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se perdait par le frottement incessant des entraves qui enrayaient la marche du procès :

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Ces vices de l'organisation de la procédure judiciaire et cette extrême difficulté d'obtenir prompte justice avaient déjà été signalés par Horace. On se rappelle ce passage dans lequel il représente le débiteur poursuivi se transformant, comme Protée, sous toutes sortes de figures, pour échapper à son créancier. Il voulait, lui aussi, montrer par cette allusion métaphorique combien le mode de procéder usité dans les tribunaux offrait de ressources et d'échappatoires à la mauvaise foi, combien il était fécond en exceptions et en incidents moratoires de toutes sortes.

Les poëtes en effet nous enseignent eux-mêmes que certains procès s'éternisaient :

Certamen longa contractum lite gerebant.

(AVIAN., fabula 24.)

Au dire de Martial, il y en avait qui duraient plus de vingt ans. « Vingt hivers ont passé sur votre tête, disait-il à un plaideur, depuis que vous traînez le même procès dans trois juridictions différentes :

Lis te bis decimæ numerantem frigora brumæ
Conterit una tribus, Gargiliane, foris.

(VII, 65.)

De telles involutions de procédure devaient, on le comprend, coûter, outre beaucoup d'ennuis, beaucoup d'argent. Il paraît en effet qu'on n'en sortait souvent que ruiné. Cicéron parle d'un malheureux plaideur, qui n'avait pu s'échapper d'un procès que tout nu, comme d'un incendie : « Quo ex judicio, velut incendio, nudus effugit. >>

Le gain même de la cause appauvrissait celui qui l'avait obtenu, et il n'était pas rare de voir le vainqueur plus étrillé et plus mécontent encore que le vainçu, en sorte qu'il pouvait justement s'appliquer ce mot du Satyricon,

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Ceci arrivait notamment quand on avait le malheur d'être en procès avec un de ces plaideurs insolvables qui ne courent d'autre risque que celui d'une condamnation pécuniaire, inexécutable contre eux. Térence en faisait ainsi l'observation. « Supposez, fait-il dire par l'un des personnages de Phormio, que votre adversaire succombe. Qu'y gagnerez-vous, alors qu'il s'agit pour lui, non pas d'une condamnation corporelle, mais simplement d'une condamnation pécuniaire, que son insolvabilité rendra nécessairement illusoire?

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C'est aussi par une considération de cette nature qu'Ovide se plaignait d'avoir si souvent à triompher des adversaires auxquels il était en butte :

Ut vincam toties, dimicuisse piget.

(Amor., II, 7.) (1)

(1) Bien longtemps après, sous le régime de nos anciens parlements, on tenait encore le même langage. En fait de choses judiciaires, ce n'est guère que sur ce sujet que se soient expliqués nos poëtes et la plupart de nos prosateurs :

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,

Nous voici comme aux premiers jours.

(LA FONTAINE.)

Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles,
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

Incontinent chez le juge il courut.
Il faut user de diligence extrême
En pareil cas; car le greffe tient bon,
Quand une fois il a saisi les choses.

C'est proprement la caverne au lion :

(ID.)

Rien n'en revient. Là les mains ne sont closes

Pour recevoir, mais pour rendre trop bien.

Fin celui-là qui n'y laisse du sien.

(ID., Contes, l'oraison de saint Julien.)

N'imite pas ces fous dont la sotte avarice

Va de ses revenus engraisser la justice,

Qui toujours assignants, et toujours assignés,

Souvent demeurent gueux de vingt procès gagnés.

(BOILEAU, Ép., 2.)

VII. Conseils donnés par les poëtes aux plaideurs ; -- leur antipathie
pour les procès.

Il était naturel que les poëtes, si bien informés de ce qu'il en coûtait même pour gagner sa cause en justice, fussent d'avis, comme Montaigne, qu'en général il y a moins de mal à perdre sa vigne qu'à la plaider, et qu'ils tinssent pour parfaitement vrai le proverbe portant qu'un méchant accommodement est préférable au meilleur des procès. C'est en effet ce qu'ils ne manquaient pas de dire, à l'occasion.

<< Pourquoi susciter ces difficultés contentieuses? lit-on dans Plaute; ne savez-vous pas quelle chose redoutable c'est que d'aller en justice? C'est folie de s'adonner aux pro

cès quand on peut se les épargner et vivre en paix :

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Nescis, tu, quam meticulosa res sit ire ad judicem?

Stultitia est cui bene esse licet, eum prævorti

Litibus.

(Persa.) (1)

En effet, un procès était toujours une cause d'inquiétudes et de tristes préoccupations; si bien, qu'il était passé en proverbe de dire d'une personne ayant l'air chagrin, qu'il sem-,

« Misère est compaigne des procès, et gents plaidoyants, misérables; car plus tost ont fin de leur vie que de leur droit prétendu. »

(RABELAIS, I, 21.)

Orante plaide depuis dix ans entiers en règlement de juges, pour une affaire juste, capitale, et où il y va de toute sa fortune. Elle saura dans cinq années quels seront ses juges, et dans quel tribunal elle doit plaider le reste de sa vie.

(LA BRUYÈRE, c. 14.)

On se rappelle aussi ce vieux proverbe « Il faut trois sacs à un plaideur un sac de papiers, un sac d'argent et un sac de patience.

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Ce brocard en bouts rimés, dont l'idée se rapproche beaucoup de celle de la sentence de Plaute, a été fait contre ceux qui plaident, même alors qu'ils sont nantis, et qui font ainsi mentir cet autre brocard :

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blait qu'elle eût reçu une assignation à comparaître enjustice:

Quem videam æque esse mæstum, ut quasi dies sibi dicta sit.

(PLAUT., Asinaria.)

<< Ne feriez-vous pas mieux, disait aussi Térence dans Phormio, de vous entendre amiablement que de recourir aux voies litigieuses? >>

Cur non, inquam,

Vides inter vos hæc potius cum bona

Ut componantur gratia, quam cum mala?

(IV, 3.).

« On n'est jamais forcé, disait-il encore dans les Adelphes, de poursuivre son droit jusqu'à la dernière rigueur : »

Non necesse habeo

Omnia pro meo jure agere.

(I, 1.)

« l'affaire eût pu s'arranger si vous eussiez concédé quelque peu de votre droit : »

Si nunc de tuo jure concessisses paululum.

(Ibid., II, 2.)

<< Il y a quelquefois un très-grand profit à savoir faire, à l'occasion, un sacrifice d'argent :>>

Pecuniam in loco negligere maximum interdum est lucrum.

(Ibid.) (1)

Ces conseils si sages, disons-le tout de suite, Cicéron les consignait dans son traité de Officiis, en ces termes, dont quelquesuns ont une remarquable analogie avec ceux qui sont donnés dans les vers qui précèdent : «Convenit in exigendo non acer<«<bum esse, in omnique re contrahenda, vendendo, emendo, «< conducendo, locando, vicinitatibus et confiniis, æquum et fa« cilem, multa multis de suo jure cedentem; a litibus vero, quan<< tum liceat, et nescio an plus etiam quam liceat, abhorren<< tem. Est enim non modo liberale paululum nonnunquam de « suo jure decedere, sed interdum etiam fructuosum. »

Depuis, les poëtes ne cessèrent de tenir un pareil langage.

(1) C'est sans doute cette sentence de Térence qui a inspiré celle que voici : Esse solent magno damna minora bono.

(Ov., Remedia amoris.)

Martial écrivait pour l'édification des plaideurs obstinés les épigrammes qui suivent :

« Le malheureux! le fou! se peut-il qu'il plaide vingt années durant, lui qui était libre de perdre tout de suite son procès ! >>

Ah miser! ah demens! viginti litigat annis,

Quisquam cui vinci, Gargiliane, licet!

<< Il vous faut payer votre juge et votre avocat. Ne feriezvous pas bien mieux de payer incontinent votre créancier? » Et judex petit, et petit patronus. Solvas censeo, Sexte, creditori.

(II, 13.)

Un provincial voulait venir plaider à Rome contre un gouverneur qui l'avait pressuré et ruiné. « N'en faites rien, lui disait Juvénal; sauvez au plus tôt le peu qui vous reste, en le faisant vendre, et restez-en là. C'est folie, après avoir tout perdu, de vous exposer encore à perdre les frais d'un voyage par mer >>

Præconem, Chærippe, tuis circumspice pannis,

Jamque tace. Furor est post omnia perdere naulum.

(Sat. VIII.)

Un autre poëte, Dyonisius Cato, mettait au nombre de ses distiques trois sentences par lesquelles il est recommandé 1o de ne pas entreprendre un procès de mauvaise humeur, la colère étant en ce cas fort mauvaise conseillère et ne manquant jamais de nous aveugler sur notre prétendu bon droit; 2o de ne point demander ce qui peut nous être justement contesté; 3o de ne pas plaider contre ceux auxquels un lien d'affection nous unit:

Iratus de re incerta contendere noli :

Impedit ira animum, ne possit cernere verum.

(II, 4.)

Nam stultum petere est quod possit jure negari.

(I, 31.)

Litem inferre cave cum quo tibi gratia juncta.

(II, 36.)

Ce dernier précepte est ainsi justifié par Ausone :

Vexat amicitias, et fœdera dissociat lis.

(Edyl. 12.)

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