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mais qu'il ne sait pas fuir, sont exprimés dans un langage aisé, coulant, négligé comme celui de Tibulle, et classique comme lui. Dans Sénèque, la décadence affecte déjà le style. A travers les images dont il revêt ses idées, non-seulement on n'aperçoit pas toujours bien ses idées mêmes, mais on ne reconnaît plus la pureté de la langue classique, altérée par le mélange de la poésie. Tandis que Sénèque s'étudie à orner son élocution, il n'est pas toujours exact dans sa langue, écrit Descartes à la princesse de Hongrie. Accordons que la décadence du goût est complète dans Sénèque, mais ne lui faisons pas le tort d'en rapporter à lui la date et la responsabilité.

L'attrait du livre de M. Pierron ne s'affaiblit pas, même quand il n'a plus à peindre que le déclin de Rome, et l'on arrive à la dernière page, à la fin de la littérature classique, aux bornes du vieux monde, comme il dit justement, sans qu'on cesse de s'intéresser un instant. On a vu passer devant soi tous les grands noms de la littérature romaine, et à côté d'eux tous les écrivains d'un ordre inférieur, dont les travaux utiles ont préparé les œuvres du génie. C'est une histoire si rapide, qu'on y supposerait des lacunes, et si complète, qu'on s'étonne de n'y pas trouver de longueur. De pareils ouvrages, où tout le monde, même les hommes instruits, trouve à s'instruire, sont un double service rendu aux lettres et à l'Université. M. Pierron venge la littérature des calomnies répandues aujourd'hui contre les œuvres du paganisme : il est impossible de lire cette histoire de la littérature romaine sans être frappé de cet admirable bon sens que Bossuet regarde comme le trait principal du génie romain, et de cette morale naturelle qui a fait des philosophes de Rome les interprètes les plus éloquents du devoir, et les maîtres les plus exacts de la jurisprudence. On dit que la littérature romaine est une école d'impiété. Dioclétien ne le pensait pas, qui fit brûler

le De officiis de Cicéron avec les livres chrétiens. On dit que c'est une école de révolutions. La Convention ne le pensait pas, qui voulait proscrire de l'enseignement les écrivains de Rome et de la Grèce. Sans polémique, sans allusion aux débats actuels, M. Pierron met à néant ces erreurs, par la seule force d'une exposition éloquente et vraie, par la simple peinture du génie romain. C'est un honneur pour l'Université, pour ce grand corps qui n'a eu d'autre tort que de ne pas se défendre, parce qu'il se confiait à la justice de l'opinion, c'est un honneur d'offrir à notre pays le spectacle qu'il lui donne en ce moment. Attaqué depuis si longtemps, atteint dans sa réputation comme dans sa force, il répond aux défiances et aux calomnies par le travail : il défend l'honneur des lettres classiques, et les traditions glorieuses du passé, contre l'invasion d'une nouvelle barbarie. Maîtres et disciples, tous donnent ou suivent l'exemple; M. Villemain ajoute à son éloquent essai sur les Pères des pages, s'il se peut, plus éloquentes encore; M. Guizot complète Shakspeare, et de jeunes écrivains, que regrettent encore l'École normale et l'enseignement littéraire et philosophique, dérobent à l'Académie ses plus belles couronnes. Toute la ruche travaille, les reines comme les simples abeilles. Laissons, comme dit La Fontaine,

Les frelons bourdonnants travailler comme nous:
On verra qui sait faire avec un suc si doux

Des cellules si bien bâties.

(Revue de l'Instruction publique, 29 juillet 1852.)

LA RÉPUBLIQUE DE CICERON,

traduite par M. Villemain.

En même temps que M. Villemain achevait son étude sur M. de Chateaubriand, il préparait une édition nouvelle de sa traduction de la République de Cicéron. M. Villemain a cette rapidité et ce bonheur de travail qu'il admire comme des merveilles chez l'orateur romain. Dans la préface qu'il vient de composer pour cette édition, il discute avec une raison éloquente une théorie de M. de Lamartine et de Béranger sur l'opportunité et la légitimité d'une dictature démocratique, et réfute l'erreur des deux poëtes modernes par les arguments de la sagesse antique, empruntés à Xénophon, à Cicéron et à saint Augustin. Cette belle introduction, qui précède si naturellement l'ouvrage de Cicéron, donne une sorte d'attrait politique à la nouvelle édition de la République. Toutefois le traité de Cicéron, même sans cet intérêt présent d'une discussion de principes entre M. Villemain et M. de Lamartine, aurait encore cet à-propos général de comparaison qu'offre toujours, aux yeux des sociétés modernes, l'exposition des idées politiques de l'antiquité. La République de Cicéron, moins spéculative que celle de Platon, et destinée à peindre, non pas une cité idéale, mais un État réel, a soulevé de grands problèmes encore agités aujourd'hui : Quelle est la meilleure forme de gouvernement? quels sont les rapports de l'individu et de l'État? quels sont les devoirs du citoyen etc. C'est l'objet le plus intéressant d'étude et de méditation, aux époques où, quelque effort qu'on tente pour faire une diversion, c'est la question politique qui est le nœud de toutes les autres, et le souci pressant de tous les esprits. L'ouvrage de Cicéron, composé dans un temps

de troubles civils, et quand son auteur, écarté du pouvoir, n'en exerçait pas moins sur l'opinion l'ascendant d'un esprit supérieur et d'un honnête homme, a pu servir de modèle aux œuvres contemporaines, inspirées par le spectacle de nos révolutions, et composées par des politiques illustres dans les loisirs de la vie privée.

Lorsque Cicéron, en effet, entreprit cette exposition de principes, où il mit son expérience, ses nobles sentiments et l'explication de sa vie, il avait atteint la pleine maturité de l'âge et du génie; il n'était plus ni dans l'exil ni dans le gouvernement; l'amertume de la disgrâce ni les illusions du pouvoir ne troublaient pas le calme et la justesse de sa pensée. Il s'était retiré à Cumes, en face de la mer, dont il contemplait les vagues émues ou paisibles, et dont la mobilité lui suggérait de vives comparaisons avec les révolutions de l'histoire. Ce concours particulier de circonstances donne au traité de la République un beau caractère de sévérité; c'est la profession de foi d'un homme d'État philosophe; c'est, comme l'appelle M. Villemain, le testament politique où Cicéron fixait, sous les traits les plus majestueux, l'image du gouvernement auquel il avait dévoué sa vie. Cicéron proposait à ses concitoyens, comme une leçon de respect pour la constitution romaine, ce tableau d'une cité où la pondération des pouvoirs semble être une garantie des libertés publiques. Aucun publiciste ancien, même parmi les Grecs, dont la prodigieuse sagacité nous confond cependant, quand nous les voyons définir et vanter dans des écrits datés d'il y a deux mille ans les formes compliquées du gouvernement constitutionnel, nul écrivain, dis-je, n'avait démontré avec une conviction plus persuasive les avantages de la souveraineté mixte et de la balance des pouvoirs. L'homme d'État modèle qu'il prépose comme gardien à cette Constitution a pour règle suprême la justice, que l'orateur romain donne pour principe au patriotisme

et pour fondement aux cités, après avoir réfuté tous les sophismes de l'iniquité et de la force, développés sous le nom de nécessité d'État par Carnéade dans l'antiquité, et dans les temps modernes par Hobbes et Machiavel. Voici comme Cicéron définit cette Constitution établie sous la sanction tutélaire de la justice et formée par l'équilibre des trois meilleures formes de gouvernement:

« Le gouvernement préférable est celui qui se composera du mélange égal des trois meilleurs modes de Constitution, réunis et tempérés l'un par l'autre. J'aime en effet que, dans l'État, il existe un prestige éminent et royal, qu'une autre portion du pouvoir soit acquise et donnée à l'influence des grands, et que certaines choses soient réservées au choix et à la volonté de la multitude. Cette Constitution a d'abord un grand caractère d'égalité, condition nécessaire à l'existence de tout peuple libre. Elle offre ensuite une grande stabilité. En effet, les premiers éléments dont j'ai parlé, lorsqu'ils sont isolés, se dénaturent aisément, et surtout dans l'extrême opposé, de manière qu'au roi succède le despote, aux grands l'oligarchie factieuse, au peuple la tourbe et l'anarchie. Souvent aussi ils sont remplacés et comme expulsés l'un par l'autre. Mais dans cette combinaison de gouvernement qui les réunit et les confond avec mesure, pareille chose ne saurait arriver, à moins de supposer de grandes erreurs dans les chefs de l'État. Car il n'y a point de cause de révolution là où chacun est assuré dans son rang et n'aperçoit pas au-dessous de place libre pour y tomber1. »

En citant ce morceau, M. Villemain ajoute: « Un illustre écrivain (M. de Chateaubriand, dans le Génie du Christianisme) avait dit que le gouvernement représentatif était du nombre des trois ou quatre grandes découvertes qui, chez les mo

1. Cicéron, De Republica, liv. I, chap. xLv.

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