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hommes les enfants qu'elles avoient perdus! Combien de cœurs brisés, combien d'âmes devenues solitaires, appeloient une main divine pour les guérir! On se précipitoit dans la maison de Dieu comme on entre dans la maison du médecin le jour d'une contagion. Les victimes de nos troubles (et que de sortes de victimes!) se sauvoient à l'autel, de même que les naufragés s'attachent au rocher sur lequel ils cherchent leur salut.

Rempli des souvenirs de nos antiques mœurs, de la gloire et des monuments de nos rois, le Génie du Christianisme respiroit l'ancienne monarchie tout entière : l'héritier légitime étoit pour ainsi dire caché au fond du sanctuaire dont je soulevois le voile, et la couronne de saint Louis suspendue au-dessus de l'autel du Dieu de saint Louis. Les François apprirent à porter avec regret leur regard sur le passé; les voies de l'avenir furent préparées, et des espérances presque éteintes se ranimèrent.

Buonaparte, qui désiroit alors fonder sa puissance sur la première base de la société, et qui venoit de faire des arrangements avec la cour de Rome, ne mit aucun obstacle à la

publication d'un ouvrage utile à la popularité

de ses desseins. Il avoit à lutter contre les hommes qui l'entouroient, contre des ennemis déclarés de toutes concessions religieuses: il fut donc heureux d'être défendu au dehors par l'opinion que le Génie du Christianisme appeloit. Plus tard il se repentit de sa méprise; et au moment de sa chute il avoua que l'ouvrage qui avoit le plus nui à son pouvoir étoit le Génie du Christianisme.

Mais Buonaparte, qui aimoit la gloire, se laissoit prendre à ce qui en avoit l'air; le bruit lui imposoit; et quoiqu'il devînt promptement inquiet de toute renommée, il cherchoit d'abord à s'emparer de l'homme dans lequel il reconnoissoit une force. Ce fut par cette raison que l'Institut n'ayant pas compris le Génie du Christianisme dans les ouvrages qui concouroient pour le prix décennal, reçut l'ordre de faire un rapport sur cet ouvrage; et, bien qu'alors j'eusse blessé mortellement Buonaparte, ce maître du monde entretenoit tous les jours M. de Fontanes des places qu'il avoit l'intention de créer pour moi, des choses extraordinaires qu'il réservoit à ma fortune.

Ce temps est passé : vingt années ont fui,

des générations nouvelles sont survenues, et un vieux monde qui étoit hors de France y est rentré.

Ce monde a joui des travaux achevés par d'autres que par lui, et n'a pas connu ce qu'ils avoient coûté : il a trouvé le ridicule que Voltaire avoit jeté sur la religion effacé, les jeunes gens osant aller à la messe, les prêtres respectés au nom de leur martyre, et ce vieux monde a cru que cela étoit arrivé tout seul, que personne n'y avoit mis la main.

Bientôt même on a senti une sorte d'éloignement pour celui qui avoit rouvert la porte des temples, en prêchant la modération évangélique, pour celui qui avoit voulu faire aimer le christianisme par la beauté de son culte, par le génie de ses orateurs, par la science de ses docteurs, par les vertus de ses apôtres et de ses disciples. Il auroit fallu aller plus loin. Dans ma conscience je ne le

vois pas.

pou

Depuis vingt-cinq ans, ma vie n'a été qu'un combat entre ce qui m'a paru faux en religion, en philosophie, en politique, contre les crimes ou les erreurs de mon siècle, contre les hommes qui abusoient du pouvoir pour

corrompre ou pour enchaîner les peuples. Je n'ai jamais calculé le degré d'élévation de ces hommes; et depuis Buonaparte, qui faisoit trembler le monde, et qui ne m'a jamais fait trembler, jusqu'aux oppresseurs obscurs qui ne sont connus que par mon mépris, j'ai osé tout dire à qui osoit tout entreprendre. Partout où je l'ai pu j'ai tendu la main à l'infortune; mais je ne comprends rien à la prospérité toujours prêt à me dévouer aux malheurs, je ne sais point servir les passions dans leur triomphe.

Auroit-on bien fait de suivre le chemin que j'avois tracé pour rendre à la religion sa salutaire influence? Je le crois. En entrant dans l'esprit de nos institutions, en se pénétrant de la connoissance du siècle, en tempérant les vertus de la foi par celle de la charité, on seroit arrivé sûrement au but. Nous vivons dans un temps où il faut beaucoup d'indulgence et de miséricorde. Une jeunesse généreuse est prête à se jeter dans les bras de quiconque lui prêchera les nobles sentiments qui s'allient si bien aux sublimes préceptes de l'Évangile; mais elle fuit la soumission servile, et, dans son ardeur de s'instruire, elle a

un goût pour la raison tout-à-fait au-dessus de son âge.

Le Génie du Christianisme paroît maintenant dégagé des circonstances auxquelles on auroit pu attribuer une partie de son succès. Les autels sont relevés, les prêtres sont revenus de la captivité, les prélats sont revêtus des premières dignités de l'État. L'espèce de défaveur qui, en général, s'attache au pouvoir, devroit pareillement s'attacher à tout ce qui a favorisé le rétablissement de ce pouvoir : on est ému du combat; on porte peu d'intérêt à la victoire.

Peut-être aussi l'auteur nuiroit-il, à présent, dans un certain monde, à l'ouvrage. Je ne sais comment il arrive que les services que j'ai eu le bonheur de rendre aient rarement été une cause de bienveillance pour moi auprès de ceux à qui je les ai rendus; tandis que les hommes que j'ai combattus ont toujours, au contraire, montré du penchant pour mes écrits et même pour ma personne : ce ne sont pas mes ennemis qui m'ont calomnié. Y auroit-il dans les opinions que j'ai appuyées, parce que, sous beaucoup de rapports, elles sont les miennes, y auroit-il un certain fonds

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