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Dé ce vers,

direz-vous, l'expression est basse. Ah! monsieur, pour ce vers je vous demande grace, Répondra-t-il d'abord. Ce mot me semble froid, Je le retrancherois. C'est le plus bel endroit ! Ce tour'ne me plaît pas. Tout le monde l'admire! Ainsi toujours constant à ne se point dédire, Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser, C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer. Cependant, à l'entendre, il chérit la critique : Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique. Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter N'est rien qu'un piege adroit pour vous les réciter. Aussitôt il vous quitte; et, content de sa muse, S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse : Car souvent il en trouve. Ainsi qu'en sots auteurs, Notre siecle est fertile en sots admirateurs ; Et, sans ceux que fournit la ville et la province, Il en est chez le duc, il en est chez le prince. L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans, De tout temps rencontré de zélés partisans ; Et, pour finir enfin par un trait de satire, Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

CHANT SECOND.

TELLE qu'une bergere, au plus beau jour de fête,

De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements;
Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
Doit éclater sans pompe une élégante Idylle.
Son tour simple et naïf n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa donceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.

Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois;
Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrete,
Au milieu d'une Eglogue entonne la trompette.
De de l'écouter Pan fuit dans les roseaux ;
peur
Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux.
Au contraire cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle an village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre, et rampent tristement:
On diroit que Ronsard, sur ses pipeaux rustiques,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.

Entre ces deux excès la route est difficile. Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile: Que leurs tendres écrits, par les Graces dictés, Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés. Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre

Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre'; Chanter Flore, les champs, Pomone, les

vergers;

Au combat de la flûte animer deux bergers;
Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce;
Et par quel art encor l'Eglogue quelquefois
Rend dignes d'un consul (1) la campagne et les bois.
Telle est de ce poëme et la force et la grace.

D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,

La plaintive Elégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amants la joie et la tristesse ;
Flatte, menace, irrite, appaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C'est peu d'être poëte, il faut être amoureux.

Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée
M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée,
Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis,
S'érigent, pour rimer, en amoureux transis.
Leurs transports les plus doux ne sont que phrases
vaines :

Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller le sens et la raison.

Ce n'étoit pas jadis sur ce ton ridicule

Qu'Amour dictoit les vers que soupiroit Tibulle,
Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons,
Il donnoit de son art les charmantes leçons.
Il faut que le cœur seul parle dans l'Elégie.

L'Ode, avec plus d'éclat, et non moins d'énergie, Elevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les dieux. Aux athletes dans Pise (2) elle ouvre la barriere,

(1) Virgile, églogue IV, v. 3.

Pise en Elide, où l'on célébroît les jeux olymp

Chante un vainqueur poudreux au bout de la carriere,
Mene Achille sanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis.
Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage:
Elle peint les festins, les danses, et les ris;
Vante un baiser cueilli sur les levres d'Iris,
Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu'on le ravisse (1).
Son style impétueux souvent marche au hasard:
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.
Loin ces rimeurs craintifs dont l'esprit flegma2
tique

Garde dans ses fureurs un ordre didactique ;
Qui, chantant d'un héros les progrès éclatants,
Maigres historiens, suivront l'ordre des temps.
Ils n'osent un moment perdre un sujet de vue ;
Pour prendre Dole, il faut que Lille soit rendue;
Et
que leur vers exact, ainsi que Mézeray,
Ait fait déja tomber les remparts de Courtray.
Apollon de son feu leur fut toujours avare.

On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre, Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois, Inventa du sonnet les rigoureuses lois ;

Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille
La rime avec deux sons frappât huit fois l'oreille;
Et qu'ensuite six vers artistement rangés
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Sur-tout de ce poëme il bannit la licence :
Lui-même en mesura le nombre et la cadence;
Défendit qu'un vers foible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déja mis osât s'y remontrer.
Du reste il l'enrichit d'une beauté suprême:

(1) Horace, ode 12, liv. II.

Un Sonnet sans défaut vaut seul un long poëme.
Mais en vain mille auteurs y pensent arriver;
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
A peine dans Gombaut, Mainard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille :
Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier
N'a fait de chez Sercy (1) qu'un saut chez l'épicier.
Pour enfermer son sens dans la borne prescrite
La mesure est toujours trop longue ou trop petite.
L'Epigramme, plus libre en son tour plus borné,
N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.
Jadis de nos auteurs les pointes ignorées

Furent de l'Italie en nos vers attirées.
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux inonda le Parnasse :
Le Madrigal d'abord en fut enveloppé ;
Le Sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé ;
La Tragédie (2) en fit ses plus cheres délices;
L'Elégie en orna ses douloureux caprices;
Un héros sur la scene eut soin de s'en parer,
Et sans pointe un amant n'osa plus soupirer;
On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,
Fideles à la pointe encor plus qu'à leurs belles ;
Chaque mòt eut toujours deux visages divers :
La prose la reçut aussi-bien que les vers;
L'avocat au palais en hérissa son style,
Et le docteur (3) en chaire en sema l'évangile.
La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
La chassa pour jamais des discours sérieux;

(1) Libraire du palai3.

(2) La Sylvie de Mairet.

(3) Le petit P. André, augustin.

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