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pas distraits de leurs juges naturels. On disait alors, ainsi qu'aujourd'hui: «Le coq est bien fort sur son fumier :

In sterculinio plurimum gallus potest.

(PUBLIUS SYRUS.)

Suivant Plaute, quand on plaidait chez soi, intra præsepes suas, on avait généralement quelque avantage sur son adversaire, et l'on pouvait se dire :

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Au contraire, on s'effrayait fort d'avoir à soutenir un procès devant d'autres juges que ceux de son domicile. Un personnage du Persa de Plaute hésitait à conclure un marché, par cette unique raison qu'en cas de contestation il lui faudrait aller plaider devant un tribunal étranger :

Si volo hunc ulcisci, lites sequar in alieno oppido.

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La même réflexion est faite par un personnage de l'Andria de Térence. Une succession s'était ouverte, à laquelle il croyait avoir des droits. Étranger au pays où se trouvaient les biens composant cette succession, qu'un autre avait appréhendée en son absence, il renonce à faire valoir ses prétentions, parce qu'il sait par expérience combien peu de chances il aurait de gagner son procès devant des juges qui ne sont pas ceux de son domicile :

An hospitem

Lites sequi quam hic mihi sit facile atque utile,
Aliorum exempla commonent.

(IV, 8.)

Les déclinatoires pour incompétence personnelle devaient donc être assez fréquents, et ceux-là surtout qui se fondaient sur la règle : « Actor rei forum sequitur. >>

Il en était sans doute de même des déclinatoires pour incompétence matérielle. Ceux-là, le juge pouvait les prononcer d'office, en renvoyant à une autre juridiction le litige dont il était saisi. C'était même son devoir; car la sentence rendue par un juge incompétent, ou par excès de pouvoir,

était nulle « Factum a judice quod ad ejus officium non « pertinet, ratum non est. »><

Les poëtes connaissaient certainement la formule de ces déclarations d'incompétence en effet, nous la trouvons exprimée par les vers que voici, dans des termes que la justice de notre temps pourrait parfaitement admettre si elle parlait encore latin:

Non nostrum inter vos tantas componere lites.

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Parmi les incidents moratoires tenant à l'incompétence du juge, il en était un qui mérite ici une attention particulière. L'indication en est donnée dans la seizième et dernière satire de Juvénal, où ce poëte parle de certains avantages dont jouissaient les militaires.

«Un de leurs priviléges, dit-il, est de pouvoir obtenir justice en tout temps et en quelque lieu qu'ils se trouvent, leur juridiction spéciale les suivant partout, et étant toujours prête à fonctionner : >>

Ast illis quos arma tegunt et balteus ambit,

Quod placitum est, ipsis præstatur tempus agendi.

« Il n'en est pas de même, continue le poëte, pour les justiciables civils. Que de deux voisins l'un vienne à commettre une anticipation sur le champ de l'autre, qu'un mauvais débiteur se refuse à payer sa dette: pour les actionner, il faut attendre l'année, au début de laquelle commencent à se juger les procès de tous les particuliers : >>

Exspectandus erit qui lites inchoet annus

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Ce passage a été diversement interprété par les anciens

commentateurs de Juvénal. Les uns l'entendaient en ce sens,

que les rôles des tribunaux étaient tellement surchargés, qu'il fallait attendre au moins un an pour voir venir son procès en ordre utile. D'autres attribuaient la cause du retard à la difficulté de réunir les juges, quand, par exemple il s'agissait d'un litige soumis à la juridiction centumvirale. Mais les détails fournis sur la procédure judiciaire des Romains par les Institutes de Gaius, découvertes dans les premières années de notre siècle, ne peuvent plus laisser aucun doute sur la pensée de Juvénal. Nous apprenons en effet par Gaius que certaines instances n'avaient d'autre durée que celle des pouvoirs du magistrat qui avait délivré la formule d'action et donné des juges aux parties; qu'il en était ainsi des instances appelées judicia imperio continentia, « tamdiu valent quamdiu is qui ea præcepit imperium habebit » ; que quant aux instances dites legitima judicia, qui avant la loi Julia judiciaria vivaient jusqu'à ce que le juge commis eût rendu sa sentence, elles avaient été ramenées par cette loi à la durée de dix-huit mois. En sorte que lorsque le préteur de qui émanaient la formule et la délégation du juge venait soit à mourir, soit à quitter ses fonctions par suite de l'expiration de l'année de ses pouvoirs, ou par toute autre cause, toutes les instances par lui organisées et non jugées durant le cours de son exercice, ou, pour les legitima judicia, dans les dix-huit mois à partir de l'époque à laquelle ils s'étaient engagés, tombaient de plein droit en péremption; que les formules par lui délivrées devenaient caduques, et que tout était à recommencer à nouveaux frais, le demandeur étant tenu de se pourvoir d'une autre formule auprès du nouveau préteur, qui désignait d'autres juges. D'où il suivait que, pour ne point s'exposer à cette déchéance, il était prudent de n'engager une action qu'au moment même où commençaient les pouvoirs annuels du préteur.

Telle est la véritable signification de ce passage, longtemps incompris, de la 16 satire de Juvénal. Ici ce sont les documents du droit qui expliquent la pensée du poëte, comme ailleurs ce sont les documents poétiques qui portent la lumière dans certaines obscurités du droit.

Il y avait donc dans l'organisation même des juridictions

civiles et dans leur compétence passagère un obstacle considérable à la prompte expédition des affaires.

Mais ce n'était pas tout. La cause une fois régulièrement engagée devant le juge ayant pouvoir d'en connaître, mille autres ennuis, mille autres embarras étaient réservés au plaideur. C'est encore Juvénal qui nous le dit, dans le même passage:

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Quand l'affaire était renvoyée soit devant un tribunal collectif, tel que celui des centumvirs, ou des récupérateurs, soit devant un juge unique, tel que le judex privatus, les parties, prêtes à plaider leur cause en étaient souvent empêchées et se voyaient obligées de se retirer, tantôt parce que les siéges n'étaient pas encore recouverts de leur tapis, tantôt parce que des avocats ou des juges s'éloignaient sous prétexte soit de la grande chaleur, soit de besoins à satisfaire

Toties subsellia tantum

Sternuntur, jam facundo ponente lacernas

Cæditio, et Fusco jam micturiente, parati

Digredimur.

Juvénal voulait indiquer ici, je crois, que par le fait des avocats et par celui des juges la plaidoirie et le jugement des causes étaient indéfiniment ajournés.

Par le fait des avocats en effet, ils contribuaient pour leur bonne part aux lenteurs de la justice distributive, en demandant des remises sous divers prétextes. Devant le tribunal centumviral, ces remises ne s'accordaient que trèsdifficilement, dit Pline le jeune; mais encore pouvait-on les obtenir : « Judicium centumvirale differri nullo modo, « istud ægre quidem, sed tamen potest. » (Epist,, I, 10.) Cette faveur fut accordée à Pline, dans l'intérêt d'un confrère, au nom duquel il l'avait sollicitée. Or, quel était le motif allégué par ce confrère à l'appui de sa demande ? Il écrivait à Pline, c'est la réponse de celui-ci qui nous l'apprend, qu'ayant fait un mauvais rêve, il avait juste raison

de redouter quelque fâcheux échec dans son plaidoyer, et qu'en conséquence il lui fallait absolument obtenir un ajournement, sinon à quelques jours, du moins à l'audience subséquente « Scribis te, perterritum somnio, vereri ne quid << adversi in actione patiaris; rogas ut dilationem petam, et « pauculos dies, certe proximum excusem. » (Epist., I, 18.) Cela dit assez combien d'empêchements les excuses des avocats pouvaient apporter à la prompte expédition des affaires, surtout devant les juridictions inférieures.

Par le fait des juges en effet, il s'en fallait bien qu'ils fussent toujours à la disposition des plaideurs. Ceux qui sans motifs légitimes s'abstenaient de remplir leur office étaient, il est vrai, passibles d'une amende, et certains préteurs avaient assez de fermeté pour la prononcer, le cas échéant, contre eux. Pline nous apprend qu'un de ces magistrats en avait agi de la sorte, même à l'égard d'un sénateur. <« Eia-tu, écrivait-il à l'un de ses amis qu'il engageait à revenir de la campagne à Rome pour le moment des plaids, «quum << proxime res agentur, quoquo modo ad judicandum veni.... «Non impune cessatur; ecce Licinius prætor, vir acer et << fortis, mulctam dixit etiam senatori. » (Epist., IV, 29.) Mais il est probable que ce moyen de coaction n'était que rarement employé à l'encontre des juges désignés, lesquels appartenaient pour la plupart aux premiers rangs de la société romaine, et que souvent les audiences manquaient par leur absence. Ces juges d'ailleurs, même alors qu'ils se rendaient à l'appel du préteur, n'en prenaient que fort à leur aise. Ce détail donné par Juvénal, Fusco jam micturiente, n'est point de l'invention du poëte. Un orateur romain, dans un discours rapporté par Macrobe, se plaignait de ce que les juges quittaient fréquemment leur siége pour se rendre à l'urinal, et quelquefois même pour aller vomir le vin qu'ils avaient bu avec excès.

De tout cela Juvénal concluait que les luttes qui se livraient dans l'arène du Forum n'en finissaient pas,

Lentaque Fori pugnamus arena,

et que maintes fois la chose même qu'on se disputait s'usait et

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