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qu'il fût moins adroit; mais cet excès d'adresse est encore un trait de mœurs. Il est rare que la propagande, même pour la meilleure des causes, ne coûte rien à la vérité, et sur le champ de bataille, en face de l'ennemi, les saints mêmes se croient permis de pratiquer les ruses de guerre.

Telles étaient les formes variées et populaires que prenait l'apologie chrétienne. Pour apprivoiser la multitude ainsi que les lettrés, elle combinait l'exposition des idées par la controverse avec la peinture des caractères et le récit des aventures. Ce n'est pas là sans doute l'art délicat et raffiné des apologistes savants du christianisme. C'est un art plus familier qui s'adresse à la foule, et qui pour cette cause a été jusqu'ici moins étudié que l'autre. Au point de vue de l'intérêt historique et de la peinture des mœurs, il n'est pourtant pas moins digne d'attention.

(Journal des Débats, 12, 25, 29 août et 10 septembre 1858.)

DANTE HÉRÉTIQUE, RÉVOLUTIONNAIRE ET SOCIALISTE,

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par E. Aroux.

Dans une lettre à l'abbé Bertinelli, de Vérone, Voltaire écrivait « Marrini nous reproche comme un crime de préférer Virgile à son Dante. Ce pauvre homme a beau dire; le Dante pourra entrer dans les bibliothèques des curieux, mais il ne sera jamais lu. On me vole toujours un tome de l'Arioste; on ne m'a jamais volé un Dante. » Voltaire, cette fois, n'a pas été prophète. Il ne prévoyait pas qu'après l'abbé Grangier, après le comte d'Estouteville, petit-fils de Colbert, après Moutonnet de Clairfons et

Rivarol, dont Buffon appelait la traduction en prose une suite de créations (singulier éloge pour une traduction!), après le chevalier Artaud et bien d'autres encore, de nouveaux écrivains continueraient à traduire Dante en prose et en vers; sur ce point mes deux collaborateurs, M. Delécluze et M. Ratisbonne, ne me contrediront pas. Ce que Voltaire prévoyait moins encore, c'est qu'il se trouverait au XIXe siècle des commentateurs assez patients pour reprendre l'œuvre des interprètes italiens, et présenter au public, sous la forme d'un gros volume de cinq cents pages, la clef mystérieuse de la Divine Comédie.

Il ne faut pas dédaigner ces gigantesques efforts des curieux pour pénétrer le secret du poëte, quoiqu'à vrai dire ils aient jusqu'à présent jeté peu de lumière. Ce que nous savons de plus clair sur les allégories incontestables du poëme, c'est Dante lui-même, c'est son fils Giacopo qui ont bien voulu nous l'apprendre. Nous avons déchiffré, avec leur secours, quelques syllabes du mot de l'énigme; mais le mot tout entier, nous ne le tenons pas. Je n'en suis pas surpris lorsque j'entends le poëte lui-même dire dans le Banquet: Tout écrit peut être compris et doit être expliqué de quatre manières différentes: 1° selon le sens littéral; 2o selon le sens allégorique; 3° selon le sens moral; 4o selon le sens anagogique. » Il est certain que, si Dante a combiné et entre-croisé ces quatre sens dans son poëme, il n'est pas aisé de démêler tous les fils d'un pareil écheveau.

Aussi la critique française du XVIIIe siècle a-t-elle négligé l'interprétation religieuse, historique et politique de la Divine Comédie. Elle s'est occupée seulement de l'œuvre poétique, et, à ce point de vue exclusivement littéraire, elle ne l'a pas, quoi qu'on dise, toujours mal jugée. Je ne parle pas de La Harpe, qui l'appelle fort cavalièrement une rapsodie. Mais Voltaire, dont il est de mode aujourd'hui de dédaigner les jugements littéraires, Voltaire, qui savait

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l'italien à merveille, et qui avait le sens poétique plus délicat que La Harpe, a été plus juste que lui. Sa lettre à Bertinelli n'est qu'une boutade plaisante. Quand il est sérieux, il parle plus dignement du grand poëte: Le Dante, Florentin, illustra la langue toscane par son poëme bizarre, mais brillant de beautés naturelles; ouvrage où l'auteur s'éleva dans les détails au-dessus du mauvais goût de son siècle. On trouve dans ces deux poëtes (Dante et Pétrarque) un grand nombre de traits semblables à ces beaux ouvrages des anciens, qui ont à la fois la force de l'antiquité et la fraîcheur moderne. Ce n'est pas là sans doute l'enthousiasme de quelques beaux esprits de notre temps, qui mettent sans hésiter Dante au-dessus d'Homère; c'est une admiration très-sage dans ses réserves et parfaitement motivée. Cela n'empêcha pas sans doute le docteur Vincenzio Martinelli de dénoncer le jugement de Voltaire comme une critique inepte, écrite en style de polichinelle. Mais, après tout, la nôtre, malgré sa science plus exacte et plus profonde, malgré sa faveur pour le moyen âge, n'a pas rendu à la Divine Comédie un hommage plus complet. Elle admire la beauté naturelle; » elle avoue « la bizarrerie » de ce poëme scolastique et inspiré. Je ne dis rien de plus, pour ne pas effaroucher les idolâtres; je n'ai pas oublié ce pauvre Cecco d'Asti, que les Florentins brûlèrent vif pour avoir médit de Dante après sa mort. Il est vrai que, par contumace, ils avaient condamné Dante lui-même, de son vivant, à monter sur le bûcher.

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Mais, si nous n'avons pas plus de goût que Voltaire, au point de vue de l'interprétation historique la critique moderne est vraiment supérieure. Avec beaucoup de savoir et de sagacité, elle a retrouvé les sources de la Divine Comédie; elle en a interrogé le sens politique et religieux avec la plus rare patience. Ces travaux curieux d'exégèse littéraire conviennent à l'esprit de notre temps. Le siècle inquisiteur,

qui avait exercé sa méfiance sur les poëtes et les historiens de l'antiquité, découvert dans Homère une personnification légendaire du génie de la Grèce, et dans les premiers personnages de Tite Live une collection de mythes, devait tôt ou tard expliquer Dante à sa manière. Il était difficile de faire de lui un symbole, comme Romulus, ou un rêve de l'imagination populaire, comme l'auteur de l'Odyssée; on en a fait, et cela est encore plus dans l'esprit de notre temps, un affilié à des doctrines mystérieuses, un membre de sociétés secrètes, le poëte d'une langue francmaçonnique, une espèce de carbonaro de génie. Telle est la thèse développée par M. Aroux dans l'ouvrage que j'examine aujourd'hui: Révélation d'un catholique sur le moyen age. Révélation! titre ambitieux d'un livre qui révèle, selon moi, peu de chose, sinon que M. Aroux connaît Dante, et surtout ceux qui l'ont commenté avant lui.

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Son idée, en effet, n'est pas nouvelle, et je ne comprends pas bien que dans sa préface il semble s'excuser de sa témérité, alléguant, pour justifier son entreprise, l'intérêt sacré de la religion. Si on prenait cette préface au mot, M. Aroux aurait découvert « à travers les plis du manteau de Dante, toute une panoplie d'hérésiarque. » Il ajoute même, non sans avoir l'air de s'effrayer de sa hardiesse : « Le redressement historique que j'entreprends tend à faire envisager sous une face entièrement nouvelle toute une période notable du moyen âge et de la Renaissance. Il s'agit de toute une révolution dans l'histoire du christianisme, de la philosophie et de la littérature, je n'en ignore pas. » Une triple révolution, rien que cela! Je conçois que M. Aroux s'épouvante! Mais qu'il veuille bien se rassurer. L'arbre généalogique qu'il a lui-même dressé de son idée, la liste des aïeux qu'il se donne, quoique incomplète encore, doivent diminuer à ses yeux les périls de son imprudence, et alléger le fardeau d'une si lourde responsabilité.

Il cite Landino, qui a déjà fait courir depuis longtemps de mauvais bruits sur Dante, Mario Filelfe, qui a soutenu que Béatrice n'a jamais existé, et Mazzoni, qui explique, ou plutôt s'abstient d'expliquer le mot énigmatique de Dante, B. I. C. E., en disant que c'est un secret pythagorique. M. Aroux pouvait ajouter à ces noms celui de M. DuplessisMornay, réfuté par Coeffeteau, et celui du P. Hardouin, qui déclarait la Divine Comédie l'œuvre d'un disciple de Wiclef. Mais le véritable ancêtre de M. Aroux, et il le nomme avec un respect filial, une ferveur de disciple qui aurait dû modifier le ton de la préface, c'est M. Rossetti, Napolitain réfugié à Londres, auteur du système d'interprétation que M. Aroux imite aujourd'hui. Le commentaire de Rossetti ne renferme pas moins de huit gros volumes in-8°. M. Aroux l'a résumé et mis en ordre; aux découvertes de l'écrivain italien, il a joint, dit-il, ses propres recherches: « Car M. Rossetti n'avait pas tellement fouillé le terrain, qu'on n'eût à y trouver encore maints filons précieux. Mais enfin, quoiqu'il trouve de nouveaux filons, M. Aroux, de son aveu, exploite la même mine, et il y a quelque désaccord entre l'accent novateur de sa préface, et la réduction modeste que dans l'exposé historique de sa thèse il fait subir à sa propre originalité. La préface promet une révolution, que dis-je ? trois révolutions. L'exposé historirique, rejeté à la fin du volume, annonce tout simplement une édition revue, abrégée, élucidée du système de Rossetti, qui n'a fait de révolution d'aucune sorte; et l'on ne voit guère comment le disciple réussira là où le maître a échoué.

"

Donc, selon Rossetti (ce sont les conclusions de son livre sur l'Esprit antipapal qui a préparé la Réforme), tous les ouvrages qui nous semblent obscurs, tels que ceux de Pythagore et des prophètes, la Consolation de Boèce et tant d'autres, contiennent le dépôt de certaines traditions mys

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