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pas abandonné, je me trouve un peu moins mal; quant à me trouver tout à fait bien, je n'en ai plus l'espoir, du moins dans cette vie. C'est le même mot que celui de Mélanchthon, c'est la même fin, c'est la même gloire, car ce qui a fait les malheurs de l'un et de l'autre pendant leur vie, est précisément ce qui fait leur honneur devant. la postérité. Cette impartialité reprochée de toutes parts à Érasme comme une trahison, c'est ce qui, à la distance où nous sommes, nous rapproche de lui, comme une conformité de sa raison avec la nôtre, comme un sentiment commun et une ressemblance par où nous nous reconnaissons dans cet homme illustre mort depuis trois siècles. C'est comme philosophe chrétien qu'il est le représentant naturel de ces esprits, si nombreux de nos jours, qui accordent l'amour profond de l'Évangile avec l'indépendance philosophique des opinions. C'est là le grand honneur de cette mémoire toujours aimée des honnêtes gens, philosophes par l'esprit, chrétiens par le cœur, qui adorent Dieu, la liberté, la justice, et qui haïssent l'intolérance des opinions extrêmes et l'oppression des consciences. Récompense tardive, mais consolante; réparation glorieuse, digne de raffermir les âmes que le spectacle d'une telle destinée découragerait de la modération!

Le livre que je viens d'examiner est un des ouvrages de M. Nisard que j'aime le mieux. L'auteur entre avec beaucoup de sagacité dans le caractère de ses personnages; il les place dans leur vrai jour, il les explique dans leurs replis les plus secrets, il excelle à distinguer en eux ce qui est du fond même de l'homme, ou de son humeur et des préjugés de son temps; on sent qu'il les connaît et qu'il les aime, pour avoir vécu longtemps avec eux. Autour d'eux il groupe adroitement les personnages secondaires, dont il trace le profil en traits légers, trop légers même quelque

fois, il me semble, de peur sans doute d'attirer sur eux l'attention aux dépens de l'acteur principal; les faits sont présentés clairement, avec ordre et avec choix; les appréciations littéraires et les réflexions de morale se mêlent agréablement aux récits des événements historiques; les questions religieuses sont exposées avec simplicité et sans théologie. Le style est précis, ferme, serré, avec un certain dédain des ornements, qui n'ôte à la grâce que pour donner à la force; l'expression vise à creuser la pensée plutôt qu'à l'embellir. Enfin ce qui me plaît encore plus dans ce livre, c'est le louable amour de la modération qui, répandu dans toutes les pages, en forme comme le suc et le parfum. On saura gré d'un tel sentiment à un écrivain qu'on s'est accoutumé à regarder comme le défenseur un peu exclusif de certaines idées absolues. A y regarder de près, il convient, ce me semble, de rabattre beaucoup de cette réputation de roideur qu'on a faite à M. Nisard. On l'a représenté comme un esprit sévère, dédaigneux, « et même. un peu farouche, » qui, ayant pris comme une place vacante et comme un rôle les fonctions de défenseur de la tradition classique, et, selon l'expression spirituelle de M. Sainte-Beuve, de critique constituant, y a porté avec beaucoup de talent un dogmatisme plus propre à lui donner de l'autorité que de l'attrait. Pour moi, je reconnais une vraie conviction littéraire dans ce qu'on a nommé un rôle et un parti pris. M. Nisard, après tout, en se déclarant classique tout de suite, a fait un peu plus tôt ce que d'autres ont fait plus tard; d'autres ne sont venus dans la vigne qu'à la fin de la journée pour achever la vendange; M. Nisard a été l'un des ouvriers du matin. Les opinions les plus promptes et les plus décidées ne sont pas les moins sincères, mais ce sont les plus vives, et je m'explique facilement que la foi littéraire de M. Nisard, née pendant la guerre du romantisme, ait eu toute la véhémence des pas

sions qui grondèrent autour de son berceau; il montra contre les hérétiques de la littérature toute l'ardeur belliqueuse d'un ligueur contre les protestants. Au fond cependant, comme en lui l'homme tempérait l'écrivain et l'aménité du caractère les opinions, son dogmatisme s'est souvent humanisé, et je citerais nombre de cas où cet hypercritique a été le plus accommodant des juges. En cela il ressemble à son héros Thomas Morus; comme lui, il a quelquefois atténué ses principes dans la pratique, et absous ce qu'il aurait pu condamner. Enfin il y a dans M. Nisard une tolérance naturelle, et, comme on disait au XVIIe siècle, une commodité d'humeur que la sévérité de ses opinions n'a pas affaiblie; à côté de l'esprit rigoureux et dogmatique, avec son grande supercilium, il y a en lui l'esprit aimable qui laisse l'autre passer devant, mais qui se montre, lui aussi, à ses moments, qui sourit et veut être reconnu; car si M. Nisard ne fait pas d'avances à la popularité, il n'a pas non plus l'orgueil de viser à l'impopularité, pour paraître supérieur à l'opinion. Les Études sur la `Renaissance le laissent voir sous cet aspect moins connu; elles le délivreront aux yeux du public de cette apparence rébarbative qu'on lui a prêtée quelquefois, et le feront paraître ce qu'il est un écrivain de beaucoup de talent et de goût, ami passionné de la tradition, et non ce qu'il n'est pas: la duègne de la littérature.

(Journal des Débats, 3 août 1855.)

JÉRÔME SAVONAROLE, SA VIE, SES PRÉDICATIONS,
SES ÉCRITS,

par M. Perrens; 2 volumes.

Savonarole a-t-il été un ambitieux hypocrite ou un réformateur sincère, un charlatan ou un fanatique, un grand politique ou un démagogue éloquent, un vrai saint ou un thaumaturge imposteur? Il était difficile jusqu'à présent de bien répondre à ces questions. Comme presque tous les hommes qui, vivants, ont fortement agité les opinions et les passions de leur siècle, Savonarole, même longtemps après sa mort, n'a pas pu trouver de juge assez calme pour être équitable à la suite de ces grandes vies, mêlées de malheur et de gloire, des siècles entiers s'écoulent sans apaiser les tempêtes qu'elles ont soulevées et qui poursuivent encore leur mémoire. La vie de Savonarole, devenue tour à tour, aux mains de ses admirateurs et de ses détracteurs passionnés, une légende pleine de miracles ou une tragédie pleine de crimes, attendait encore un historien. Un jeune professeur de l'Université, M. Perrens, attiré par l'éclat et par les ombres mêmes de cette renommée, est parti pour l'Italie. Il a interrogé avidement les hommes distingués qui connaissent le mieux Savonarole et l'histoire de Florence. Il s'est enfermé dans les bibliothèques, il a lu et analysé tous les écrits de Savonarole, et surtout ses vingt volumes de sermons, où il a trouvé les renseignements les plus curieux sur la vie, les idées et le gouvernement du réformateur de Florence. Il a parcouru toutes les apologies et tous les pamphlets composés pour ou contre son héros; et de cette courageuse étude est sorti un livre, qui sera désormais, pour Savonarole, le jugement même de l'histoire.

Nous connaissons maintenant la vie, la politique et l'éloquence du dominicain: M. Perrens nous a livré tous les documents désirables avec une largesse qu'on trouverait trop prodigue, sans la nouveauté de ses dons. Sa méthode est vraiment scientifique : il n'affirme rien sans s'appuyer sur un texte; sa critique est sévère et sûre, son esprit net, son caractère équitable; on peut avoir confiance dans la justesse de ses jugements comme dans l'exactitude de ses récits. Le premier volume de son ouvrage contient l'histoire de Savonarole; le second, l'appréciation et l'analyse de ses écrits. Tous deux offrent le plus grand intérêt, par la nouveauté des recherches: dans l'un, l'auteur, rétablissant dans leur vérité des faits mal présentés jusqu'ici, ou en mettant de nouveaux en lumière, crée une biographie véritable; dans l'autre, il analyse des traités, des poésies, des sermons à peu près inconnus et non traduits. Son style est précis, animé, incisif, et pourtant ses conclusions sont si loin d'être tranchantes, que d'excellents juges les ont trouvées timides. Elles sont, en effet, si soigneusement motivées, si mitigées, si nuancées, qu'on sent très-bien que M. Perrens a voulu ménager l'opinion italienne, en éclairant la nôtre. Par exemple, il discute longuement si Savonarole a été vraiment prophète, dans un chapitre spécial qui a vivement intéressé l'Italie et qui paraîtra peut-être inutile en France. Ce qui achève d'ailleurs d'expliquer l'extrême prudence des conclusions de M. Perrens, c'est le caractère même de son héros, si complexe et si divers. Lorsque, dans un personnage qui n'est pas tout d'une pièce, on veut tout peindre et tout juger, le portrait qu'on trace est nécessairement compliqué comme l'original, et le jugement qu'on porte paraît indécis, parce qu'on y tient compte de tout. Plus les conclusions veulent être justes, moins elles semblent précises; elles perdent en saillie ce qu'elles gagnent en étendue. Mais ce n'est pas la faute de M. Perrens,

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