Obrázky na stránke
PDF
ePub

E

LETTRE

ÉCRITE A L'ACADÉMIE FRANÇOISE,

Sur l'éloquence, la poésie, l'histoire, etc.

(1)

Je suis honteux, monsieur "", de vous devoir depuis si long-temps une réponse: mais ma mauvaise santé et mes embarras continuels ont causé ce retardement. Le choix que l'académie a fait de votre personne pour l'emploi de son secrétaire perpétuel est digne de la compagnie, et promet beaucoup au public pour les belles lettres. J'avoue que la demande que vous me faites au nom d'un corps auquel je dois tant, m'embarrasse un peu: mais je vais parler au hasard, puisqu'on l'exige. Je le ferai avec une grande défiance de mes pensées, et une sincere déférence pour ceux qui daignent me consulter.

I.

Projet d'achever le dictionnaire.

Le dictionnaire auquel l'académie travaille mérite sans doute qu'on l'acheve. Il est vrai que l'usage,

(1) M. Dacier.

qui change souvent pour les langues vivantes, pourra changer ce que ce dictionnaire aura décidé.

Nedum sermonum stet honos et grátia vivax.
Multa renascentur quæ jam cecidere, cadentque
Quæ nunc sunt in honore, vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi.
HORAT. Art. poet. vers. 69.

Mais ce dictionnaire aura divers usages. Il servira aux étrangers, qui sont curieux de notre langue, et qui lisent avec fruit les livres excellents en plusieurs genres qui ont été faits en France. D'ailleurs les François les plus polis peuvent avoir quelquefois besoin de recourir à ce dictionnaire par rapport à des termes sur lesquels ils doutent. Enfin, quand notre langue sera changée, il servira à faire entendre les livres dignes de la postérité qui sont écrits en notre temps. N'est-on pas obligé d'expliquer maintenant le langage de Villehardouin et de Joinville? Nous serions ravis d'avoir des dictionnaires grecs et latins faits par les anciens mêmes. La perfection des dictionnaires est même un point où il faut avouer que les modernes ont enchéri sur les anciens. Un jour on sentira la commodité d'avoir un dictionnaire qui serve de clef à tant de bons livres. Le prix de cet ouvrage ne peut manquer de croître à mesure qu'il vieillira,

I I. ·

Il seroit à desirer, ce me semble, qu'on joignît au dictionnaire une grammaire françoise : elle soulageroit beaucoup les étrangers, que nos phrases irrégulieres embarrassent souvent. L'habitude de parler notre langue nous empêche de sentir ce qui cause leur embarras. La plupart même des François auroient quelquefois besoin de consulter cette regle: ils n'ont appris leur langue que par le seul usage, et l'usage a quelques défauts en tous lieux. Chaque province a les siens; Paris n'en est pas exempt. La cour même se ressent un peu du langage de Paris, où les enfants de la plus haute condition sont d'ordinaire élevés. Les personnes les plus polies ont de la peine à se corriger sur certaines façons de parler qu'elles ont prises pendant leur enfance en Gascogne, en Normandie, ou à Paris même par le commerce des domestiques.

Les Grecs et les Romains ne se contentoient pas d'avoir appris leur langue naturelle par le simple usage; ils l'étudioient dans un âge mûr par la lecture des grammairiens, pour remarquer les regles, les exceptions, les étymologies, les sens figurés, l'artifiçe de toute la langue, et ses variations.

Un savant grammairien court risque de composer une grammaire trop curieuse et trop remplie de pré

ceptes. Il me semble qu'il faut se borner à une méthode courte et facile. Ne donnez d'abord que les regles les plus générales; les exceptions viendront peuà-peu. Le grand point est de mettre une personne le plutôt qu'on peut dans l'application sensible des regles par un fréquent usage: ensuite cette personne prend plaisir à remarquer le détail des regles qu'elle a suivies d'abord sans y prendre garde.

Cette grammaire ne pourroit pas fixer une langue vivante; mais elle diminueroit peut-être les changements capricieux par lesquels la mode regne sur les termes comme sur les habits. Ces changements de pure fantaisie peuvent embrouiller et altérer une langue au lieu de la perfectionner.

I I I.

OSERAI-JE hasarder ici, par un excès de zele, une proposition que je soumets à une compagnie si éclairée? Notre langue manque d'un grand nombre de mots et de phrases: il me semble même qu'on l'a gênée et appauvrie depuis environ cent ans en voulant la purifier. Il est vrai qu'elle étoit encore un peu informe, et trop verbeuse. Mais le vieux langage se fait regretter, quand nous le retrouvons dans Marot, dans Amyot, dans le cardinal d'Ossat, dans les ouvrages les plus enjoués, et dans les plus sérieux : il

avoit je ne sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné. On a retranché, si je ne me trompe, plus de mots qu'on n'en a introduit. D'ailleurs je voudrois n'en perdre aucun, et en acquérir de nouveaux. Je voudrois autoriser tout terme qui nous manque, et qui a un son doux, sans danger d'équivoque.

Quand on examine de près la signification des termes, on remarque qu'il n'y en a presque point qui soient entièrement synonymes entre eux. On en trouve un grand nombre qui ne peuvent désigner suffisamment un objet, à moins qu'on n'y ajoute un second mot de là vient le fréquent usage des circonlocutions. Il faudroit abréger en donnant un terme simple et propre pour exprimer chaque objet, chaque sentiment, chaque action. Je voudrois même plusieurs synonymes pour un seul objet : c'est le moyen d'éviter toute équivoque, de varier les phrases, et de faciliter l'harmonie, en choisissant celui de plusieurs synonymes qui sonneroit le mieux avec le reste d'un discours.

Les Grecs avoient fait un grand nombre de mots composés, comme Pantocrator, Glaucopis, Eucnemides, etc. Les Latins, quoique moins libres en ce genre, avoient un peu imité les Grecs, Lanifica, Malesuada, Pomifer, etc. Cette composition servoit à

« PredošláPokračovať »