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MORCEAUX HISTORIQUES,

ET

MATÉRIAUX POUR L'HISTOIRE

TROUVÉS DANS LES PAPIERS DE DUCLOS (*).

Mort de Madame Henriette d'Angleterre, première femme de Monsieur, frère unique de Louis XIV.

LE public a toujours soupçonné que Madame

étoit morte empoisonnée le 30 juin 1660. Madame étant à St.-Cloud, en parfaite santé, but un verre d'eau de chicorée. Dans l'instant elle sentit des douleurs aiguës dans l'estomac, les convulsions suivirent; six heures après elle étoit morte; il eût été difficile de ne pas supposer de poison une mort si prompte et si violente. Mais ce n'est plus un soupçon; c'est un fait certain,

(*) Ces morceaux et matériaux devoient entrer dans les Mémoires Secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV, ou servir à leur continuation.

quoique les preuves en soient connues de trèspeu de personnes.

Le roi, frappé des circonstances de cette mort, fit venir devant lui Morel, contrôleur de la bouche de Madame; il fut introduit secrètement, la nuit même qui suivit la mort de cette princesse, dans le cabinet du roi, qui n'avoit avec lui que deux domestiques de confiance, et l'officier des gardes du corps qui amena ce domestique, Regardez-moi, lui dit le roi, et songez à ce que vous allez dire: soyez sûr de la vie,si c'est la vérité; mais si vous osez me mentir, votre supplice est prêt. Je sais que Madame est morte empoisonnée; mais je veux savoir les circonstances du crime. Sire, répondit Morel sans se déconcerter, votre majesté me regarde avec justice comme un scélérat; mais, après sa parole sacrée, je serois un imbécile, si j'osois lui mentir. Madame a été empoisonnée: le chevalier de Lorraine a envoyé de Rome le poison au marquis d'Effiat, et nous l'avons mis dans l'eau que Madame a bue. Mon frère, reprit le roi, le savoit-il? Monsieur! dit Morel, nous le connoissons trop pour lui avoir confié le secret. Alors le roi respirant: Me voilà soulagé, sortez. Pour entendre ce qui regarde le chevalier de Lorraine et le marquis d'Effiat, il faut savoir que le chevalier de Lorraine,

d'une figure charmante, d'un esprit séduisant, et sans aucun principe, étoit passionnément aimé de Monsieur, dont le goût grec étoit connu. Le chevalier avoit un tel ascendant sur l'esprit de Monsieur, qu'il exerçoit sur la maison un empire absolu, dont il abusoit au point que Madame en éprouvoit des insolences qu'elle n'auroit pas eu à craindre d'une rivale de son sexe. Le chevalier de Lorraine avoit envoyé le poison au marquis d'Effiat, premier écuyer de Monsieur, et digne d'être son ami, autant que des scélérats peuvent l'être. D'Effiat étoit petit-fils du maréchal d'Effiat, et fils du frère aîné de Cinqmars, grand écuyer, décapité à Lyon avec de Thou. C'étoit un homme de beaucoup d'esprit, et qui, ayant connu que le chevalier de Lorrainé étoit à la fois le maître et la maîtresse de Monsieur, s'y étoit totalement dévoué. Je l'ai vu dans ma première jeunesse à Chilly: un petit vieillard assez vigoureux pour monter des chevaux trèsvifs. Il mourut à plus de quatre-vingts ans, en 1719.

Un des trois témoins de l'interrogatoire de Morel le dit, long-temps après, au procureur général Joli de Fleuri, père de celui d'aujourd'hui, et je le tiens d'abord d'un magistrat trèsdistingué, ami du procureur général. Mais je l'ai su encore d'un plus qu'ami de mademoiselle

Chausseraie, à laquelle le roi l'avoit dit; elle avoit fait des mémoires très-curieux, que l'abbé d'Andigné, son parent, lui conseilla de brûler. Je soupçonne que l'ami intime qu'elle en chargea, ne les sacrifia pas tous; car il me promit un jour de les rechercher, et nous n'avons pas eu depuis occasion de nous retrouver; mais, dans une longue conversation que nous eûmes ensemble, il me confirma tous les faits dont il me voyoit instruit, et m'en apprit beaucoup d'autres. J'ai fait ailleurs connoître cette demoiselle Chausseraie (voyez Mémoires secrets ). Quelqu'indignation que la présence du chevalier de Lorraine et du marquis d'Effiat pût réveiller dans le cœur du roi, ce prince, ne voulant pas laisser soupçonner qu'il sût rien de cet affreux secret, traita extérieurement d'Effiat comme à l'ordinaire, et accorda, après quelque temps, à Monsieur le retour du chevalier.

Il ne s'agit plus que d'expliquer pourquoi le chevalier fit empoisonner Madame. Louis XIV, voulant porter la guerre en Hollande, voulut aussi s'assurer de Charles II, roi d'Angleterre ; pour y parvenir, il engagea Madame, sœur de Charles, à passer en Angleterre, et pour que ce voyage parût un effet du hasard, et non d'un projet politique, Louis XIV parut aller visiter ses conquêtes des Pays-Bas, et y mena toute sa

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