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NOTES

SUR LA SATIRE XIII.

› ARGUMENT. Juvénal essaie de caliner un certain Calvinus, furieux de ce qu'on lui retient un dépôt: il lui représente qu'à soixante ans on doit connoître les hommes, et savoir supporter leurs injustices; que celle dont il gémit n'est rien en comparaison des crimes et des sacriléges dont les tribunaux retentissent tous les jours; que les regrets sont inutiles, la vengeance odieuse, et qu'il doit seulement laisser agir, contre celui qui l'a trompé le remords et les dieux, qui permettent rarement que le crime reste impuni.

Cette Satire et les deux suivantes auroient, à mon gré, suffi pour consacrer la mémoire de Juvénal, et la rendre chère à la postérité mais il ne s'agit ici que de la Satire du Dépôt. Observons d'abord qu'on en retrouve implicitement le motif et l'intention, Satire vi, vers 17, lorsque Juvénal regrette ces temps antérieurs au règne de la cupidité; ces temps heureux «< où personne ne craignoit le voleur pour ses légumes ou pour ses fruits, où il étoit inutile d'enclore son jardin: »

Quum furem nemo timeret

Caulibus et pomis, et aperto viveret horto.

Il y a loin sans doute de cette innocence originelle à l'im. probité de ceux que Juvénal va combattre :

Improbitas illo fuit admirabilis ævo.

(Vers. 53. )

Mais dans ces sortes de contrastes, si fréquents chez notre auteur, l'intervalle disparoît, et les rapprochements inattendus n'en produisent que plus d'effet. Ce fut là, de tout temps, le secret des grands maîtres.

Je n'insisterai point sur l'importance de cette Satire, dont les beautés homériques, telles que la peinture du remords (v. 192 et suiv.), sont plutôt faites pour être senties que discutées. Craignons de gâter le sublime en voulant trop l'analyser.

Je ne puis cependant terminer cet article sans faire une remarque, qui, peut-être, ne paroîtra pas superflue. Il ne s'agit dans cette Satire que d'un délit très-simple et trop commun, de la violation d'un dépôt. Que fait Juvenal? d'où tire-t-il de quoi enrichir son sujet sans l'interrompre ni le compliquer? Il me semble que c'est beaucoup moins de l'art que de l'instinct moral, que je regarde, moi, comme son véritable Apollon. En effet, on verra que le fort de son discours ne porte pas tant sur le crime anti-social du faussaire impudent qu'il attaque, que sur le caractère de celui qui gémit d'en avoir été la victime; de sorte que, si d'un côté il déploie le fouet du remords pour châtier un coupable, de l'autre il cherche à consoler et son ami plus foible que malheureux, et quiconque se laisse abattre par les revers inopinés. C'est alors que, faisant luire à ses yeux le flambeau de la sagesse, il lui enseigne, à la manière de Socrate, à profiter de l'inexpérience trop souvent infructueuse, et qui

semble être quelquefois plutôt le châtiment des passions, qu'elle n'en est le remède enfin, à renoncer à la vengeance, à ne plus s'indigner gratuitement des travers et des vices atta chés à l'humaine condition. Cet artifice oratoire, si c'en est un, vaut bien, j'ose le dire, l'urbanité de certains poëtes dont le but n'est que de plaire.

Et c'est le terrible Juvénal, cet impérieux Chrémès, c'est lui qui, renonçant à ses premiers ressentiments, devient l'apôtre de la patience, de la douceur et de la résignation! Où donc est cette ardente colère dont il se félicitoit, qu'i! invoquoit dans son désespoir, et professoit avec transport?

Quid referam quanta siccum jecur ardeat ira?'

Sat. 1, vers. 45.

A-t-il changé de caractère ? Non, il l'a seulement perfectionné. Disciple de sa propre raison, il s'est tempéré au point de reconnoître enfin, sans néanmoins capituler avec le vice , que la sottise et la perversité humaine ne méritent guère que du sang-froid et du mépris. C'est du moins le sens de ces deux vers, où, relativement à la censure des mœurs, il préfère le rôle de Démocrite à celui d'Héraclite.

Sed facilis cuivis rigidi censura cachinni :
Mirandum est, unde ille oculis suffecerit humor.
Sat. x, vers. 31.

2 Eút-il été soustrait à la rigueur des lois par l'infidélité d'un préteur corrompu, vers 3.) Il y avoit à Rome, du temps de Juvénal, cinq décuries de juges, qui jugeoient alternati. vement. Lorsqu'il survenoit une affaire publique, le préteur faisoit citer la décurie qui devoit juger; alors on jetoit dans nne urne des tablettes ou bulletins, dont chacun portoit le

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nom des juges et l'on en tiroit au sort le nombre requis, lequel étoit ordinairement de soixante-quinze : cela s'appeloit sortitio judicum. L'accusateur et l'accusé pouvoient récuser leurs juges, dans ce cas on recommençoit, et cela s'appeloit subsortitio. Quand le préteur vouloit favoriser quelqu'un, c'est à-dire, lui procurer les juges qu'il desiroit, il lui faisoit ga. gner sa cause, soit en substituant d'autres bulletins, soit en les lisant autrement qu'ils n'avoient été écrits ; etc'est ainsi, comme dit Juvénal, que le crédit de ce magistrat infidèle triomphoit par l'urne même.

3 Calvinus, etc., v. 5.) Martial (lib. vII, epigr. 89) parle d'un poëte nommé Calvinus; ce pourroit bien être le même que celui de Juvénal.

4 Né sous le consulat de Fontéius, etc., v. 17.) Lucius Fon. téius Capito, consul sous Néron, l'an de Rome 812, eat pour collégue Caius Vipsanius; d'où il suit que cette Satire a été composée l'an 872; c'est-à-dire, la deuxième année du règne d'Adrien. Juvénal étoit fort vieux alors et touchoit à la fin de sa carrière. Voyez Juste-Lipse, Epist. Quæst. lib. iv, epist. 20.

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5 Par le fer ou le poison, etc., v. 25. ) Par pyxide, j'entends, avec la plupart des interprètes, le poison désigné par la boîte qui le coutenoit : cependant Cujas et Godefroy (lib. de Alea. toribus, D.) l'entendent de ce que les joueurs de dés appellent maintenant un cornet, lequel étoit communément nommé par les Latins pyrgum aleatorium, fritillum, phimum. Quoi qu'il en soit, il est certain que nul poison n'a produit plus de maux sur la terre que la fureur des jeux de hasard.

6 Des portes de Thèbes, ou des embouchures du fleuve qui féconde

l'Égypte, v. 27.) Plusieurs villes ont porté le nom de Thèbes : il ne s'agit pas, ici de la Thèbes égyptienne aux cent portes, mais de la béotienne qui n'en avoit que sept, et dont Ovide a dit :

Cur tacui Thebas, et mutua vulnera fratrum,

Et septem portas sub duce quamque suo ?

Selon Pomponius, Strabon, Diodore et Hérodote, le Nil se jetoit dans la mer par sept embouchures; mais Ptolémée en compte neuf, et Pline onze. Il est vrai que celui-ci reconnoît qu'il n'en faut compter que sept; c'est pourquoi Virgile et Catulle appellent ce fleuve septemgeminus, et Properce septemfluus.

7 Nous vivons dans le neuvième áge, etc., v. 28.) Il n'est pas facile de deviner ce que Juvénal a voulu dire par nona ætas agitur. Quelques-uns croient que les Grecs divisoient la durée du monde en huit âges, et que chaque époque étoit caractérisée par le nom d'un métal particulier : mais il paroît que ce n'est qu'une supposition faite d'après les quatre àges que les Latins désignoient par l'or, l'argent, l'airain et le fer. Grangæus, dont je préfère l'interprétation, prétend que notre auteur a considéré la durée du monde, et l'a divisée comme les anciens considéroient et divisoient la vie humaine, dont ils marquoient les progrès de sept ans en sept ans, et qu'il a imité ce distique de Solon, ainsi traduit par Henri Etienne :

At minus in nona mens illi linguaque pollet,

Quam præstare aliquod forte queant ut opus.

(Peut-être n'y a-t-il dans l'expression de Juvenal qu'une de ces hyperboles qui lui sont si familières. Le siècle où nous

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