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qui monte jusqu'à Dinan. Ainsi, les Dinanois sont à portée de partager, avec les Maloins, le commerce maritime. Je n'avois que deux ans et demi lorsque je perdis mon père en 1706; et je me le rappelle encore aujourd'hui aussi distinctement que si je le voyois. J'étois pour lui et pour ma mère un objet de cette tendresse de préférence qu'on prend ordinairement pour un enfant qui vient long-temps après ses aînés, et lorsque son père et sa mère ne sont plus dans leur jeunesse. J'avois une sœur plus âgée que moi de dix-huit ans, et un frère qui l'étoit de dix-sept.

Ma mère, restée veuve à quarante-un ans, avoit encore de la beauté, et une fortune assez considérable pour se voir recherchée par plusieurs prétendans. Il se présenta entr'autres un vieux marquis de Boisgelin, fort peu opulent, mais qui né doutoit pas que son titre ne tournât la tête d'une bourgeoise. Celle de ma mère n'étoit pas si facile à tourner: elle réunissoit des qualités qui vont rarement ensemble: avec un caractère singulièrement vif, une

toit

imagination brillante et gaie, elle avoit un jugement prompt, juste et ferme. Voilà déjà une femme assez rare; mais, ce qui est peut-être sans exemple, elle a eu,à cent ans passés, la tête qu'elle avoit à quarante. Qui que ce soit de ceux qui l'ont connue ne me contrediroit. Une telle femme n'épas faite pour sacrifier sa liberté à une vanité ridicule. Mais un autre motif que je ne pourrois pas taire sans ingratitude, fut sa tendresse pour ses enfans. Elle déclara donc audit marquis et autres, qu'elle avoit autant d'enfans qu'elle en pouvoit élever et établir honnêtement pour leur état, et ne vouloit pas leur donner un beaupère qui, avec les meilleurs sentimens, n'auroit pourtant jamais pour eux ceux d'un père. Dès ce moment, ceux qui l'avoient recherchée, renoncèrent à leurs prétentions, restèrent ses amis, et plusieurs lui ont rendu service. Mon père qui, avec un bon esprit, reconnoissoit la supériorité de celui de ma mère, lui avoit toujours laissé diriger les opérations de commerce. Ainsi, maîtresse de tout du vi

vant de son mari, devenue veuve, elle n'eut rien à changer dans son plan de conduite.

Le commerce de St.-Malo étoit alors dans sa plus grande activité par celui de la Mer du Sud, et par la course. Tout y étoit négociant ou corsaire, et souvent l'un et l'autre. Au milieu des malheurs de la guerre qui désoloit, accabloit et ruinoit la France, les armateurs maloins, et ceux qui s'y associoient, voyoient leurs entreprises réussir sur toutes les mers. Je ne rappellerai point les Duguay-Trouin, les Magon, les Loquet, les Vincent, les Porée, les Moreau, les Lefer et tant d'autres. La liste en seroit trop longue, et je ne suis ici historiographe, mais un petit particulier qui écrit ses souvenirs. On sait du

pas

moins que par le courage, l'habileté et l'opulence, jamais St.-Malo ne fut dans un état plus brillant. On sait encore les sommes prodigieuses que cette ville fournit pour subvenir aux pertes que la France faisoit partout ailleurs. Ce sont de ces services qu'un gouvernement, je ne dis pas

reconnoissant, ce seroit trop prétendre, mais éclairé et prévoyant, ne devroit jamais oublier, pour en obtenir un jour de pareils.

Ma mère prit, dans les armemens, quelques intérêts qui ajoutèrent à sa fortune, déjà honnête, du moins pour ces temps-là en province, et dans une ville du troisième ou du quatrième ordre; car on n'en doit pas juger par les idées de Paris, ni même des idées de Paris au commencement du siècle, par celles d'aujourd'hui. Le système de Law a totalement, à cet égard, dépravé les imaginations. La révolution subite qui se fit dans les fortunes, fut pareille dans les têtes. Le déluge de billets de banque, dont Paris fut inondé, et qu'on se procuroit par toutes sortes de moyens, excita, dans tous les esprits, le désir de participer à ces richesses de fiction. C'étoit une frénésie. La contagion gagna les provinces. On accouroit de toutes parts à Paris, et l'on estime à quatorze cent mille âmes ce qui s'y trouva en 1719 et 20. La chute du système fut aussi rapide que l'a

voit été son élévation. Mais la cupidité ne disparut pas, et subsiste encore. Avant ce temps, qu'on peut nommer fabuleux, les particuliers n'espéroient de fortune que du travail et de l'économie. Un bon bourgeois de Paris, avec cent mille livres de biens-fonds, passoit pour être à son aise, et, sans renoncer absolument à augmenter sa fortune, en étoit satisfait. Aujourd'hui, personne ne met de bornes à ses désirs. On a tant vu de gens devenus subitement riches ou pauvres, qu'on croit avoir tout à espérer ou à craindre, et souvent avec raison, par les révolutions fréquentes qu'on voit dans les finances de l'état. Un autre malheur du système fut le luxe et la corruption des mœurs qui en est la suite. Je l'ai vu croître au point, qu'il a été porté plus loin depuis la régence, qu'il ne l'avoit été depuis la renaissance des arts jusqu'à la fin du règne de Louis XIV, sur-tout chez les particuliers. Aussi ai-je vu s'étendre la misère, qui marche toujours d'un pas égal avec le luxe. Si les gens morts il y a soixante ans revenoient, ils ne reconnoî

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