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procès, d'en passer par le préteur et par les juges qu'il désignait.

Et comme le flot des litiges allait toujours croissant, force fut aussi, pour opposer une digue au débordement de la manie processive, de rendre plus malaisé l'accès de la justice par de longues et dispendieuses circonvolutions de procédure.

On l'a dit avec raison, c'est à la folie des plaideurs qu'est due la savante stratégie du droit romain :

Stultitia nostra, Justiniane, sapis (1).

Rien n'était plus vrai ; et les poëtes latins, tout en se plaignant des ruineuses lenteurs de la procédure judiciaire, avaient un trop bon esprit pour ne pas reconnaître que la faute en était plus encore aux justiciables qu'aux législateurs et à la jurisprudence. C'est pourquoi quelques-uns d'eux conseillaient à leurs contemporains d'éviter, autant que possible, de se laisser entraîner dans ce guêpier, d'où l'on ne pouvait se tirer sans dommage; c'est pourquoi aussi ils tenaient en grande estime les hommes assez sages pour se garer des litiges.

Térence disait, à titre de louange, de certains de ses personnages, qu'ils n'avaient pas l'humeur processive, qu'ils fuyaient les procès et n'en avaient jamais eu :

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Claudien faisait le même éloge d'un vieillard de Vérone :

Non rauci lites pertulit ille fori.

(Epigr. 2.)

(1) Ce fragment de distique est d'un poëte anglais du xvn° siècle, Jean Owen, auteur d'épigrammes en vers latins. Il a été imité par Boileau, dans

ce vers:

Des sottises d'autrui nous vivons au palais.

Légistes, dit La Bruyère, dans le même sens, quelle chute pour vous si nous pouvions nous donner le mot d'être sages! » (C. x1.) — A quoi Boileau ajoutait ceci :

Que de savants plaideurs désormais inutiles !!

On a vu plus haut que Martial se flattait d'être encore vierge de vadimonia. Ce genre de mérite, les poëtes se l'attribuaient communément.

Litigiosa fugit studiosus jurgia vates,

disait Faustus Andrelinus, poëte italien du quinzième siècle. Ausone, de même que Martial, s'offrait comme un exemple à suivre sous ce rapport, se glorifiant non-seulement de n'avoir ni augmenté ni diminué son bien par des procès, mais aussi de n'avoir ni prononcé de condamnations comme juge, ni même déposé comme témoin à la charge de personne, c'està-dire de n'avoir paru en justice pour quelque cause que ce fût :

Litibus abstinui; non auxi, non minui rem.

(Idyll.)

Judice me, nullus, sed neque teste, perit.
(ID., ibid.) (1)

Mais cette antipathie pour les procès n'était rien moins que générale. A en juger par les traits de mœurs que fournissent les comédies de Plaute et de Térence, les Romains devaient être, au contraire, en grande majorité fort enclins à la chicane; car il n'en est presque pas une seule où il ne soit question d'appels à la justice et de litiges.

Celles de Plaute surtout se font tout particulièrement remarquer par ce caractère. On y voit même que pour se dérober à certaines importunités ses personnages allèguent les procès qui les occupent, et font fermer leur porte aux visiteurs, sous prétexte qu'ils ont affaire au Forum. L'un d'eux charge son esclave de dire qu'il n'a pas moins de trois causes à faire juger en un seul jour :

Illic nunc negotiosus est res agitur apud judicem.

(PLAUT., Pseudol.)

(1) C'est ce que disait Cornélius Népos du célèbre Atticus, ami et correspondant de Cicéron << Neminem suo nomine subscribens accusavit; in jus, de sua re, nunquam ivit ; judicium nullum habuit. »

Montaigne s'applaudissait d'avoir pu de même échapper à tout procès. Enfin, j'ay tant faict par mes journées, à la bonne heure puis-je le dire, que me voicy encores vierge de procez, qui n'ont laissé de se convier plusieurs fois à mon service, pour bien juste tictre, s'il m'eust pleu d'y entendre. » (Essais, 3-10.)

Tres hodie lites judicandas dicito.
(PLAUT., Mercator.)

On sait qu'Horace parle souvent aussi des mille occupations dont on était assailli à la ville pour le compte d'autrui. Tantôt c'était un ami qui vous donnait rendez-vous au Putéal pour le lendemain, avant la deuxième heure du jour, à l'effet de l'assister dans quelque affaire contentieuse; tantôt c'étaient des scribes qui vous mandaient au plus vite, pour prendre connaissance d'une grave question d'intérêt qui venait de surgir:

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Un poëte, du même siècle qu'Horace, Manile, indiquant les diverses voies que prenaient les hommes pour arriver à

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(1) Voici un passage d'une lettre de Pline le jeune, qui peut servir de pendant au tableau tracé par Horace : « Si quem interroges. Hodie quid egisti?» respondeat : « In officio togæ virilis interfui; sponsalia aut nuptias frequentavi; ille me ad signandum testamentum, ille in advocationem, ille in consilium rogavit. » (Epist., IX, 9.)

Mais ce n'était pas seulement des affaires d'autrui qu'avaient à s'occuper les citoyens de Rome. Ils attachaient plus d'importance encore à la surveillance de leurs affaires personnelles et de leurs propres intérêts. Qu'on en juge par le fait suivant, qui est rapporté dans l'histoire de Tacite. Lors de sa conspiration contre Galba, Othon, qui se trouvait auprès de ce prince au moment où celui-ci offrait un sacrifice à Apollon et faisait consulter les entrailles des victimes, se sépara tout à coup de l'assemblée pour aller se réunir aux conjurés. Il lui fallait un prétexte pour expliquer cette subite disparition, et voici celui qu'il avait imaginé. Son affranchi vint l'appeler en lui annonçant qu'il était attendu par son architecte et ses entrepreneurs; et comme on lui demandait ce qu'il avait à faire de si pressé, il répondit qu'ayant acquis des immeubles, dont la solidité lui paraissait plus que douteuse à cause de leur velusté, il avait besoin de les faire examiner au plus tôt : « Emi sibi prædia, vestustate suspecta, eoque prius exploranda. » (i (Hist., I, 27.) Cette raison ne donna l'éveil à personne. On trouvait tout naturel que, même en une pareille circonstance, Othon s'éloignât pour aller donner ses soins à une affaire contentieuse qui l'intéressait personnellement.

la fortune, cite en première ligne celle des spéculations par procès :

Aspera sive Foro per litem jurgia tentent,
Fortunamve petant pelago.

(L. III.)

Juvénal signale également cette habitude processive de ses concitoyens : «Qui de nous, disait-il, payerait aussi cher le plaisir d'entendre les œuvres d'un savant historien que la lecture faite par un greffier de quelque acte judiciaire? »

Quis dabit historico quantum dabit acta legenti?

(Sat. VII.)

On lit aussi dans Perse que la plupart des Romains passaient toute la matinée à l'audience du préteur, et les soirées chez les courtisanes. C'est ainsi du moins que les érudits interprètent ce vers fort obscur du satirique :

His mane edictum, post prandia Calliroen do.

(Sat. I.)

Que faisaient-ils à ces audiences? S'ils n'y plaidaient par eux-mêmes, ils y tenaient note sans doute des décisions et de la jurisprudence du préteur, et, vivant ainsi au milieu des controverses judiciaires, ils en contractaient le goût et devenaient plaideurs à leur tour.

Il résultait de là que la plus légère cause, le moindre mot engendrait souvent de très-gros procès :

Lis minimis verbis interdum maxima surgit.

(DYONIS... Cato, II, 9.)

Ce mot, suivant Ausone, était le monosyllable non. Étaiton d'accord? deux oui s'échangeaient : c'était la paix. Ne l'était-on pas? il intervenait un non : c'était la guerre ; et alors retentissaient dans le Forum les cris et les altercations des colitigants:

Si consentitur, mora nulla, intervenit Est, est.
Sin controversum, dissentio subjiciet non.
Hinc Fora dissultant clamoribus .

(Idyl. VII.)

Sur quoi le poëte s'écriait : « Qu'est-ce donc que cette vie humaine dont le repos se trouve à la merci de deux

MOEURS JURID. ET JUDIC.

T. II.

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monosyllabes, où l'on entre en procès pour un oui et pour un non!

Qualis vita hominum, duo quam monosyllaba versant!

(Idyl. VII.)

De tous ces extraits que je viens de déduire on peut conclure hardiment, je crois, que la manie de plaider existait chez les Romains à l'état quasi normal; et de là vint apparemment que leurs poëtes parlaient si souvent le langage judiciaire. A force de l'entendre, ils s'en impreignaient, et l'employaient comme un idiome ou un accent du pays, même dans les sujets qui semblaient le moins le comporter. C'est ainsi que Lucrèce personnifiant et faisant parler la nature la comparait à un avocat plaidant une bonne cause :

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C'est ainsi encore que dans ses Métamorphoses Ovide compare l'œuvre du Créateur, qui, débrouillant le chaos, avait séparé et mis en ordre les éléments confus et discordants, à celle du juge qui débrouille et tranche un litige compliqué :

Hanc Deus et melior litem natura diremit.

(L. I.)

C'est ainsi, enfin, que, dans son poëme De bello civili, Pétrone fait dire à Jules César haranguant ses soldats :

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(1) Les prosateurs faisaient souvent de même. En voici deux exemples, que je cite entre mille.

A propos d'une rivalité entre amants, l'auteur du Satyricon exprime ainsi les projets de vengeance du rival supplanté : « Sed vix eam amplexus.... Quum Lycas indignatns raptas sibi furto delicias, me de repetundis insimulavit. (CAP. X1). Allusion à l'action de repetundis pecuniis.

Dans les métamorphoses d'Apulée, un mari qui vient de surprendre sa femme en flagrant délit d'adultère s'adresse en ces termes au complice de celle-ci :

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