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tions. Mais quand la foi est sortie de l'esprit humain par la porte du raisonnement, qui sait si elle y peut rentrer par une autre porte que celle de l'imagination? Aussi M. de Chateaubriand disait-il souvent qu'il avait fait entendre à son temps la seule apologie du christianisme que son temps pût écouter. Il aurait pu choisir pour épigraphe du Génie du Christianisme cette parole de l'apôtre : « Je vous ai donné du lait à la place de viande, que vous n'étiez pas capables de supporter. M. de Chateaubriand a rendu à la France, comme disait Mme de Staël, le plaisir de l'admiration, et préparé de loin, par les émotions de l'esprit, le réveil religieux des âmes dont nous sommes témoins aujourd'hui. De même, en accoutumant l'opinion à espérer dans les Pères de l'Église des Cicéron, des Fénelon et des Bossuet, en mettant en scène, dans les Martyrs, Cyrille à côté du grand prêtre d'Homère, Augustin avec Eudore au sommet du Vésuve, Jérôme avec Cymodocée sur les bords du Jourdain, M. de Chateaubriand communiquait à ces graves personnages de l'Église une part de la popularité de ses héros. Et déjà le public, séduit par ces esquisses brillantes de l'âge héroïque du christianisme, et amené par le roman au désir de l'histoire, appelait de ses vœux un peintre qui pût lui représenter dans toute leur vérité ces grands écrivains et cette grande époque, quand parut M. Villemain.

Ceux d'entre vous, Messieurs dont la mémoire peut remonter au delà de vingt-cinq ans se rappellent ces cours illustres où trois grands professeurs avaient la France pour auditoire, et d'où l'histoire, la philosophie et la critique littéraire sont sorties régénérées. Ces trois enseignements, dans leur diversité, s'accordaient merveilleusement pour continuer par la science le mouvement commencé dans les âmes par l'imagination et par la poésie. M. Guizot enseignait à la reconnaissance des peuples la part qui appartient

à l'Église dans l'œuvre de la civilisation. M. Cousin, en démontrant, sur les traces de M. Royer-Collard, les grandes vérités du spiritualisme devant des générations encore minées par le sensualisme du dernier siècle, replaçait au fond des âmes les bases réparées de la foi chrétienne. M. Villemain, par ses brillantes comparaisons entre les Pères et les grands sermonnaires du xvIIe siècle, jetait les premières assises du beau monument qu'il devait élever à l'éloquence de l'Église. Un jour qu'il avait cité un passage admirable de saint Chrysostome sur l'aumône, quelqu'un s'approcha de lui à la fin de sa leçon et lui demanda communication du morceau. A quelques jours de là, dans un salon où se pressait l'élite des hommes célèbres et des femmes élégantes, le maître du logis, présentant à M. Villemain quelques pages écrites, le pria de les lire à haute voix, et M. Villemain. lut comme il sait lire le fragment que vous allez entendre :

« Pour que le pauvre soit digne de l'aumône, il suffit de sa pauvreté. Lorsqu'un homme s'offre à nous avec la recommandation du malheur, ne demandons rien davantage. En l'assistant, c'est sa nature d'homme et non le mérite de ses actions et de sa foi que nous honorons: c'est sa misère et non sa vertu qui nous touche, afin d'attirer sur nousmêmes la miséricorde de Dieu. Car si nous voulons au contraire discuter rigoureusement les droits de ceux qui ont Dieu pour maître aussi bien que nous, il fera la même chose à notre égard, et, tandis que nous leur ferons rendre compte de leur vie, nous serons nous-mêmes déchus de la miséricorde divine. Car l'Évangile a dit : « Vous serez ju« gés comme vous avez jugé les autres1. »

Savez-vous, Messieurs, où se passait cette scène si honorable pour l'éloquence chrétienne des premiers siècles? Savez-vous le nom de cet hôte illustre qui offrait à ses invi

1. Tableau de l'éloquence chrétienne, p. 177.

tés un sermon au milieu d'une fête, comme du temps où Bossuet prêchait, dit-on, à l'hôtel de Rambouillet? Ce n'était pas tout à fait M. le duc de Montausier; c'était M, le prince de Talleyrand, et il retrouvait en écoutant saint Chrysostome une sensibilité qu'on pouvait croire émoussée depuis longtemps par les accidents de sa vie. Mais n'est-il pas vrai, Messieurs, ce fragment d'homélie qui d'un cours. de Sorbonne passe dans un salon; cette société profane qui interrompt ses plaisirs pour se presser autour d'un Père de l'Église; cette curiosité qui précède la lecture; cette émotion qui la suit, tout cela n'était-ce pas le signe que le temps des Pères de l'Église était enfin venu, et que leur éloquence aurait un auditoire dès qu'elle aurait un historien?

C'est alors que M. Villemain, appliquant aux premiers siècles de l'Église cet art qui lui appartient d'éclairer la littérature par l'histoire, rouvrit à nos yeux un monde enfoui sous terre et que nous ne connaissons plus. Il y a dans les Martyrs une page admirable. Eudore raconte qu'égaré dans Rome et traversant des champs abandonnés, il aperçoit des personnes qui se glissent dans l'ombre; il les suit et pénètre sur leurs pas dans une galerie souterraine à peine éclairée par des lampes suspendues. Tout à coup une harmonie semblable au chœur des esprits célestes sort de ces demeures profondes. Eudore regarde : il découvre une salle illuminée; sur un tombeau paré de fleurs, un prêtre célèbre les mystères des chrétiens. Des voix mélodieuses chantent au pied de l'autel. Eudore reconnaît les catacombes. Cette surprise et cette émotion d'Eudore, ne les avons-nous pas tous éprouvées, Messieurs, lorsque, pénétrant sur les pas de M. Villemain dans les origines de la littérature chrétienne, tout à l'heure si obscures pour nous, et maintenant illuminées par une science éloquente, nous entendions s'élever, comme des profondeurs de la primitive Église, les

voix harmonieuses et puissantes des Basile, des Chrysostome, des Ambroise et des Augustin1?

LE PASTEUR D'HERMAS,

collection des Pères apostoliques, publiée par M. Albert Dressel.
Leipsick, 1857.

I

L'Allemagne catholique et l'Allemagne protestante rivalisent depuis quelque temps de zèle pour publier, sous des formats commodes et dans des textes corrigés avec soin, les premiers monuments littéraires du christianisme. Tout récemment, M. Dressel, profondément versé dans l'étude des antiquités chrétiennes, vient de nous donner, en un volume in-8°, une édition des Pères apostoliques. La partie la plus neuve de ce travail, c'est une nouvelle traduction latine du Pasteur d'Hermas, trouvée par M. Dressel dans un manuscrit de Rome. On appréciera la valeur de cette découverte, en comparant la nouvelle traduction avec l'ancienne, celle qu'on trouve dans les recueils de Cotelier et de Fabricius,

1. M. Rigault a demandé, dans les derniers jours de sa vie, que son cours du Collège de France ne fût pas publié. Nous conjecturons qu'il ne regardait pas comme assez exact ce qui en avait été recueilli, et que n'ayant lui-même que des notes incomplètes sur ces brillantes improvisations, le temps lui manqua pour une rédaction définitive. Nous avons cru pouvoir, sans désobéir à une volonté respectée, réimprimer ces trois courts fragments, que M. Cuvillier-Fleury a cités dans le Journal des Débats du 1 février 1857. Les articles sur le Pasteur d'Hermas et sur les Clémentines, que nous tirons du même journal, resteront aussi comme un souvenir de quelques-unes des leçons du Collège de France. (Note de l'éditeur.)

la seule qu'on possédât jusqu'ici. Entre l'une et l'autre, on rencontre dès la première phrase des différences d'interprétation notables qui permettent d'éclaircir le sens controversé de plusieurs passages du Pasteur. Une autre nouveauté de cette édition, c'est un texte grec du livre d'Hermas, que M. Tischendorff a revu et joint à la nouvelle traduction latine publiée par M. Dressel. Le texte original du Pasteur, écrit primitivement en grec, était, on le sait, considéré comme perdu, jusqu'au jour où un visiteur fortuné des bibliothèques du mont Athos, M. Simonidès, prétendit l'avoir retrouvé au fond d'un couvent. M. Tischendorff n'est pas de ceux qui se sont laissé prendre aux découvertes ou plutôt aux inventions érudites de M. Simonidès. Non-seulement il ne confond pas le travail d'un paléographe du XIXe siècle avec un manuscrit d'une antiquité séculaire; mais il ne regarde même pas le texte grec apporté de l'Athos comme le texte original du Pasteur. C'est tout simplement, à ses yeux une traduction grecque faite au moyen âge sur l'ancienne traduction latine. Cela diminue beaucoup l'importance du manuscrit grec; mais enfin, si c'était vraiment une traduction du moyen âge, il aurait encore son prix. En est-ce une? Je le souhaite plutôt que je ne l'affirme, tant le nom de M. Simonidès m'inspire de circonspection. Timeo Danaos. Du reste, ce n'est pas une question d'authenticité de manuscrit que j'ai dessein de traiter dans un journal. Je veux profiter de la publication récente du Pasteur pour entretenir nos lecteurs de ce curieux ouvrage du premier âge du christianisme.

Voici un livre, vieux de plus de dix-sept cents ans, composé moins de vingt ans après la mort de saint Paul, sous Domitien, par le frère d'un pape, par un chrétien, Hermas, qui avait connu le grand apôtre 1. Ce livre vénérable, ne

1. Je fais grâce au lecteur de toute controverse sur la date et sur l'au

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