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ENFIN bornant le cours de tes galanteries,
Alcippe, il est donc vrai, dans peu tu te maries :
Sur l'argent, c'est tout dire, on est déja d'accord;
Ton beau-pere futur vuide son coffre-fort;
Et déja le notaire a, d'un style énergique,
Griffonné de ton jong l'instrument authentique (1).
C'est bien fait. Il est temps de fixer tes desirs.
Ainsi que ses chagrins l'hymen a ses plaisirs :
Quelle joie en effet, quelle douceur extrême,
De se voir caressé d'une épouse qu'on aime!
De s'entendre appeler petit cœur, ou, mon bon!
De voir autour de soi croître dans sa maison,
Sous les paisibles lois d'une agréable mere,
De petits citoyens dont on croit être pere!
Quel charme, au moindre mal qui nous vient menacer,
De la voir aussitôt accourir, s'empresser,
S'effrayer d'un péril qui n'a point d'apparence,
Et souvent de douleur se pâmer par avance!
Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
Habiles à se rendre inquiets, malheureux,
Qui, tandis qu'une épouse à leurs yeux se désole,
Pensent toujours qu'un autre en secret la console.

Mais quoi! je vois déja que ce discours t'aigrit! Charmé de Juvenal (2), et plein de son esprit, Venez-vous, diras-tu, dans une piece outrée Comme lui nous chanter que, dès le temps de Rhée, La chasteté déja, la rougeur sur le front,

(1) Instrument, en style de pratique, veut dire toutes sortes de contrats.

(2) Juvénal a fait une satire contre les femmes, qui est son plus bel ouvrage.

Avoit chez les humains reçu plus d'un affront;
Qu'on vit avec le fer naître les injustices,
L'impiété, l'orgueil, et tous les autres vices:
Mais que la bonne foi dans l'amour conjugal
N'alla point jusqu'au temps du troisieme métal (1)?
Ces mots ont dans sa bouche une emphase admirable:
Mais je vous dirai, moi, sans alléguer la fable,
Que si sous Adam même, et loin avant Noé,
Le vice audacieux, des hommes avoué,

A la triste innocence en tous lieux fit la guerre,
Il demeura pourtant de.l'honneur sur la terre :
Qu'aux temps les plus féconds en Phrynés (2), en
Laïs (2),

Plus d'une Pénélope honora son pays;

Et que, même aujourd'hui, sur ce fameux modele, On peut trouver encor quelque femme fidele.

Sans doute; et dans Paris, si je sais bien compter, Il en est jusqu'à trois (3) que je pourrois citer. Ton épouse dans peu sera la quatrieme : Je le veux croire ainsi. Mais, la chasteté même Sous ce beau nom d'épouse entrât-elle chez toi, De retour d'un voyage, en arrivant, crois-moi, F'ais toujours du logis avertir la maîtresse, Tel partit tout baigné des pleurs de sa Lucrece, Qui, faute d'avoir pris ce soin judicieux, Trouva... tu sais... Je sais que d'un conte odieux Vous avez comme moi sali votre mémoire. Mais laissons Jà, dis-tu, Joconde et son histoire : Du projet d'un hymen déja fort avancé,

(1) Paroles du commencement de la satire de Juvénal. (2) Phryné, courtisane d'Athenes. Laïs, courtisane de Corinthe.

(3) Ceci est dit figurément.

79

Devant vous aujourd'hui criminel dénoncé,
Et mis sur la sellette aux pieds de la critique,
Je vois bien tout de bon qu'il faut que je m'explique.
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit,
J'ai trop bien profité pour n'être pas instruit
A quels discours malins le mariage expose:
Je sais que c'est un texte où chacun fait sa glose;
Que de maris trompés tout rit dans l'univers,
Epigrammes, chansons, rondeaux, fables en vers,
Satire, comédie; et, sur cette matiere,

J'ai vu tout ce qu'ont fait La Fontaine et Moliere;
J'ai lu tout ce qu'ont dit Villon et Saint-Gelais,
Arioste, Marot, Bocace, Rabelais,

Et tous ces vieux recueils de satires naïves (1),
Des malices du sexe immortelles archives.
Mais, tout bien balancé, j'ai pourtant reconnu
Que de ces contes vains le monde entretenu
N'en a pas de l'hymen moins vu fleurir l'usage;
Que sous ce joug moqué tout à la fin s'engage;
Qu'à ce commun filet les railleurs mêmes pris
Ont été très souvent de commodes maris;

Et

que, , pour être heureux sous ce joug salutaire, Tout dépend en un mot du bon choix qu'on sait faire. Enfin, il faut ici parler de bonne foi,

Je vieillis, et ne puis regarder sans effroi
Ces neveux affamés dont l'importun visage
De mon bien à mes yeux fait déja le partage.
Je crois déja les voir, au moment annoncé
Qu'à la fin sans retour leur cher oncle est passé,
Sur quelques pleurs forcés, qu'ils auront soin qu'on
voie,

Se faire consoler du sujet de leur joie.

(1) Les Contes de la reine de Navarre, etc.

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Je me fais un plaisir, à ne vons rien celer,

De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler,
Et, trompant un espoir pour eux si plein de charmes
Arracher de leurs yeux de véritables larmes.
Vous dirai-je encor plus? Soit foiblesse ou raison,
Je suis las de me voir le soir en ma maison
Seul avec des valets, souvent voleurs et traîtres,
Et toujours, à coup sûr, ennemis de leurs maîtres.
Je ne me couche point qu'aussitôt dans mon lit
Un souvenir fàcheux n'apporte à mon esprit
Ces histoires de morts lamentables, tragiques (1),
Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques.
Dépouillons-nous ici d'une vaine fierté.

Nous naissons, nous vivons, pour la société :
A nous-mêmes livrés dans une solitude,
Notre bonheur bientôt fait notre inquiétude;
Et, si durant un jour notre premier aïeul,
Plus riche d'une côte, avoit vécu tout seul,
Je doute, en sa demeure alors si fortunée,
S'il n'eût point prié Dieu d'abréger la journée.
N'allons donc point ici réformer l'univers,
Ni, par de vains discours et de frivoles vers
Etalant au public notre misanthropie,
Censurer le lien le plus doux de la vie.

Laissons là, croyez-moi, le monde tel qu'il est.
L'hyménée est un joug, et c'est ce qui m'en plaît:
L'homme en ses passions toujours errant sans guide
A besoin qu'on lui mette et le mords et la bride:
Son pouvoir malheureux ne sert qu'à le gêner;
Et, pour le rendre libre, il le faut enchaîner.
C'est ainsi que souvent la main de Dieu l'assiste.
Ha! bon! voilà parler en docte janséniste,
Alcippe; et, sur ce point si savamment touché,

(1) Blandin et du Rosset ont composé ces histoires.

Desmâres (1) dans Saint Roch (2) n'auroit pas mieux prêché.

Mais c'est trop t'insulter; quittons la raillerie;
Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie.

Ta viens de mettre ici l'hymen en son beau jour :
Entends donc; et permets que je prêche à mon tour.

L'épouse que tu prends, sans tache en sa conduite,
Aux vertus, m'a-t-on dit, dans Port-Royal instruite,
Aux lois de son devoir regle tous ses desirs.
Mais qui peut t'assurer qu'invincible aux plaisirs,
Chez toi, dans une vie ouverte à la licence,
Elle conservera sa première innocence?
Par toi-même bientôt conduite à l'Opéra,
De quel air penses-tu que ta sainte verra
D'un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse,
Ces danses, ces héros à voix luxurieuse;

Entendra ces discours sur l'amour seul roulants,
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands;
Saura d'eux qu'à l'Amour, comme au seul dieu
suprême,

On doit immoler tout, jusqu'à la vertu même ;
Qu'on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer;
Qu'on n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer (3);
Et tous ces lieux communs de morale lubrique
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique?
Mais de quels mouvements, dans son cœur excités,
Sentira-t-elle alors tous ses sens agités!

Je ne te réponds pas qu'au retour, moins timide,
Digne écoliere enfin d'Angélique et d'Armide (4),

(1) Le P. Desmares, célebre prédicateur.

(2) Paroisse de Paris.

(3) Maximes fort ordinaires dans les opéra de Quinaut. (4) Voyez les opéra de Quinaut intitulés Roland et Armide.

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