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TRAITÉ D'ÉDUCATION DE SADOLET,

traduit par M. Charpenne.

Il est curieux d'observer les progrès de cette croisade rétrospective à la tête de laquelle marche l'Univers, et qui s'est attaquée d'abord au XVIIIe siècle, puis à Descartes, puis, remontant toujours, à la Réforme, et enfin à la Renaissance. La Renaissance est l'étape la plus récente de cette expédition à reculons, poursuivie depuis quelques années contre les grands événements et les grands hommes de l'histoire moderne par les derniers représentants de l'esprit du moyen âge, par quelques obscuri viri, faits pour être les contemporains et les victimes d'Ulrich de Hutten, et que le hasard de la naissance a fourvoyés dans le xix® siècle. La thèse en vogue en ce moment auprès d'un certain public illettré, c'est qu'au lieu d'être la reconnaissance de l'antiquité et du monde moderne, l'embrassement de la mère et du fils, la réunion de la famille humaine dispersée, la Renaissance a été la rupture de la tradition, le grand schisme de l'esprit humain, la reculade honteuse de la chrétienté vers le paganisme. La Renaissance, comme un phare mensonger, a la première égaré le navire, qui, à demi démâté par le grand orage de la Réforme, raffermi un instant par le calme trompeur du xvII° siècle, et plus que jamais fracassé par les tempêtes du xvi, a besoin de rentrer dans le port du moyen âge pour y réparer ses agrès. L'Univers se propose naturellement pour pilote, et revendique l'honneur de ramener le genre humain dans les eaux endormies de cette mer morte, où il faut s'enfermer, si l'on veut éviter les naufrages. Telle est la thèse actuelle sur la Renaissance: c'est le paradoxe le plus fraîchement

éclos d'une école qui professe en toutes choses le contraire de l'opinion reçue, et qui rajeunit l'histoire en la retournant, comme on retourne un habit fatigué. A l'appui de son paradoxe, l'Univers étudiait dernièrement un traité d'éducation d'un des écrivains les plus éminents de la Renaissance, d'un cardinal, de Sadolet, évêque de Carpentras, traduit pour la première fois par M. Charpenne, et il prétendit prouver que ce livre d'un prêtre est purement et simplement le livre d'un païen; puis il concluait que la Renaissance, véritable cause de la Réforme, avait paganisé le XVIe siècle et même le xvire, qui, disait élégamment ce journal, serait d'une grandeur plus constamment marquée au coin chrétien, sans cette inoculation grecque et latine qui date de la Renaissance. » Voilà le fond des idées de l'Univers,

idées qui demandent à être approfondies,» ajoute-t-il avec la même élégance, et qu'il n'eût pas voulu formuler sans un supplément d'instruction. Ce supplément d'instruction qui lui serait si souvent nécessaire, l'Univers l'a trouvé dans le livre de M. Charpenne, et c'est après l'avoir lu qu'il a posé bravement la thèse que je résumais plus haut. Nous n'y répondrons pas aujourd'hui; nous nous réservons de traiter la question générale. En ce moment nous essayons seulement d'enlever à l'Univers l'argument particulier qu'il tire du livre de Sadolet, et de le réconcilier avec cet innocent écrivain.

Nous ne sommes pas surpris toutefois que Sadolet n'ait pas les bonnes grâces de l'Univers; c'était un évêque doux et humble de cœur, de mœurs évangéliques, ne se mêlant guère du siècle, n'abusant pas de l'autorité, ne confondant. pas la religion avec la politique, et si tolérant pour les protestants de France, que lorsqu'il mourut on répandit le bruit, mensonger d'ailleurs, que les catholiques l'avaient empoisonné pour le punir de sa douceur. En un mot, c'était un devancier de Fénelon plutôt qu'un élève de Gré

goire VII. Quant à son livre, le Traité d'Éducation composé pour son neveu, Paul Sadolet, l'Univers lui reproche d'être consacré exclusivement aux sciences humaines et de ne pas enseigner la science de Dieu; de ne pas parler de la confession, de la communion, de la grâce; de ne pas employer un seul des mobiles qui sont comme la respiration du christianisme, » enfin d'être l'ouvrage d'un philosophe plutôt que d'un évêque, d'un païen plutôt que d'un chrétien.

"

Il y a eu au xvr siècle beaucoup de chrétiens qui ressemblaient à des païens, et d'évêques qui n'avaient rien d'épiscopal. Mais Sadolet est un bon prêtre, et son livre ne sent nullement l'idolâtrie. C'est un dialogue écrit d'un style aimable et d'un accent honnête et persuasif, comme le Traité des Études, quoique d'une élégance plus étudiée. Sadolet divise l'éducation en deux parties, les lettres et les mœurs l'une doit former l'esprit de l'homme, l'autre doit former son âme. Les préceptes de goût qu'il donne dans la première sont excellents; les préceptes de morale qui composent la seconde sont irréprochables. « On y marche en plein De Officiis, » dit l'Univers. C'est un bel éloge qu'il fait là. Mais l'Univers ne sent pas qu'il y a déjà bien des idées chrétiennes dans le De Officiis, et il croit avoir prouvé le paganisme de Sadolet. Voyons donc les enseignements de ce païen :

Ce corps que voient nos yeux, cette masse formée d'os et de nerfs, et qu'une peau enveloppe, ce n'est pas l'homme; ce visage, principale image de l'homme, ce n'est pas l'homme lui-même; l'homme, c'est la raison, c'est la pensée, voilà notre être véritable, voilà ce qui est fait à l'image de Dieu notre créateur. »

Pur paganisme! dit l'Univers; tous les élèves de Socrate et de Cicéron parlent ainsi. Nous ne disons pas autre chose. Continuons.

«

Lorsque l'âge sera venu où l'enfant commence déjà à comprendre les paroles et à écouter plus attentivement la conversation de ceux qui parlent près de lui, le père devra surtout prendre garde que rien d'impie envers Dieu n'arrive aux oreilles de l'enfant.... La mère devra elle-même le conduire et le porter aux églises et aux divines cérémonies. »

Conduire l'enfant à l'église, aux exercices religieux, c'est là, selon l'Univers, n'employer aucun des mobiles qui sont « la respiration du christianisme. » Il est vrai qu'il ne s'agit ici que des pratiques, et les pratiques ne supposent pas toujours les sentiments. Sadolet le sait bien, et il ajoute:

« Il n'y a pas de semence plus belle et plus féconde à introduire dans l'âme de l'enfant que le nom et la pensée d'un Dieu tout-puissant, pour qu'il commence à l'aimer et à le vénérer, en entendant dire chaque jour que par lui toutes choses lui arrivent et lui sont données. En voyant ses parents adorer Dieu et le remercier de ses bienfaits, implorer son secours et sa protection avec un visage et une posture de suppliants, il concevra que Dieu est un être beaucoup plus grand par sa puissance et par sa nature que les hommes qu'il connaît. »>

Il y a dix passages semblables à celui-ci.

Ce Dieu qu'il faut aimer, prier, adorer, est-ce le dieu des païers? Si l'Univers répond non, il tombe dans une contradiction flagrante. S'il répond oui, cela peut le conduire bien loin, jusqu'à confesser, par exemple, que le dieu des païens n'est pas si misérable. Mais que l'Univers lise quelques lignes encore, il connaîtra le dieu de Sadolet:

«

Que l'enfant apprenne à aimer celui qu'il est nécessaire aussi de craindre, non d'une crainte servile: celle-là n'est ni agréable à Dieu, ni profitable à l'innocence et à la véritable vertu; mais de cette crainte si intimement unie à l'a

mour qu'on ne puisse l'en séparer, et dont il est si divinement dit dans les saintes Écritures: « La crainte du

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Seigneur est le commencement de la sagesse.»

Ce Dieu de l'Écriture, que nous devons aimer d'un amour mêlé de crainte, ce n'est pas Jupiter sans doute, c'est Jésus-Christ; et plus loin, le jeune disciple de Sadolet prononçant les noms d'Apollon et des Muses, le maître lui demande pourquoi il ne parle pas plutôt du Saint-Esprit et de la sainte Trinité. Voilà le langage de cet idolâtre. Mais pour façonner l'enfant à la vertu, Sadolet invoque « l'honneur, la gloire, l'admiration et même le sentiment de la dignité personnelle; il ne parle ni de la confession, ni de la communion, ni de la grâce! Sadolet fait un traité d'éducation, il ne fait pas un catéchisme. L'Univers a cité à son profit un passage d'une lettre où le cardinal Pol lui reproche de s'être borné à développer les principes de la philosophie, et de n'avoir pas abordé la théologie. Mais l'Univers n'a pas cité la réponse de Sadolet qu'il déclare insuffisante. La voici :

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« Si des préceptes sont nécessaires à la jeunesse pour suivre la religion, comme ils le sont certainement, ils ont été enseignés dans ce livre, en tant qu'ils concernent l'adolescence. Enfin, comme dans mon Hortensius je dois traiter spécialement de la philosophie (elle est appelée ainsi par les hommes les plus savants et les plus saints, par Chrysostome, Basile et les autres), et comme il y sera proprement question de la théologie, je n'ai pas cru qu'il fût convenable d'effleurer dans ce livre ce qui doit orner principalement le dialogue d'Hortensius. »

Ainsi ce que Sadolet entend par philosophie, c'est précisément ce qu'entendent par ce mot les Pères de l'Église : c'est la philosophie chrétienne; et s'il a laissé de côté dans son livre les matières théologiques, c'est sciemment et volontairement, parce qu'il écrit un traité d'éducation pour

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