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dissimulaient pas les vices qui le déshonoraient quelquefois. L'Église, couverte d'une inviolabilité plus sérieuse que celle dont on environne les rois, ne saurait être solidaire des iniquités de ses ministres.... Et d'ailleurs, il faut pardonner beaucoup au génie, parce qu'il a, comme toutes les grandeurs d'ici-bas, des tentations plus fortes et des périls plus nombreux'. » Si donc Dante est un révolutionnaire pour avoir attaqué les vices de certains pontifes, il l'est tout au plus comme saint Bernard et saint Thomas, et M. Aroux n'est pas tenu d'être plus ultramontain que le saint-siége, et de se souvenir plus amèrement que Rome des invectives que Rome a oubliées.

Mais Dante est socialiste, s'écrie M. Aroux. J'ai bien cherché dans son livre, et je n'ai trouvé qu'une page où il soit question de socialisme. Au XXVI chant de l'Enfer, Dante aperçoit une fosse où voltige une flamme. Dans cette flamme, lui dit son guide, on pleure l'embûche du cheval de bois qui ouvrit la porte à toute la belle race des Romains. Ulysse et Diomède y souffrent pour s'être livrés à la même colère. Dante s'approche, et Ulysse lui raconte ses aventures : « Quand je parvins à me soustraire à Circé qui m'avait retenu plus d'un an près de Gaëte, ni la douceur des baisers d'un fils, ni la piété due à un vieux père, ni l'amour mutuel qui devait rendre heureuse Pénélope, ne purent vaincre en moi le désir d'explorer le monde et de connaître les vices et les vertus des humains. Je me hasardai sur la haute mer. » Il est évident qu'ici Dante se souvient d'un vers d'Horace et qu'il oublie Homère. L'Ulysse de l'Odyssée voyage pour retrouver son royaume, sa femme et son fils, et non pour étudier les mœurs du genre humain. Mais qu'on ne s'étonne pas de cette altération du caractère d'U

1. Dante et la Philosophie catholique au XIe siècle, p. 253. Jacques Lecoffre.

lysse; elle est volontaire chez Dante. « Ulysse et Diomède, dit M. Aroux, sont les symboles du conseil et de l'action. Vous voyez bien qu'il s'agit encore de Dante lui-même et de son prince bien-aimé. Comment ne pas les reconnaître, réunis dans une même flamme, embrasés d'un même amour pour la révolution qu'ils aiment? Ulysse donne un démenti à Homère qui le fait rentrer à Ithaque. Ulysse était trop socialiste pour cela; il n'était pas engoué de la famille : l'humanité avant tout, disait-il; car c'est l'humanité qui est Dieu, c'est elle qui est le Christ souffrant la passion sur sa croix, et devant se racheter elle-même par la religion de l'esprit. Cet Ulysse m'a bien l'air encore d'être un patarin comme Virgile. M. Aroux en trouve partout. Mais je ne sais vraiment ce qu'il entend par socialisme: sans doute l'idolâtrie de la famille et de la propriété. Je comprendrais que M. Aroux accusât de socialisme Énée, par exemple, qui perd sa femme en chemin le jour de la prise de Troie, en séduit une autre et en épouse une troisième. Mais Ulysse, le meilleur, le plus fidèle, le plus obstiné mari de l'antiquité, qui flotte dix ans sur toutes les mers pour rejoindre sa femme! Ulysse, le plus vigoureux défenseur de la propriété, lui qui perce de ses flèches tous les prétendants qui pillent sa maison! C'est avoir la main malheureuse! D'ailleurs Ulysse fût-il socialiste, qui prouverait que Dante l'est comme lui? Seraient-ce la place qu'il lui donne en plein enfer, dans la huitième fosse, et la flamme où il le fait brûler? Je m'y perds. Les explications de M. Aroux auraient elles-mêmes besoin d'être expliquées, et un jour viendra peut-être où son commentaire trouvera quelque commentateur : ce qui est certain, c'est que le secret de Dante est encore à deviner.

En terminant, je veux faire à l'auteur ma profession de foi. Je crois à son savoir, à son imagination ingénieuse et déréglée; mais son gros livre ne m'a enlevé aucune illu

sion je crois à l'orthodoxie de Dante, au bon jugement de Rome et des siècles qui l'ont estimé catholique; je crois à Béatrice, à Françoise de Ravenne et à Paul de Rimini, à Virgile, à Ulysse lui-même, et à un Ulysse bon mari et bon propriétaire; en un mot, je crois à la poésie et aux poëtes; je ne crois pas à l'argot patarin de l'association antipapale. Et je remercie M. Aroux de n'avoir pas réussi à me détromper; je ne lui pardonnerais pas s'il m'avait persuadé, s'il avait fait envoler pour jamais ces ombres charmantes et déchiré la toile d'Ary Scheffer pour badigeonner à la place les insignes des francs-maçons. Je me rappelle malgré moi l'histoire de cet Indien, que raconte, je crois, Bernardin de Saint-Pierre; il pensait, en se nourrissant d'herbes et de racines, ne rien manger d'animé, selon le précepte de sa loi. Un docteur prit un microscope, et lui montra sur les herbes et sur les fleurs des vers imperceptibles : Vous êtes méchant! s'écria l'Indien, car vous m'ôtez ma foi. » Et il brisa le microscope du savant. Heureusement M. Aroux n'a pas été si méchant que le docteur; il ne m'a pas désabusé, et je n'ai pas eu besoin, comme l'Indien, de me venger en déchirant son livre. On le lit avec plaisir, et c'est un plaisir innocent.

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(Journal des Débats, 9 février 1854.)

LE PURGATOIRE DU DANTE,

traduit en vers par M. Louis Ratisbonne.

LE PARADIS,

troisième volume de la Divine Comédie, traduite en prose,
par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat.

Dans la pensée de Dante, l'Enfer n'était pas la partie la plus importante de son poëme. Le sujet de la Divine Comédie, comme M. Ratisbonne l'a rappelé avec raison. dans sa préface, c'est l'histoire de l'âme, amenée par des initiations successives, sous la conduite de la science humaine et de la science divine, jusqu'au sein de la félicité céleste, jusqu'au pied du trône de Dieu. L'Enfer, c'est-à-dire le lieu des supplices éternels, n'est qu'une étape du pèlerinage de l'âme: le but du voyage, c'est le Paradis. Et certes, aux yeux de Dante, la partie capitale du poëme, c'était l'arrivée de l'âme au terme de sa course, c'était la victoire, le chant de triomphe, la vision merveilleuse du septième ciel! C'est aux dernières parties de la Divine Comédie qu'il a dû attacher ses meilleures espérances d'immortalité. « Le commencement de mon sujet, écrivait-il à Can Grande, est terrible, puisque c'est l'Enfer; mais la fin est heureuse, désirable et agréable, puisque c'est le Paradis. » C'est dans le Purgatoire que, décrivant le cercle des orgueilleux, il commet lui-même le péché d'orgueil et qu'il s'écrie:

Cosi ha tolto l'uno all' altro Guido

La gloria della lingua : e forse è nato
Chi l'uno e l'altro caccera di nido.

Ainsi dans l'art des vers, à Guide, l'ancien maître,

Un nouveau guide a pris sa couronne, et peut-être
Pour chasser le dernier un autre est enfanté.
(Ch. XI.)

La Divine Comédie est, sous la forme d'un pamphlet épique, une espèce de Somme poétique où Dante a condensé toutes les idées théologiques, philosophiques, morales et littéraires de son temps. Dans l'Enfer, il a mis surtout ses passions. Dans le Purgatoire et le Paradis, il a mis surtout ses idées et ses théories. Dans le Purgatoire, Marco le Lombard expose la théorie du libre arbitre; Virgile, celle de l'amour; Stace, celle de la formation du corps et de l'âme. Dans le Paradis, Béatrice développe la distinction de la volonté mixte et de la volonté absolue; Dante converse avec Adam sur le péché originel, et passe devant saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, un examen théologique sur la foi, l'espérance et la charité. Mais ce qui vit le plus longtemps dans les œuvres poétiques, ce sont les passions; ce qui meurt le plus tôt, ce sont les théories. Les théories d'un siècle sont emportées avec lui. Les passions, c'est le poëte lui-même, c'est son cœur, et la voix de ce cœur éloquent trouve des échos éternels. La raison, qui rendait plus chères à Dante les deux dernières parties de son poëme, est celle qui précisément nous fait préférer la première. Dante aimait mieux sa philosophie et sa politique que sa poésie. Et nous, ce que nous cherchons en lui, ce n'est ni le politique. ni le philosophe, c'est le poëte.

Une autre cause de la supériorité de l'Enfer, c'est que l'imagination humaine est plus habile à peindre la souffrance que le bonheur, et surtout que le bonheur infini. Dans tous les poëmes, le séjour des bienheureux, qu'il s'appelle Élysée ou Paradis, est inférieur, pour la beauté de l'expression poétique, à la demeure des damnés. Il y a dans les douleurs humaines une variété qui excite la poésie, et dans la félicité une monotonie qui l'affadit et l'énerve.

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