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te idée eft neceffaire, éternelle, immuable, commune à tous les efprits, aux hom*mes, aux Anges, à Dieu même. Cette idée, prenez y garde, eft ineffaçable de vôtre efprit, comme celle de l'être ou de l'infiny, de l'être indéterminé. Elle luy eft toujours prefente. Vous ne pouvez vous en féparer, ou la perdre entierement de veüe. Or c'eft de cette vafte idée que fe forme en nous non feulement l'idée du cercle, & de toutes les figures purement intelligibles, mais auffi celle de toutes les figures fenfibles que nous voyons en regar

dant le monde creé: tout cela felon les diverfes applications des parties intelligibles de cette étenduë ideale, immaterielle, intelligible, à nôtre efprit; tantoft en confequence de nôtre attention, & alors nous connoiffons ces figures; & tantoft en confequence des traces & des ébranlemens de nôtre cerveau, & alors nous les imaginons ou nous les fentons. Je ne dois pas maintenant vous expliquer tout cecy plus exactement. Confiderez feulement qu'il faut bien que cette idée d'une étendue infinie ait beaucoup de realité, puis que vous ne pouvez la comprendre & que quelque mouvement que vous donniez à vôtre efprit, vous ne pouvez la parcourir. Confi

derez

derez qu'il n'eft pas poffible qu'elle n'en foit qu'une modification, puis que l'infiny ne peut être actuellement la modification de quelque chofe de finy. Dites-vous à vous-même: Mon efprit ne peut comprendre cette vafte idée. Il ne peut la mefurer. Ceft donc qu'elle le paffe infiniment. Et fi elle le paffe, il eft clair qu'elle n'en eft point la modification. Car les modifications des êtres ne peuvent pas s'étendre au delà de ces mêmes êtres, puis que les modifications des êtres ne font que ces mêmes êtres de telle & telle façon. Mon efprit ne peut mefurer cette idée : c'eft donc qu'il eft finy, & qu'elle eft infinie. Car le finy, quelque grand qu'il foit, appliqué ou répeté tant qu'on voudra, ne peut jamais égaler l'infiny.

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ARISTE. Que vous étes fubtil & prompt! Doucement, s'il vous plaift. Je vous nie que l'efprit apperçoive l'infiny. L'efprit, je le veux, apperçoit de l'étendue dont il ne voit pas le bout: mais il ne voit pas une étendue infinie; un efprit finy ne peut rien voir d'infiny.

IX. THEODORE., Non, Arifte, l'efprit ne voit pas une étendue infinie, en ce sens que fa penfée ou fa perception égale une étendue infinie. Si cela étoit, il la

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comprendroit, & il fetoit Infiny luy-même. Car il faut une penfée infinie pour mefurer une idée infinie, pour fe joindre actuellement à tout ce que comprend l'infiny. Mais l'efprit voit actuellement que fon objet immediat eft infiny: il voit actuellement que l'étendue intelligible eft infinie. Etten'eft pas, comme vous le pen

fez, parce qu'il n'en voit pas le bout; car fi cela étoit, il pourroit esperer de le trouver, ou du moins il pourroit douter fi elle en a, ou fi elle n'en a point: mais c'est 'parce qu'il voit clairement qu'elle n'en point.

Suppofons qu'un homme tombé des nues marche fur la terre toûjours en droite ligne, je veux dire fur un des grands cercles dont les Geographes la divifent, & que rien ne l'empêche de voyager: pourroit-il décider après quelques journées de chemin, que la terre feroit infinie, à caufe qu'il n'en trouveroit point le bout? S'il étoit fage & retenu dans fes jugemens, il la croiroit fort grande, mais il ne la jugerdit pas infinie. Et à force de marcher, fe refrouvant all même lieu dont il feroit party, 'il reconnoîtroit qu'effectivement il en auroit fait le tour. Mais lors que l'efprit penfe à l'étendue intelligible, lors qu'il veut

me

mefurer l'idée de l'efpace, il voit clairement qu'elle eft infinie. Il ne peut douter que cette idée ne foit inépuifable. Qu'il en prenne de quoy fe reprefenter le lieu de cent mille mondes, & à chaque inftant encore cent mille fois davantage, jamais cette idée ne ceffera de luy fournir tout ce qu'il faudra. L'efprit le voit, & n'en peut douter. Mais ce n'eft point par là qu'il découvre qu'elle eft infinie. C'eft au contrai re parce qu'il la voit actuellement infinie qu'il fçait bien qu'il ne l'épuifera jamais.

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Les Geometres font les plus exacts de. ceux qui fe mêlent de raifonner. Or tous conviennent qu'il n'y a point de fraction, qui multipliée par elle-même donne huit pour produit, quoy qu'en augmentant les termes de la fraction, on puiffe approcher à l'infiny de ce nombre. Tous conviennent que l'hyperbole & fes afymptotes, & plufieurs autres femblables lignes continuées à l'infiny, s'approcheront toujours fans jamais le joindre. Penfez-vous qu'ils découvrent ces veritez en tâtonnant, & qu'ils jugent de ce qu'ils ne voyent point, par quelque peu de chofe qu'ils auroient découvert? Non, Arifte. C'eft ainsi que jugent l'imagination & les fens, ou ceux qui fuivent leur témoignage. Mais les vrais B 3 Philo

Philofophes ne jugent précisément que de ce qu'ils voyent. Et cependant ils ne craignent point d'affûrer, fans jamais l'avoir éprouvé que nulle partie de la diagonale d'un quarré, fuft-elle un million de fois plus petite que le plus, petit grain de pouf fiere, ne peut mefurer exactement & fans refte cette diagonale d'un quarré & quelqu'un de fes côtez. Tant il eft vray que l'efprit voit l'infiny auffi bien dans le petit que dans le grand: non par la divifion ou la multiplication reiterée de fes idées finies, qui ne pourroient jamais atteindre à l'infiny, mais par l'infinité mêmes qu'il découvre dans fes idées & qui leur appartient, lefquelles luy apprennent tout d'un coup, d'une part qu'il n'y a point d'unité, & de l'autre point de bornes dans l'étendue intelligible.

ARISTE. Je me rens, Theodore. Les idées ont plus de realité que je ne penfois, & leur realité eft immuable, neceffaire, éternelle, commune à toutes les intelligences, & nullement des modifications de leur être propre, qui étant finy, ne peut recevoir actuellement des modifications infinies. La perception que j'ay de Pétendue intelligible m'appartient à moy: c'eft une modification de mon ef

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