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« L'ange ne reviendra pas aujourd'hui, me dirent les jeunes filles. (C'est Hermas qui parle.) —Que ferai-je alors? répondis-je. Attends jusqu'au soir s'il vient, il te dira ce que tu veux savoir; s'il ne vient pas, tu resteras avec nous. Mais je leur dis : « Je resterai avec vous jusqu'au soir, et, si l'ange ne reparaît pas, je retournerai à la maison et je reviendrai demain. » (Hermas se souvient qu'il a été réprimandé par l'Église, pour avoir indiscrètement admiré la beauté d'une jeune fille, et il ne veut pas s'exposer au péril d'une admiration nouvelle et multiple en restant parmi les douze vierges). Mais elles : « Non, tu nous apappartiens, dirent-elles à Hermas, et tu ne peux t'éloigner. Où resterai-je donc? Tu reposeras avec nous comme un frère, non comme un époux, car tu es notre frère, et nous voulons bien habiter avec toi; nous t'aimons. » Et moi, je rougissais à la pensée de rester avec elles. Et voilà que celle qui paraissait la première d'entre elles, m'entoure de ses bras et me donne un baiser. Puis les autres m'embrassent après elle comme on embrasse un frère, et, me conduisant autour de la tour, m'associent à leurs jeux. Les unes chantaient des cantiques; les autres menaient un chœur de danse. Je me promenais avec elles en silence, et je me sentais rajeuni. La nuit vint; je voulus partir; mais elles me retinrent. Je demeurai au milieu d'elles, au pied de la tour. Elles étendirent leurs tuniques à terre, me placèrent au milieu et se mirent à prier. Je priai comme elles, avec autant de constance et de ferveur, et me voyant ainsi en oraison, elles éprouvaient une grande joie. Je restai ainsi avec elles jusqu'au lendemain. Nous venions d'adorer Dieu, lorsque l'ange revint.... « Elles t'ont bien reçu? me dit-il. A merveille, Seigneur. Eh bien! alors tu peux m'interroger, je t'apprendrai ce que tu veux savoir1. »

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1. Simil., VIII, chap. I.

Et l'ange explique à Hermas le sens de la vision qui a frappé ses yeux. La vieille pierre et la porte neuve, c'est JésusChrist, fondement de la doctrine et porte du salut. La pierre est vieille, parce que Jésus, source éternelle de vérité, est antérieur à tous les temps. La porte est neuve parce que Jésus, source de rédemption, n'ouvrira la porte du ciel qu'au dernier jour, au jour du suprême jugement. Les douze montagnes sont les douze tribus, à qui Jésus a été prédit. Les six hommes vénérables sont des anges du Seigneur ; les pierres choisies pour édifier la tour, ce sont les prophètes, les apôtres, les docteurs. La tour, c'est la tour de l'Église triomphante, le terme et le but du voyage de l'homme sur la terre, et les douze jeunes filles qui en gardent la porte, ce sont les puissances du fils de Dieu, les vertus célestes, qui ne révèlent les mystères intérieurs de la tour et n'en permettent l'entrée qu'à ceux avec qui elles daignent habiter, à ceux qu'elles revêtent de leurs blanches tuniques, c'est-à-dire qu'elles pénètrent de leur divine pureté.

Un autre jour le Pasteur conduit Hermas près d'un saule qui couvrait de son feuillage les champs et les montagnes. Sous son ombre sont rassemblés tous les hommes appelés au nom du Seigneur. Debout auprès du saule, un ange au visage radieux coupait avec une faux des rameaux de l'arbre symbolique et les distribuait à la foule, tandis que de nouvelles branches repoussaient sur le saule, dont le feuillage réparé semblait n'avoir rien perdu. Mais dans la plupart des mains qui portaient les rameaux on voyait les feuilles pâlir et la tige se dessécher; d'autres branches, séchées à demi, restaient à demi verdoyantes; d'autres gardaient leur séve et leur verdure; d'autres se chargeaient de pampres et ployaient sous les fruits. Le saule, dit le Pasteur à Hermas, c'est l'emblème de la loi de Dieu. Ceux dont les rameaux se sont couronnés de pampres et de fruits, ce sont les bienheureux qui ont souffert la mort pour accomplir la

loi. L'ange ceint leurs fronts des palmes du martyre, et les introduit dans la tour de l'Église triomphante. Ceux dont les rameaux, sans porter de fruits, ont conservé leur vie et leur fraîcheur, ce sont ces justes qui ont vécu saintement, mais sans affronter l'épreuve de la souffrance. L'ange les revêt de tuniques blanches, et ils entrent dans la tour après les martyrs. Ceux dont les branches de saule sont à demidesséchées ne sont admis dans l'Église triomphante qu'après avoir fait reverdir leurs rameaux en les trempant dans les eaux de la pénitence; enfin ceux dont les branches n'ont plus ni séve ni couleur, ce sont les mauvais serviteurs de Dieu, exclus à jamais de la tour et condamnés à la mort éternelle.

Tel est, réduit au principal, et dégagé des répétitions inutiles, des épisodes accessoires et des allégories sécondaires, le livre du Pasteur d'Hermas. C'est la légende appliquée à la morale, c'est la première forme de l'apologie chrétienne s'expliquant, non devant les ennemis du christianisme, mais devant ses amis timides qu'il faut fortifier contre eux-mêmes avant de les aguerrir contre leurs adversaires. C'est l'exposition allégorique d'une morale toute d'action et de propagande, qui assigne aux œuvres la grande part, et qui met l'esprit au-dessus de la lettre. Le salut est le but proposé à l'homme; la route du salut est la pénitence, non la pénitence oisive qui se contente de verser des larmes, mais la pénitence vaillante qui travaille partout à effacer le mal, en communiquant de proche en proche le progrès moral, du père à la famille, de la famille à la société. Enfin le guide de l'homme dans son voyage vers l'Eglise triomphante, c'est l'ange, c'est-à-dire la grâce envoyée d'en haut. Peut-être conçoit-on maintenant le succès de ce premier catéchisme, poétique et dramatique, qu'au premier siècle on lisait dans les familles chrétiennes et même, dit-on, dans les églises, comme on aurait lu l'Écriture. Cette

morale énergique et affectueuse, qui tournait vers l'action et la charité toutes les forces de l'homme, était la plus conforme à la pensée de l'Évangile et à la doctrine de saint Paul, et la plus capable de servir l'esprit de conquête d'une religion naissante. Cet art à la fois subtil et populaire de revêtir des allégories de l'Orient les idées sévères du christianisme, et de traduire les préceptes en visions, était un attrait pour ceux qui aiment à soulever les voiles, et une impulsion pour ceux que le merveilleux décide, parce que dans les créations poétiques de l'homme ils pensent reconnaître une révélation surnaturelle de Dieu.

Je pourrais souhaiter, en terminant cet article, qu'un ami des saintes lettres traduisît quelque jour le Pasteur, et le fit connaître au public français. Ce serait un vœu imprudent. Le réveil du goût public pour les œuvres de l'antiquité chrétienne a été vif; il ne sera durable qu'à la condition de ménager ce goût et de ne pas le soumettre à des épreuves indiscrètes. Déjà bien des lecteurs, qui ne se proposent ni de s'édifier, comme les âmes pieuses, ni de s'instruire, comme les doctes, mais simplement de s'intéresser, comme les gens du monde, se sont aperçus qu'ils lisent plus volontiers les grands écrivains de l'Église dans des extraits choisis que dans des textes complets. C'est que, même chez les plus illustres, l'art ne vaut pas la doctrine, et que le beau s'y perd dans les imperfections. Cela est vrai des œuvres de l'âge d'or de l'Église, plus vrai encore des ébauches de son commencement. Les écrits des premiers siècles chrétiens gagnent pour la plupart à n'être connus que par fragments. C'est les faire valoir que de les citer; ce serait les compromettre que de les traduire.

(Journal des Débats, 13 et 15 octobre 1857.)

LES CLÉMENTINES.

I

A propos d'une publication nouvelle de M. Dressel, j'ai essayé de faire connaître aux lecteurs du Journal des Débats le Pasteur d'Hermas, ce premier catéchisme chrétien où la légende se mêle à la morale et où les maximes évangéliques revêtent la forme poétique de l'allégorie. Je voudrais étudier aujourd'hui un autre monument de l'antiquité chrétienne, également publié dans ces derniers temps par M. Dressel, les Clémentines, ou les homélies attribuées à saint Clément. Je dis attribuées, car on n'est certain ni de leur auteur ni de leur date. Quelques écrivains ecclésiastiques, Origène, saint Épiphane, Rufin, les regardent comme l'œuvre de saint Clément, altérée plus tard par les hérétiques. Tillemont les croit du Ie siècle. Les critiques modernes, sans les restituer à saint Clément, leur assignent en général une date plus voisine de son temps, le milieu ou la fin du second siècle. Nous avons deux rédactions de cet ouvrage : celle qui porte le nom de Clémentines se divise en vingt homélies dont le texte grec nous a été conservé. Selon toute vraisemblance, les Clémentines (à part les altérations qu'on y trouve) sont la plus ancienne rédaction. La plus récente, dont il ne nous reste que la traduction latine, sous le titre de Recognitions ou Reconnaissances, se divise en dix livres. C'est en beaucoup d'endroits une amplification des Clémentines, et elles portent les traces plus nombreuses encore des interpolations successives qu'y ont introduites les hérésies, comme pour marquer à leur effigie et s'approprier une œuvre accréditée dans la société

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