Obrázky na stránke
PDF
ePub

DIVERS OPUSCULES

LITTÉRAIRES.

DISCOURS

PRONONCÉ

PAR M. L'ABBÉ DE FÉNÉLON,

POUR SA RÉCEPTION A L'ACADÉMIE FRANÇAISE

A LA PLACE DE M. PELLISSON,

Le mardi 31 mars 1693.

J'aurois besoin, messieurs, de succéder à l'éloquence de monsieur Pellisson aussi bien qu'à sa place, pour vous remercier de l'honneur que vous me faites aujourd'hui, et pour réparer dans cette compagnie la perte d'un homme si estimable.

Dès son enfance il apprit d'Homère, en le traduisant presque tout entier, à mettre dans les moindres peintures et de la vie et de la grâce; bientôt il fit sur la jurisprudence un ouvrage où l'on ne trouva d'autre défaut que celui de n'être pas conduit jusqu'à sa fin. Par de si beaux essais, il se hâtoit, messieurs, d'arriver à ce qui passa pour son chef-d'œuvre ; je veux dire l'Histoire de l'Académie. Il y montra son caractère, qui étoit la facilité, l'invention, l'élégance, l'insinuation, la justesse, le tour ingénieux. Il osoit heureusement, pour parler comme Horace. Ses mains faisoient naître les fleurs de tous côtés; tout ce qu'il touchoit étoit embelli. Des plus viles herbes des champs, il savoit faire des couronnes pour les

héros ; et la règle si nécessaire aux autres de ne toucher jamais que ce qu'on peut orner ne sembloit pas faite pour lui. Son style noble et léger ressembloit à la démarche des divinités fabuleuses, qui couloient dans les airs sans poser le pied sur la terre. Il racontoit (vous le savez mieux que moi, messieurs,) avec un tel choix des circonstances, avec une si agréable variété, avec un tour si propre et si nouveau jusque dans les choses les plus communes, avec tant d'industrie pour enchaîner les faits les uns dans les autres, avec tant d'art pour transporter le lecteur dans le temps où les choses s'étoient passées, qu'on s'imagine y être, et qu'on s'oublie dans le doux tissu de

ses narrations.

Tout le monde y a lu avec plaisir la naissance de l'Académie. Chacun, pendant cette lecture, croit être dans la maison de M. Conrart, qui en fut comme le berceau. Chacun se plaît à remarquer la simplicité, l'ordre, la politesse, l'élégance, qui régnoient dans ses premières assemblées, et qui attirèrent les regards d'un puissant ministre ; ensuite les jalousies et les ombrages qui troublèrent ces beaux commencemens; enfin l'éclat qu'eut cette compagnie par les ouvrages des premiers académiciens. Vous y reconnoissez l'illustre Racan, héritier de l'harmonie de Malherbe ; Vaugelas, dont l'oreille fut si délicate pour la pureté de la langue; Corneille, grand et hardi dans ses caractères où est marquée une main de maître; Voiture, toujours accompagné de grâces les plus riantes et les plus légères. On y trouve le mérite et la vertu joints à l'érudition et à la délicatesse, la naissance et les dignités avec le goût exquis des let

tres. Mais je m'engage insensiblement au-delà de mes bornes en parlant des morts je m'approche trop des vivans, dont je blesserois la modestie par mes louanges.

Pendant cet heureux renouvellement des lettres, monsieur Pellisson présente un beau spectacle à la postérité. Armand cardinal de Richelieu changeoit alors la face de l'Europe, et, recueillant les débris de nos guerres civiles, posoit les vrais fondemens d'une puissance supérieure à toutes les autres. Pénétrant dans le secret de nos ennemis, et impénétrable pour celui de son maître, il remuoit de son cabinet les plus profonds ressorts dans les cours étrangères pour tenir nos voisins toujours divisés. Constant dans ses maximes, inviolable dans ses promesses, il faisoit sentir ce que peuvent la réputation du gouvernement et la confiance des alliés. Né pour connoître les hommes et pour les employer selon leurs talens, il les attachoit par le cœur à sa personne et à ses desseins pour l'État. Par ces puissans moyens il portoit chaque jour des coups mortels à l'impérieuse maison d'Autriche, qui menaçoit de son joug tous les pays chrétiens. En même temps il faisoit au dedans du royaume la plus nécessaire de toutes les conquêtes, domptant l'hérésie tant de fois rebelle. Enfin, ce qu'il trouva le plus difficile, il calmoit une cour orageuse, où les grands, inquiets et jaloux, étoient en possession de l'indépendance. Aussi le temps, qui efface les autres noms, fait croître le sien; et à mesure qu'il s'éloigne de nous, il est mieux dans son point de vue. Mais, parmi ses pénibles veilles, il sut se faire un doux loisir pour se délasser

« PredošláPokračovať »