ne vaut pas la peine d'être dit.» Voilà un arrêt bien sévère.

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