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qui l'on vit tant bien que mal sur les bancs des universités, mais qui ne passe pas le seuil du collége. C'est le poëte des gens du monde: il n'y a pas de magistrat, de diplomate, ou de général en retraite, qui ne le traduise au moins une fois avant de mourir. Il est le premier Mentor des jeunes gens, il est le dernier Mentor des vieillards: notre vie s'écoule entre deux exemplaires d'Horace, celui de notre adolescence, feuilleté avec insouciance, quelquefois avec ennui, par des mains impatientes; et celui de notre vieillesse, relu avec délices par des yeux plus clairvoyants. L'admiration à l'égard d'Horace est de tradition et presque de foi, mais de foi libre et volontaire. M. de Maistre, dans un opuscule intitulé: Paradoxe sur le beau, s'est amusé un jour à soutenir que le beau est un dieu qui n'existe pas, mais qui a ses dogmes, ses oracles, ses prêtres, ses conciles provinciaux et même œcuméniques, où tout se décide par l'autorité, de telle sorte qu'une fois un dogme littéraire décrété par le clergé du beau, une fois qu'il a proclamé qu'un ouvrage d'esprit mérite l'admiration, le genre humain est tenu de l'admirer, et l'admire. Il arrive quelquefois, en effet, que l'admiration est un acte pur de crédulité: il y a des grands prêtres de l'opinion qui prescrivent volontiers à l'humanité d'admirer tel ou tel objet, et l'humanité s'empresse d'obéir. Mais de telles admirations sont éphémères : le lendemain défait ce qu'avait fait la veille; on se détache sur un mot d'ordre, comme on s'était attaché; on critique comme on avait loué, par obéissance, par imitation. La routine a pu faire des réputations; elle n'a jamais fait une gloire. Les renommées durables sont celles qui commencent par l'estime d'un petit nombre; peu à peu l'opinion de l'élite se propage et se communique à tous les hommes de goût. « Les chrétiens, a dit Grimm très-spirituellement, ont établi entre eux une communion qu'ils appellent l'Église invisible; elle est composée de

tous les fidèles répandus sur la terre, qui, sans se connaître, sans être liés entre eux, sont unis cependant par le même esprit, par les mêmes espérances, et forment le petit troupeau des élus. Il en est des gens de goût comme de ces élus ils forment une nation rare et éparse, qui se perpétue de siècle en siècle, et qui conserve sans tache la pureté de son origine. C'est elle qui met le prix aux ouvrages, c'est pour elle seule que les grands hommes ont travaillé. C'est le petit nombre d'élus qui forment le jugement éternel, lequel, confirmé de siècle en siècle par cette Église invisible, devient bientôt universel. » Voilà l'histoire de la gloire d'Horace. Il a eu d'abord pour admirateurs un petit nombre d'amis, Mécène, Virgile, Varius, Tibulle, Pollion, Valgius; l'élite de chaque siècle s'est ajoutée successivement à ces premiers fidèles, et, depuis dix-huit cents ans, Horace reçoit l'hommage des esprits délicats du monde entier; les âges peuvent s'écouler, ils ne déroberont pas à sa mémoire le culte soigneusement entretenu dans la petite église des hommes de goût: quand on a vécu si longtemps, on est sûr de ne jamais mourir.

L'ÉGLISE ET L'EMPIRE ROMAIN AU IVe SIÈCLE,

par Albert de Broglie.

I

Après l'honneur de rallier à soi toutes les opinions (ce qui, de mémoire de livre, n'est presque jamais arrivé), je n'en connais pas de plus grand, pour un ouvrage sérieux, que de se trouver placé par sa modération entre les deux

feux des opinions extrêmes, et d'être attaqué avec la même ardeur pour des raisons opposées. Il est, dans la publicité, des postes plus favorables à la popularité. Se jeter tout entier dans un camp, s'y retrancher avec son parti, et mettre une armée entre l'ennemi et soi, c'est peut-être un meilleur calcul, dans l'intérêt du succès présent. On a pour soi tous les soldats de la même cause, rangés sous les mêmes couleurs, et la force collective du parti s'ajoutant à la force individuelle de l'écrivain, et la suppléant au besoin, le livre fait son chemin, enveloppé dans les plis du drapeau. Mais quand on se sent un talent capable de se suffire, et, ce qui est plus rare, une force d'esprit qui préserve des idées excessives, et, ce qui est plus rare encore, le courage d'affronter les périls de la modération, il n'est pas de hardiesse plus honorable que de planter sa tente sur la frontière des partis, à l'endroit précis où l'on croit rencontrer la vérité! Non pas que les attaques qui vous assaillent immédiatement de toutes parts, et qui, en se croisant, semblent s'entre-détruire, démontrent par leurs contradictions que vous seul avez raison contre tous. Car chacun de vos adversaires, en frappant à une place différente, peut avoir frappé juste. De ce qu'on reproche en même temps, par exemple, à un philosophe modéré, ou à un catholique modéré, d'être trop et trop peu philosophe, trop et trop peu catholique, il ne s'ensuit pas que les deux reproches contradictoires se neutralisent et que la parfaite mesure du philosophe ou du catholique soit pleinement démontrée : car il peut avoir successivement versé de l'un ou de l'autre côté, malgré son ferme propos de tenir le juste milieu. Je ne veux donc ni en général affirmer qu'on échappe à toute objection, par cela seul qu'on est pris entre deux objections contraires, ni en particulier conclure de la double opposition des ultraphilosophes et des ultracatholiques, contre le livre de M. A. de Broglie, que leur accord dans l'attaque,

pour des raisons contraires, est la plus décisive des apologies. Ce serait adhérer sur tous les points aux vues de M. A. de Broglie, et, malgré la séduction de son talent et de son impartialité, il en est beaucoup sur lesquels je conserve mes doutes, et où j'applaudis sans me convertir. Mais ce que je ne puis contester, c'est qu'à la fois accusé par les uns d'être trop catholique et par les autres d'être trop philosophe, il a beaucoup de chances pour avoir été tout sim– plement un catholique raisonnable.

Je sais bien qu'aujourd'hui on ne veut plus permettre à un catholique de ne pas rompre tout à fait avec la raison, ni à un philosophe de montrer quelque égard au christianisme. Il faut être catholique ou philosophe à outrance. Les honnêtes gens qui ne veulent entrer ni dans l'église de l'Univers ni dans le temple de la déesse Raison, ne savent plus où se mettre à genoux, pour prier Dieu à leur manière, sans être inquiétés. On les lapide inévitablement en leur jetant à la tête le Pape de M. de Maistre, et le Système de la nature du baron d'Holbach. Voilà où nous en sommes. Qu'adviendra-t-il de cette infatuation et de cette intolérance de plus en plus despotique des partis? Je l'ignore. Mais je déplore d'avance les infaillibles conséquences de cette guerre acharnée et impuissante, où la religion ne tueral pas la philosophie, où la philosophie ne tuera pas la religion (ce sont deux adversaires immortels), et où la société recevra toutes les blessures. La seule consolation des esprits sages, c'est qu'en présence de pareils excès la philosophie modérée se prend d'une sympathie plus vive pour la religion raisonnable, et que la religion raisonnable contracte plus volontiers alliance avec la philosophie modérée. C'est ainsi que nous avons vu dernièrement M. Jules Simon, l'auteur de la Religion naturelle, mettre dans la philosophie autant de religion qu'elle en peut contenir sans cesser d'être la philosophie. Ainsi nous voyons M. A. de

Broglie, l'auteur de l'Histoire de l'Église au Ive siècle, mettre dans la religion autant de philosophie qu'elle en peut comporter sans cesser d'être la religion. Voilà le rapprochement heureux qui s'est accompli entre les deux fractions modérées du parti philosophique et du parti religieux, si l'on peut se servir du mot belliqueux de parti dans un ordre d'idées d'où l'on devrait bannir le vocabulaire des passions. Est-ce à dire que nous croyons à la réconciliation possible des principes sur lesquels la religion et la philosophie reposent, le principe de foi et le principe de libre examen? Non, sans doute: ces principes ne peuvent s'accorder; ils sont tous deux dans l'esprit humain et dans le monde pour y faire l'œuvre que Dieu leur assigne. Nulle puissance ne peut joindre ce que Dieu a séparé, ni combiner ce qu'il oppose. Et quand on répond aux esprits pacifiques : « Votre rêve de concorde entre la foi et la raison est une chimère, » on se donne le plaisir de leur prêter, pour le déclarer chimérique, un rêve qu'ils ne font point. Ils ne prétendent marier ni la foi avec la raison, ni la religion avec la philosophie. Ils estiment seulement que les partis pourraient faire ce que les principes ne feront jamais, et que les hommes ne sont pas forcés d'épouser l'antagonisme des choses. Les passions seules empêchent que les catholiques et les philosophes, reconnaissant la coexistence nécessaire de la raison et de la foi dans le monde, et l'impuissance absolue où sont les hommes de supprimer l'une au profit de l'autre, s'entendent enfin pour laisser à l'une et à l'autre ses droits et sa liberté, et pour se permettre mutuellement de vivre en paix chacun sous la loi naturelle ou surnaturelle qu'il croit la vérité. Qu'on dise, si l'on veut, que c'est là le rêve d'un nouvel abbé de Saint-Pierre, qui voudrait établir entre les opinions la paix perpétuelle que l'abbé de Saint-Pierre promettait à tous les peuples, et que supprimer la guerre des idées, c'est suspendre la vie de l'esprit humain! Vivre

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