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ne trouve point de prife dans tout ce qui n'a point de corps. Et cette realité de vos idées que je ne puis m'empêcher de croire veritables, par les raifons que vous venez de me dire, me paroît n'avoir gueres de folidité. Car, je vous prie, que deviennent nos idées dès que nous n'y penfons plus ? Pour moy il me femble qu'elles rentrent dans le neant. Et fi cela eft, voilà vôtre monde intelligible détruit. Si en fermant les yeux j'aneantis la chambre intelligible que je voy maintenant, certes la realité de cette chambre eft bien mince, c'eft bien peu de chose. S'il fuffit que j'ouvre les yeux pour creer un monde intelligible, affûrément ce monde-là ne vaut pas celuy dans lequel nos corps habitent.

VII. THEODORE. Cela eft vray, Arifte. Si vous donnez l'être à vos idées, s'il ne dépend que d'un clin d'oeil pour les aneantir, c'eft bien peu de chofe. Mais fi elles font éternelles, immuables, neceffaires, divines en un mot, j'entens la: realité intelligible dont elles font formées, affûrément elles feront plus confiderables que cette matiere inefficace, & par ellemême absolument invisible. Quoy, Arifte! pourriez-vous croire qu'en voulant penfer à un cercle, par exemple, vous

don

& de

donniez l'être à la fubftance, pour ainfi dire, dont vôtre idée eft formée, & que dès que vous ceffez de vouloir y penfer, vous l'aneantiffiez? Prenez garde. Si c'est vous qui donnez l'être à vos idées, c'est en voulant y penfer. Or, je vous prie, comment pouvez-vous vouloir penser à un cercle, fi vous n'en avez déjà quelque idée, quoy la former & l'achever? Peut-on rien vouloir fans le connoître ? Pouvezvous faire quelque chofe de rien? Certainement vous ne pouvez pas vouloir penfer à un cercle, fi vous n'en avez déjà l'idée, ou du moins l'idée de l'étendue, dont vous puiffiez confiderer certaines parties fans penfer aux autres. Vous ne pouvez vouloir le voir de près, le voir diftinétement, fr vous ne le voyez déjà confufément, & comme de loin. Vôtre attention vous en approche; elle vous le rend present; elle le forme même. Je le veux. Mais il est clair qu'elle ne le produit pas de rien. Vôtre diftraction vous en éloigne: mais elle ne l'aneantit pas tout-à-fait. Car fi elle l'aneantifloit, comment pourriez-vous former le defir de le produire, & fur quel modele le feriez-vous tout de nouveau fi femblable à luy-même ? N'est-il pas clair que cela feroit impoffible?

ARISTE.

ARISTE. Pas trop clair encore pour moy, Theodore. Vous me convainquez, mais vous ne me perfuadez pas. Cette terre eft reelle. Je le fens bien. Quand je frappe du pied, elle me réfifte. Voilà qui eft folide cela. Mais que mes idées ayent quelque realité indépendemment de ma penfée, qu'elles foient dans le temps mêmes que je n'y penfe point, c'eft ce que je ne puis me perfuader.

VIII. THEODORE. C'eft que vous ne fçauriez rentrer en vous mêmes pour interroger la Raifon; & que fatigué du travail de l'attention, vous écoutez vôtre imagination & vos fens, qui vous parlent fans que vous ayez la peine de les confulter. Vous n'avez pas fait affez de réflexion fur les preuves que je vous ay données que leur témoignage eft trompeur. Il n'y a pas long-temps qu'il y avoit un homme fort fage d'ailleurs, qui croyoit toûjours avoir de l'eau jufqu'au milieu du corps, & qui apprehendoit fans ceffe qu'elle ne s'augmentaft & ne le noyaft. Il la fentoit, comme vous votre terre. Il la trouvoit froide, & il fe promenoit toûjours fort lentement parce que l'eau difoit-il, l'empêchoit d'aller plus vifte. Quand on luy parloit neanmoins, & qu'il écoutoit, on le dé

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trom

trompoit. Mais il retomboit auffi-tôt dans fon erreur. Quand un homme fe croit transformé en coq, en lievre, en loup ou en bœuf, comme Nabucodonofor, il fent en luy, au lieu de fes jambes, les pieds d'un coq; au lieu de fes bras, les jarets d'un boeuf; & au lieu de fes cheveux, une crête ou des cornes. Comment ne voyezvous pas que la réfiftance que vous fentez en preffant du pied vôtre plancher, n'est qu'un fentiment qui frappe l'ame, & qu'abfolument parlant nous pouvons avoir tous nos fentimens indépendemment des objets? Eft-ce qu'en dormant vous n'avez jamais fenty fur la poitrine un corps fort pefant qui vous empêchoit de refpirer, ou que vous n'avez jamais crû être frappé, & mêmes bleffé, ou frapper vous-mêmes les vous promener, danfer, fauter

autres

fur une terre folide?

Vous croyez que ce plancher exifte, parce que vous fentez qu'il vous résiste. Quoy donc eft-ce que l'air n'a pas autant de realité que vôtre plancher, à caufe qu'il a moins de folidité? Eft-ce que la glace a plus de realité que l'eau, à caufe qu'elle a plus de dureté? Mais de plus vous vous trompez: nul ne peut réfifter à un efprit. Ce plancher réfifte à vôtre pied. Je le

veux. Mais c'est tout autre chose que vôtre plancher, ou que vôtre corps, qui réfifte à vôtre efprit, ou qui luy donne le fentiment que vous avez de résistance ou de folidité.

Neanmoins je vous accorde encore que vôtre plancher vous réfifte. Mais penfezvous que vos idées ne vous réfiftent point? Trouvez moy donc dans un cercle deux diametres inégaux, ou dans une Elliple trois égaux. Trouvez moy la racine quarrée de 8. & la cubique de 9. Faites qu'il foit jufte de faire à autruy ce qu'on ne veut pas qu'on nous fafle à nous-mêmes: ou, pour prendre un exemple qui revienne au vôtre, faites que deux pieds d'étenduë intelligible n'en faffent plus qu'un. Certainement la nature de cette étendue ne le peut fouffrir. Elle réfifte à vôtre efprit. Ne doutez donc point de fa realité. Vôtre plancher eft impenetrable à vôtre pied: c'eft ce que vous apprennent vos fens d'une maniere confufe & trompeufe. L'étendue intelligible eft auffi impenetrable à fa façon c'eft ce qu'elle vous fait voir clairement par fon évidence & par fa propre lumiere.

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Ecoutez moy, Arifte. Vous avez l'idée de l'efpace ou de l'étendue, d'un efpace, dis-je, qui n'a point de bornes. Cet

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