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moins quand on le compare sans savoir l'italien mieux que moi. Et c'est là aussi la supériorité de M. Mesnard sur la plupart des traducteurs mondains dont je parlais plus haut. La confrontation de l'original les accable. Horace a tué en duel presque tous les généraux qui l'ont traduit. Dante ne tuera pas M. Mesnard; il le fera vivre, en attestant le rare mérite de sa traduction. En échange, M. Mesnard fera lire le troisième acte de la Divine Comédie que l'on vante de loin, et dont les étranges beautés méritent d'être admirées de près.

Je ne veux pas terminer cet article sans dire un mot des notes dont le fils de l'auteur, M. Léonce Mesnard, a enrichi le livre de son père. Elles viennent à propos, elles sont courtes; M. Léonce Mesnard y montre de l'esprit et du savoir, sans vouloir en trop montrer et sans profiter de l'occasion pour se mettre en scène. Il est resté modestement au second plan, comme il sied à un annotateur; il s'est fait une petite place à l'ombre du gros volume paternel.

Parva sub ingenti patris se subjicit umbra.

Il a orné le livre, tout en sachant s'effacer. Ce sont les notes d'un bon fils et d'un homme de goût.

(Journal des Débats, 22 mai 1857.)

ÉTUDES SUR LA RENAISSANCE ÉRASME, THOMAS MORUS,

MELANCHTHON,

par M. Désiré Nisard. Un volume; 1855.

Je n'essayerai pas d'analyser en détail le livre de M. Nisard. Chacun des trois grands hommes dont il raconte

l'histoire mériterait un article. Ces Études sont d'ailleurs déjà connues du public, qui les a lues il y a vingt ans dans la Revue des Deux Mondes, et qui, par sa persévérance à les relire, en a provoqué la réimpression. Je veux choisir, parmi les nombreuses idées qu'elles suggèrent, un seul point de vue, l'un des plus intéressants, il me semble, parce qu'il touche en même temps à l'histoire et à la vie pratique, à la littérature et à la morale.

L'idée qui ressort avec force du livre de M. Nisard, et qui sert comme de moralité commune à ses trois monographies, c'est qu'en ce monde le rôle d'homme modéré est aussi difficile qu'honorable à remplir, et que lorsqu'on s'y destine, il faut se croire bien sûr de soi-même, et s'être pourvu de fermeté, de désintéressement, de résignation stoïque aux injustices de l'opinion. Érasme, Thomas Morus et Mélanchthon, dit M. Nisard dans son introduction, sont les trois types caractéristiques des trois grandes opinions. chrétiennes qui ont partagé l'Europe au commencement du XVIe siècle. Thomas Morus représente le catholique, Mélanchthon le protestant, Erasme le philosophe chrétien, Tous les trois, peut-on ajouter, à une époque où les passions politiques et religieuses déchaînées rendaient la mesure si difficile dans les idées et dans la conduite, représentent la modération, l'un dans le catholicisme, l'autre. dans la Réforme, le troisième dans la philosophie; tous les trois, par les épreuves de leur vie, nous enseignent à quel prix on achète presque toujours dans l'histoire l'honneur d'être modéré. Érasme s'est interposé entre Luther et le pape au nom de la philosophie chrétienne; Thomas Morus entre le pape et le roi d'Angleterre, au nom du catholicisme fidèle et sage; Mélanchthon, au nom de la Réforme modérée, entre le protestantisme radical et l'Église romaine; ils ont payé, l'un de sa vie, les autres de leur repos et de leur bonheur, la hardiesse de leur modération et l'équilibre

courageux qu'ils ont voulu tenir, au moins dans leur conduite, entre les excès des partis contraires. La trilogie de M. Nisard pourrait s'intituler: Thomas Morus, . Érasme et Mélanchthon, ou les malheurs de la modération dans les temps difficiles.

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Il semblera peut-être téméraire d'appeler un modéré Thomas Morus, qui a poussé jusqu'aux dernières extrémités les opinions catholiques. On est facilement prévenu contre un écrivain qui, après avoir proclamé dans son Utopie la liberté absolue de conscience et la tolérance universelle, soutint plus tard que l'hérésie est le plus grand des crimes, et qu'il est juste de brûler les hérétiques. Aussi l'histoire a-t-elle été sévère pour lui, surtout l'histoire écrite par les protestants et par les philosophes, et je ne m'étonne pas qu'après Burnet et Hume, Voltaire, concluant du fanatisme des idées à la cruauté des actions, ait osé appeler Morus « un barbare digne du dernier supplice. » Les plus indulgents parmi les historiens, laissant s'accréditer sans la combattre cette réputation de persécuteur, plaidaient en faveur de Thomas Morus les circonstances atténuantes, et compensaient la barbarie du chancelier par les vertus privées de l'homme, par l'expiation du martyr. M. Nisard, plus hardi, a nié le crime et démontré l'innocence. Lui, l'homme de la tradition, il a combattu la tradition, et prouvé, c'est une vérité désormais acquise à l'histoire, que Thomas Morus n'a jamais versé le sang. Parmi les réhabilitations tentées de nos jours, c'est une des mieux réussies; et elle fait d'autant plus d'honneur à M. Nisard, qu'ennemi bien connu du sens propre, il lui a dû en coûter beaucoup pour avoir seul raison contre tout le monde. Trop souvent, chez les hommes d'un esprit roide et d'un cœur honnête, c'est la roideur de l'esprit qui triomphe de l'honnêteté du cœur, et l'inflexibilité farouche du principe qui étouffe l'humanité du caractère. Chez

Thomas Morus, la douceur de l'âme l'emporta sur la dureté des opinions: il eut le courage d'éluder dans sa conduite les conséquences rigoureuses de sa foi; il fut de son temps par ses passions, supérieur à son temps par ses actes. Frappant d'une peine légère les hérétiques, que la loi lui permettait et que ses principes lui ordonnaient de condamner au dernier supplice, il abjurait sur son siége de chancelier la sévérité de doctrine du chrétien, et se ménageait, par ce démenti généreux donné à sa croyance, une gloire bien belle et bien rare parmi les hommes, celle du logicien qui recule devant la logique, le jour où elle lui commande de répandre le sang. Je suis de l'avis de M. Nisard de tout temps, mais surtout depuis le dernier siècle, où l'on a vu tant de théoriciens se faire un point d'honneur d'aller jusqu'au bout de leurs systèmes, même à travers des ruines, il faut admirer bien haut l'héroïque faiblesse d'une grande âme qui, dans cette lutte entre la nature et la loi, se décide pour la nature, abandonne l'orgueil de ses principes, sacrifie cette prétention terrible d'être conséquent avec soi-même, qui a inspiré tant de crimes, et se donne tout entière à la bonté. La belle parole de Fénelon revient ici à la mémoire : « On ne sait pas assez combien il y a de gloire à être bon. » Ce que j'appelais contradiction et faiblesse, ce que les contemporains de Morus ont peutêtre nommé trahison et lâcheté, n'est-ce pas la raison et la force véritables? n'est-ce pas l'énergie intime du bon sens et de l'équité naturelle qui se révolte contre des idées fausses et barbares? n'est-ce pas la loi éternelle de la conscience prévalant enfin sur les principes éphémères du fanatisme? n'est-ce pas la voix de Dieu même retentissant au fond de l'âme humaine et y étouffant toutes ces voix mensongères que les hommes font parler en son nom? Thomas Morus a puisé la force de pardonner à la même source où il puisa plus tard la force de mourir, dans la modération de

son âme, incapable de pousser la piété jusqu'à la barbarie, ni le dévouement politique jusqu'à l'apostasie religieuse. Il essaya d'accorder tous les devoirs : la foi et l'humanité, en vivant comme un chrétien irréprochable et en pardonnant à l'hérésie; la loyauté du sujet envers le roi et la fidélité du chrétien envers le pape, en s'abstenant de combattre le bill qui détachait de Rome l'Eglise d'Angleterre et en refusant d'y souscrire au péril de sa vie. Ce respect de tous les pouvoirs, même de ceux qui se combattent entre eux, ce partage scrupuleux de l'homme entre des affections exigeantes dont chacune veut l'homme tout entier, ce sont des vertus trop délicates sur cette terre, et trop injurieuses aux passions du monde pour demeurer impunies; elles devaient conduire Morus à l'échafaud.

Combien n'a-t-il pas fallu de force également à ce doux Mélanchthon pour se maintenir ferme sur la pente où l'entraînait Luther! L'histoire de la confession d'Augsbourg est la page la plus belle et la plus douloureuse de sa vie. Dans un chapitre où la profondeur de l'analyse fait d'un récit historique une véritable étude morale, M. Nisard a décrit les combats de cette conscience honnête et un peu timide avec la violence de tous les partis. Qu'on se représente Mélanchthon à Augsbourg, occupant les heures de ses jours et de ses nuits à rédiger une profession de foi qui présente dans son vrai jour la pensée de la Réforme avec fermeté, pour satisfaire à la dignité du parti et pour fixer les indécis; avec douceur, pour attirer les modérés; sans esprit d'exclusion, pour réconcilier les sectes naissantes. Que de passions s'agitent autour de lui! D'un côté, c'est l'électeur de Saxe, c'est le landgrave de Hesse, qui rejettent les transactions et qui poussent à la guerre; de l'autre, c'est Luther, qui de loin attise les discordes, souffle l'incendie et dénonce comme des trahisons les concessions de son disciple, que le légat du pape proclame une dérision et un

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